JEUNE AFRIQUE - SPECIAL 60 ANS D'INDEPENDANCE

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En ce soixantième anniversaire de la décolonisation en Afrique subsaharienne, retour sur cette histoire riche, multiple et parfois oubliée.

Entre le 1er janvier (au Cameroun) et le 28 novembre 1960 (en Mauritanie), dix-sept pays africains, parmi lesquels une grande majorité d’anciennes colonies françaises, ont accédé à l’indépendance.

Soixante ans plus tard, il est difficile pour ceux qui n’ont pas vécu ces événements de mesurer la joie, l’émotion, l’enthousiasme et l’espoir gigantesque qu’ont pu susciter l’accession à l’indépendance, l’accès à la souveraineté et, pour reprendre les mots employés par le premier président tchadien, François Tombalbaye, « le droit de choisir sa propre voie, de figurer parmi le concert des nations, égal en dignité aux plus grandes ».

Derrière cette communauté de destins pourtant, les chemins empruntés ont été très différents, parfois même divergents. Quoi de commun, en effet, entre un Cameroun arrachant sa liberté les armes à la main et un Gabon dont le chef du gouvernement tenta jusqu’au bout de négocier pour son pays le statut de département français ? Entre une indépendance ivoirienne que Houphouët-Boigny voulut « exemplaire » et apaisée, une émancipation sénégalaise où les jeunes radicaux s’opposaient à leurs aînés, plus conciliants, et une accession congolaise à la souveraineté indissociable de la figure historique de Patrice Lumumba ? C’est cette histoire riche, multiple et parfois oubliée que Jeune Afrique vous raconte ici.

INDEPENDANCES AFRICAINES ET DECOLONISATION DES ESPRITS

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Indépendances africaines: où en est la décolonisation des esprits?

Publié le : 24/10/2020 - 07:08

Françoise Vergès est historienne et Antoine Glaser est politologue. Montage RFI

Texte par :Tirthankar ChandaSuivre

19 mn

Françoise Vergès (1) est historienne, chercheuse, titulaire de la chaire « Global South » à la Fondation Maison des sciences de l’homme, à Paris. Antoine Glaser (2) est politologue, journaliste spécialiste de l’Afrique. Ils sont auteurs de plusieurs ouvrages consacrés à des thèmes qui vont de la politique en Afrique aux questions liées à l’esclavage et la colonisation, en passant par les relations France-Afrique. Interrogé à l'occasion du 60e anniversaire des indépendances africaines, le duo évoque au micro de RFI les heurs et malheurs de l'Afrique postcoloniale ainsi que le bilan du processus de décolonisation qui reste un «  work in progress » (« travail évolutif  »). Entretiens croisés.

RFI : Les indépendances furent un moment de joie et de fête pour les populations africaines. Que sait-on de leurs attentes et de leurs espérances ?

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Antoine Glaser : Seuls les historiens qui ont travaillé sur cette période peuvent répondre à cette question. Et encore ! Peu de choses ont été écrites. Cela dit, il faut se resituer dans la démographie de l’époque, avec 3,5 millions d’habitants en Côte d’Ivoire (plus de 30 millions aujourd’hui, NDLR), 3,2 millions au Sénégal, 5,1 millions au Cameroun, pas plus de 500 000 habitants au Gabon… Dans tous ces pays avec une très faible urbanisation, la proclamation d’indépendance n’a souvent concerné que les cercles de l’administration, à l’exception des pays où des mouvements d’indépendance anticolonialistes étaient déjà structurés. Il semble toutefois qu’il y ait eu plus d’enthousiasme à cette indépendance dans les anciennes colonies britanniques et portugaises que dans les anciennes colonies françaises. Il suffit de lire les proclamations des chefs d’État du « pré carré » français en 1960 pour s’en convaincre. La plupart remercie la République française de sa générosité. Le plus caricatural est le président gabonais Léon Mba, qui exprime sa gratitude profonde au général de Gaulle, « champion de l’Homme noir et de la Communauté franco-africaine », dit-il. Une déclaration qui tranche avec celle du Congolais Patrice Lumumba, qui relève qu’il ne faudra jamais oublier que l’indépendance du Congo a été conquise par la lutte. Cette différence dans les réactions s’explique en grande partie par l’approche assimilationniste de la colonisation française qui avait fait miroiter l’idée d’une communauté de destins entre l’Afrique et la France. Cette idée avait été confortée par l’intégration de leaders africains dans la structure de pouvoir en France, avec notamment Senghor et Houphouët-Boigny siégeant dans le gouvernement français.

Patrice Lumumba, président du Conseil de la République du Congo, quitte l'aéroport d'Idlewild à New York le 24 juillet 1960, escorté par des policiers américains. L'indépendance du Congo a été proclamée le 30 juin 1960. AFP

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Françoise Vergès : Pour les populations africaines, l’indépendance marque la fin d’un système qui les réduisait à des êtres sous-humains, des sous-citoyens. Cette souveraineté durement acquise leur permet de se retrouver pleinement dans leur existence. On assiste, avec ces indépendances, à un renversement de la perspective selon laquelle il y aurait, d’une part, une humanité qui compte et, d’autre part, une humanité composée de sous-hommes qui ne compte pas, qu’on peut trafiquer, qu’on peut vendre, qu’on peut acheter. « Et maintenant, nous sommes là », proclamait Patrice Lumumba dans son discours lors de la cérémonie de l’accession du Congo à l’indépendance, le 30 juin 1960. C’est sans doute cette présence réaffirmée de l’Afrique qu’on avait si longtemps reniée et qu’on ne peut plus désormais effacer malgré le sang qui va couler et les turbulences postcoloniales qui donne sens au combat historique pour l’indépendance dans les pays colonisés.

La crise du Congo, qui a éclaté en 1960 dans la foulée de l'accession à l’indépendance de cette ancienne colonie belge, n’a-t-elle pas d’emblée démontré que cette décolonisation était tout sauf une libération ?

F.V. : Je distinguerais l’indépendance de la décolonisation, qui est un processus dont les débuts remontent aux premières luttes anticoloniales et à la prise de conscience qu’il faut en finir avec le colonialisme et le statut colonial. La décolonisation est un très long processus historique, culturel, qui touche la politique, mais aussi les domaines de l’économie, l’art, les langues... En Afrique, ce processus de la décolonisation est passé par des phases successives, notamment les conférences nationales, l’émergence des mouvements de la jeunesse et de la société civile. Le processus se poursuit aujourd’hui avec les revendications pour la décolonisation des esprits, des enseignements, des institutions et la demande d’une indépendance réelle.

A.G. : Chaque indépendance a eu sa particularité. Avec ses ressources minières exceptionnelles, l’ancien Congo belge a tout de suite été l’un des enjeux majeurs de la rivalité entre les États-Unis et l’Union soviétique. Sans vrais moyens, la Belgique a très vite été hors-jeu, en particulier après la sécession de la riche province du Katanga par Moïse Tshombe et l’assassinat de Patrice Lumumba le 17 janvier 1961. Après l’arrivée au pouvoir de Joseph-Désiré Mobutu, c’est la CIA américaine qui est à la manœuvre. L’opération franco-marocaine de Kolwezi en mai 1978 contre les « Katangais » soutenue par les Cubains était déjà une opération de «  guerre froide » pour empêcher les soviétiques d’avoir accès au cobalt congolais. Ceci dit, le maréchal Mobutu avait une certaine marge de manœuvre pour gérer le pays à sa guise. À la fin des années 1970, il a même laissé croire aux Zaïrois qu’ils étaient désormais totalement «  décolonisés » en lançant une opération de « zaïrianisation » : le franc congolais est remplacé par le « zaïre  », Léopoldville devient Kinshasa, suppression des noms chrétiens, l’abacost (« à bas le costume ») remplace le costume occidental, certaines mines sont nationalisées au profit du premier cercle du «  maréchal ». Au début des années 1980, Mobutu Sese Seko (Mobutu le guerrier) est l’un des hommes les plus riches de la planète.

Quels sont les principaux acquis des indépendances africaines ?

A.G. : Le premier acquis des indépendances africaines des années 1960 a été l’accès pour un certain nombre de pays à la gestion de leurs États. Mais c’est une indépendance limitée car, à peine sortie de la colonisation, l’Afrique est devenue un enjeu géostratégique entre les deux blocs : l’Est et l’Ouest. Les indépendances africaines ont été en grande partie octroyées sous la pression des deux vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis et l’Union soviétique. Au sortir de la guerre, les Américains et les Soviétiques ont fait pression sur les colonisateurs afin de pouvoir remplacer l’ordre colonial et installer rapidement un nouvel ordre mondial. Les Africains ont donc dû rapidement choisir leur camp entre puissances coloniales et poursuite d’une politique postcoloniale comme dans le « pré carré » français ou soutien soviétique à des mouvements de libération en contrepartie d’une zone d’influence. Dans un deuxième temps, l’acquis des indépendances africaines a été la solidarité entre mouvements de libération, comme entre l’Algérie et l’Afrique du Sud.

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F.V. : Les indépendances ont quand même transformé la carte du monde. Tout d’un coup, on a vu les pays africains prendre leur place à l’Assemblée générale de l’ONU. Ils ont fait entendre la voix de l’Afrique à la tribune du monde. Rétrospectivement, cela peut paraître un développement mineur, mais il ne l’est pas totalement, même si les voix des pays africains sont souvent instrumentalisées par les grandes puissances. Il n’en reste pas moins que la présence des États africains à l’ONU leur a donné une marge de manœuvre qu’ils n’avaient pas auparavant. Par ailleurs, sans les indépendances, il n’y aurait eu ni l’Organisation de l’Union africaine, devenue l’Union africaine depuis 2002, ni les organisations régionales qui, de l’aveu même des pays membres, jouent un rôle majeur dans l’évolution démocratique de l’Afrique. Et bien sûr, tout le travail autour de l’unité du continent, de l’abolition des frontières héritées du colonialisme, les solidarités Sud-Sud, n'aurait pas été possible sans la fin de la mainmise politique de l'Europe sur le continent.

On assiste aujourd’hui à la prise de conscience que la libération promise par les indépendances ne peut être effective sans la décolonisation des imaginaires, des savoirs et des cultures. Où en est-on dans ce combat ?

F.V. : On est plein dedans. Ce combat pour la décolonisation des esprits a gagné en ampleur ces dernières années grâce aux réseaux sociaux, des mouvements de jeunesse et de femmes qui favorisent la circulation des idées et des débats. Mais cette réflexion a commencé avec Aimé Césaire, Amilcar Cabral, Ngugi wa Thiong’o ou encore Frantz Fanon, qui ont lumineusement écrit sur ce sujet. Fanon a expliqué que le colonialisme ne se contente pas d’exploiter les corps, mais qu'il a aussi des effets psychiques sur les colonisé(e)s. Dans Peau noire, masque blanc, son livre incontournable sur cette thématique, Fanon rappelle qu’on ne peut se libérer de la dépendance coloniale uniquement en construisant une économie forte ou un État fort. Pour lui, le processus de libération coloniale passe aussi par la décolonisation de soi, c’est-à-dire le travail sur soi qui consiste à se débarrasser des complexes que l’Occident a mis dans la tête et les imaginaires des colonisé(e)s. Des féministes africaines, noires ou du Sud global, ont poussé plus loin cette réflexion en appelant à la décolonisation épistémologique ou des structures du savoir. Je cite souvent la fameuse phrase de la « queer » féministe noire états-unienne, Audre Lorde : « On ne détruit pas la maison du maître avec les outils du maître », qui résume bien cet effort qu'il nous faut faire. On a vu ce mouvement de décolonisation de l'esprit à l'œuvre dans les immenses manifestations d’étudiant(e)s en Afrique du Sud, mais aussi en Angleterre, autour de la campagne « Rhodes Must Fall », appelant à déboulonner la statue du colonialiste Cecil Rhodes. Ces questions occupent aussi une large place dans les romans, les films et les œuvres artistiques issues du continent.

A.G. : Il me semble que cette question de la décolonisation des esprits n’est encore d’actualité que dans les anciennes colonies françaises où une politique «  de dépendance dans l’interdépendance », selon la formule d’Edgar Faure, s’est poursuivie pendant toute la période postcoloniale, en particulier pour toute une génération qui a baigné dans la «  Françafrique  ». Au Nigeria, pays du Nollywood, bien loin d’une «  britannico-Afrique », la question ne se pose même pas. En Afrique du Sud, c’est surtout la décolonisation économique qui est en débat, pas celle des esprits et des cultures. Pour les intellectuels des pays francophones, tels que Felwine Sarr ou Achille Mbembe, l’enjeu consiste à sortir du dialogue étroit Afrique-France dans lequel l’évolution postcoloniale de leurs pays les ont enfermés. Ce qui les intéresse, c’est la perspective Afrique-Monde et pas France-Afrique.

Ils appellent à «  provincialiser l’Europe ». Comment comprenez-vous cette formule ?

A.G. : « Provincialiser l’Europe », c’est signifier que l’Europe n’est plus au centre du monde et surtout qu’elle n’incarne plus cette histoire universelle qui engloberait celle des Africains. D’où la création de mouvements intellectuels africains endogènes autour des Ateliers de la pensée à Dakar justement pour écrire «  l’Afrique-monde ». « Les Africains doivent se purger du désir d’Europe », insiste Achille Mbembe, fondateur de ces Ateliers avec l’écrivain Felwine Sarr. C’est intéressant de voir qu'Achille Mbembe et Felwine Sarr, tous les deux pensent trouver dans les universités américaines, au-delà des moyens matériels, une autonomie de travail qu’ils n’ont pas trouvée en Europe.

F.V. : Je comprends cette expression comme un appel à se constituer une autre épistémologie, une autre manière de voir le monde à partir du Sud et à partir de cette longue histoire qui précède l’histoire coloniale. Si l’esclavage et le colonialisme occidental font bel et bien partie de l’histoire africaine, ce n’est pas toute l’histoire. L’histoire de l’Afrique est faite d’échanges millénaires entre les villes de la côte est et l’Asie et le Moyen-Orient, elle est faite de circulation de textes et d’idées qui passent par Tombouctou et Al-Azhar, de relations géopolitiques Sud-Sud illustrées par les conférences de Bandung et la rencontre tricontinentale au XXe siècle. Tout cela définit d’autres cartographies dans lesquelles l’Europe est périphérique, voire  « provinciale ». Même si l’Europe se targue encore de posséder des forces militaires qui sont capables d’entraver la montée d’autres puissances, on ne peut pas ne pas noter que la centralité de l’Europe comme force épistémique est en train de s’amenuiser.

L’universalisme occidental semble être le principal ennemi à abattre dans ce combat pour la décolonisation des imaginaires. N’est-ce pas plutôt paradoxal de vouloir rejeter l’humanisme universel occidental, alors que les combats contre l’oppression coloniale ont été inspirés justement par la pensée universaliste des Lumières ?

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F.V : L’universalisme énoncé par les penseurs occidentaux n’a jamais existé en pratique à cause de la séparation de l’humanité entre Blancs et Noirs, entre ce que je qualifiais de « ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas ». L’Europe a bâti sa supériorité sur un « privilège blanc » fondé sur l’exploitation des hommes et femmes des autres continents, sur le pillage de leurs ressources et leurs imaginaires. L’universalité à laquelle aspirent aujourd’hui les intellectuels non occidentaux passe par la suppression de ce privilège blanc et l’égalité réelle de tous les êtres humains. Ces promesses d’égalité et d’universalité faisaient déjà partie des idéaux qui animaient les révolutionnaires haïtiens du XVIIIe siècle. On a oublié que la révolution haïtienne fut une des plus grandes révolutions du monde, parce qu’elle fut anticoloniale, antiraciale et anti-esclavagiste. Elle fut aussi la seule révolution à tenir ses promesses en instituant une citoyenneté ouverte fondée sur des valeurs modernes d’intégration et non d’exclusion. Ni les révolutionnaires français, ni les Américains ni les Anglais ne réussirent à tenir leurs promesses de l’universalité.

A.G. : Force est de reconnaître qu’il y a souvent eu un décalage entre la proclamation de l’universel par l’Occident et sa défense des intérêts nationaux, patriotiques. La pensée universaliste des Lumières a été très largement dénaturée par les actions politiques sur le terrain qui avaient pour but de perpétuer la domination coloniale et postcoloniale.

On a assisté, ces dernières années, à l’intensification des campagnes demandant que les statues des anciens esclavagistes et coloniaux honorés soient déboulonnées et que les œuvres d’art pillées dans les pays colonisés soient rendues. Au-delà de leur valeur symbolique, ces actions permettraient-elles de réparer l’Histoire ?

A.G. : Selon moi, le renversement de la statue de Cecil Rhodes, colonialiste anglais qui a donné son nom à la Rhodésie avant qu’elle ne soit rebaptisée Zimbabwe en 1980, n’a de sens que s’il s’accompagne d’un véritable travail des historiens de ce pays sur la décolonisation. Quant à la restitution des œuvres d’art pillées, elle demeure à ce jour largement une affaire symbolique franco-africaine. Aucun dirigeant africain n’en a vraiment fait jusqu’à présent son cheval de bataille au nom d’une Afrique soucieuse de retrouver ses racines et sa culture. Ainsi, le futur musée d’Abomey, qui doit accueillir les 26 œuvres qui seront retournées au Bénin, sera largement financé par le contribuable français via l’Agence française de développement (AFD). Il me semble que pour les jeunes Africains, la démarche serait plus crédible si leurs pays respectifs s’emparaient de la question plutôt que de laisser l’initiative aux anciennes puissances coloniales comme la France.

F.V.: Le déboulonnement des statues et la restitution des œuvres d’art pillées ne sont pas seulement des démarches symboliques. Ils sont en effet liés à une politique de réparation de l'Histoire qui a été à peine entamée et à laquelle l’Occident résiste avec toute sa force. Le pillage du continent africain, que ce soit dans le domaine des artefacts ou des matières premières, a été absolument massif. Les arguments avancés par les puissances occidentales pour refuser la restitution des œuvres d’art font preuve d’une mauvaise foi flagrante, empreinte de racisme. Or, c’est d'une part en déboulonnant des statues des chefs coloniaux qui ont torturé, massacré, humilié les colonisés qui s'étaient opposés à leur force brutale, et d’autre part en rendant aux pays d’origine les œuvres d’art qui leur reviennent de plein droit, qu’on peut réellement exorciser le passé esclavagiste et colonialiste des pays européens et faire progresser cette décolonisation des imaginaires à laquelle appelait Frantz Fanon.

Dans vos parcours personnels, à quel moment êtes-vous devenus sensibles à cette indispensable décolonisation des imaginaires et de l’esprit ?

A.G. :  Au cours de mes études de sociologie et d’ethnologie, il m’est très vite apparu que la réalité sociale et l’extraordinaire richesse de l’imaginaire sur ce continent étaient totalement niées ou ignorées. La complexité des systèmes de parenté et de valeurs communautaires m’a très vite intrigué et passionné. Un intérêt pour ce qui se passait de l’autre côté du miroir qui m’a beaucoup aidé plus tard dans mon travail de journaliste.

F.V. : Ce sont sans doute les injustices incroyables perpétrées sur fond de racisme et d’affirmation de supériorité que j’ai pu voir de mes propres yeux en grandissant à La Réunion dans les années 1950-1960 qui m’ont rendu sensible à cette question. La Réunion était une ancienne colonie esclavagiste et ce passé se sentait dans les rapports de force entre l'État et la population, cela se sent encore. Quand l’esclavage a été aboli, le pouvoir colonial a fait venir de Madagascar, de la côte est de l’Afrique, du sud de l’Inde et de la Chine, une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci. Le pouvoir économique et de l’État était aux mains d’une petite élite blanche. Celle-ci avait institutionnalisé l’exploitation et le racisme sur lesquels était fondée la prospérité de l’île. Mes parents, qui étaient des militants anticolonialistes, nous autorisaient à passer de temps en temps quelques jours avec des familles de la classe populaire qu’ils connaissaient ou dont ils étaient devenus amis. C’étaient ces expériences de vie qui m’ont sensibilisée à la condition coloniale et raciale, même si à l’époque, comme j'étais encore très jeune, je ne comprenais pas tous les enjeux. Plus tard, chemin faisant, les lectures, le cinéma, les rencontres m’ont permis de faire sens de ce vécu. C’est à La Réunion que j’ai compris qu’il fallait toujours écouter les plus vulnérables, les plus fragilisés, qu’il fallait combattre racisme et colonialisme sous toutes leurs formes.

 

(1) Féministe et spécialiste des questions liées à la traite négrière, Françoise Vergés est auteure de plusieurs livres. Son dernier ouvrage s’intitule Le Ventre des femmes (Albin Michel, 2017).

(2) Antoine Glaser est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les relations franco-africaines. Il a publié en 2017 Africa France : quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu (Pluriel).

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Achille Mbembe : « Emmanuel Macron a-t-il mesuré la perte d’influence de la France en Afrique ? »

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Jeune Afrique - 27 novembre 2020

Par  Achille Mbembe

Historien et politologue camerounais.

Des intellectuels africains répondent à Emmanuel Macron (1/3). Suite à l’interview accordée par le chef de l’État français à Jeune Afrique, le 20 novembre, plusieurs intellectuels ont souhaité lui répondre. Jeune Afrique a choisi de publier trois de leurs contributions.

Celles et ceux qui ont eu l’opportunité d’échanger avec le président Emmanuel Macron au sujet de la politique française en Afrique auront été frappés par sa pugnacité et sa vivacité d’esprit. Sa longue interview accordée à Jeune Afrique en aura cependant laissé perplexe plus d’un, en particulier celles et ceux qui étaient disposés à lui accorder le bénéfice du doute. Les sceptiques, en revanche, crient victoire. Dès le début, ils ont dénoncé l’effort consistant à faire passer une révision en profondeur des rapports franco-africains ce qui, à leurs yeux, n’était qu’une simple opération marketing.

À LIRE Exclusif – Emmanuel Macron : « Entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour »

Comment leur donner entièrement tort ? Flagrante absence d’imagination historique en effet. Aucune parole politique de poids. Pas un seul concept. À parcourir rapidement ces pages, l’on en ressort avec la ferme impression que la France n’aspire qu’à une chose, sur un continent dont elle s’accorde pourtant à reconnaître le rôle vital au cours de ce siècle. Faire de l’argent.

Cynisme et raison d’État

Mieux, faire de l’argent à la manière de la Chine et de son impérialisme froidement prédateur. La Chine, ce nouveau venu que l’on présente volontiers comme un repoussoir de jour, mais que l’on ne peut s’empêcher d’admirer à la nuit tombée, le dragon qui pille gaiement, et qui, sans s’encombrer d’on ne sait quelle mission civilisatrice, oblige les Africains à gager leurs sols, sous-sol et autres biens et à tout vendre, dans l’espoir de s’acquitter de colossales dettes dont le gros des montants aura été détourné par des élites vénales.

À LIRE « À bas la France ! » : enquête sur le sentiment anti-français en Afrique

Caricature ? À peine. Étonnement? Pas davantage. En maints endroits du monde, le libéralisme se conjugue désormais au nationalisme et à l’autoritarisme. Très peu d’États ou de régimes peuvent aujourd’hui mettre le poids d’une conduite exemplaire dans les remontrances qu’aux autres ils veulent faire. Pourquoi, dans la nouvelle course pour le continent, la France se priverait-elle d’avantages auxquels ses concurrents n’ont guère renoncé ?

IL SOUHAITE QUE SON PAYS FASSE PREUVE DU MÊME VIRILISME SANS QUE NE LUI SOIT RENVOYÉ À LA FIGURE SON PASSÉ COLONIAL

Emmanuel Macron souhaite que le France fasse preuve du même virilisme sans qu’à tout bout de champ ne lui soit renvoyé à la figure son passé colonial. Ou que lui soient chaque fois rappelés ses hypothétiques devoirs en matière de défense de la démocratie, des droits humains et des libertés fondamentales. Après tout, si les Africains veulent la démocratie, pourquoi n’en paient-ils pas eux-mêmes le prix ?

Prenons donc acte du fait que, constamment, le rapport des chefs d’État de la Ve République avec l’Afrique aura été avant tout motivé par des intérêts militaro-commerciaux. Dans ce domaine, ni l’âge ni l’écart générationnel ne jouent aucun rôle, sauf peut-être idéologique, comme aujourd’hui. Les sentiments non plus, qu’ils soient d’amour, de haine ou de mépris. Seule compte la raison d’État, c’est-à-dire un ou deux juteux contrats grappillés ici et là.

Vertigineuse perte d’influence

Si, dans ce monde de larcins, calcul froid et cynisme prévalent, qu’est-ce qui distingue donc Emmanuel Macron de ses prédécesseurs ? A-t-il, mieux qu’eux, pris l’exacte mesure de ce qui se joue effectivement, à savoir la vertigineuse perte d’influence de la France en Afrique depuis le milieu des années 1990 ? Que certains s’en désolent tandis que d’autres s’en réjouissent importe peu. Dans un cas comme dans l’autre, l’on a bel et bien atteint la fin d’un cycle historique.

La France ne dispose plus des moyens de ses ambitions africaines, à supposer qu’elle sache encore clairement en quoi celles-ci consistent. Étrangement, tant du côté africain que du côté français, le fantasme de la puissance persiste. Les uns et les autres continuent de penser et d’agir comme si la France pouvait encore tout se permettre sur un continent lui-même affaibli par plus d’un demi-siècle de gérontocratie et de tyrannie.

LE FRANC CFA N’EST TOUJOURS PAS ABOLI. LES RÉGIMES CORROMPUS NE CESSENT D’ÊTRE PLACÉS SOUS RESPIRATION ARTIFICIELLE

À sa manière, le président français a tenté d’infléchir le cours des choses. Mais il s’est bien gardé de débusquer le fantasme alors que c’est le fantasme qu’il faut liquider. Cherchant à relever le niveau d’attractivité de son pays, il s’est attaqué en priorité aux perceptions et a ouvert quelques chantiers peu coûteux, mais susceptibles de rapporter de beaux dividendes symboliques. Ainsi du projet de restitution des objets d’art conservés dans les musées français. Ainsi également de la Saison Africa 2020, dont plus de 50 % du budget provient de fonds publics, mais qu’il se gardera curieusement d’inaugurer lui-même tel que l’aurait voulu la tradition.

Entretemps, le Franc CFA n’est toujours pas aboli. Bien qu’usés, les régimes violents et corrompus ne cessent d’être placés sous respiration artificielle. Les opérations militaires se succèdent, même si, pour l’heure, elles se soldent surtout par une interminable métastase des groupes jihadistes et autres cartels de trafiquants et caravaniers.

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Avec ses milliers de soldats présents sur divers théâtres africains, l’armée est devenue, avec l’Agence française de développement, le principal pourvoyeur et consommateur de discours et de récits que des représentations françaises concernant le continent. Pour le reste, gestion des risques, notamment migratoires, et management à distance suffiront, pense-t-on.

A-t-on véritablement pris la mesure des contradictions qui ne cessent de s’accumuler ? Comment peut-on vider un contentieux dont on s’évertue à nier l’existence ou à minimiser l’importance ? A-t-on compris que loin d’être transitoire, le discrédit dans lequel la France est tombée est un phénomène structurel et multi-générationnel et non point le résultat de l’envoûtement victimaire de quelques ex-colonisés ?

Thèses anti-décoloniales

Aucun de ces défis n’étant pris à bras le corps, il n’est guère surprenant que les gestes qu’Emmanuel Macron prend pour de franches ouvertures dans un débat qu’il voudrait dénué de tabous, ouvert et « décomplexé » ne suscitent que peu d’intérêt chez celles et ceux auxquels il aimerait s’adresser.

Que sur des questions pourtant essentielles il se trompe souvent de diagnostic ne fait qu’aggraver les incompréhensions. Que gagne-t-on, par exemple, à plaquer des querelles franco-turco-russes sur le différend franco-africain ? Que dire des propos concernant la colonisation, cet autre aspect du litige ? Se méprendrait-on tant sur la nature exacte des rapports entre l’histoire et la mémoire, au point de prendre l’une pour l’autre, si le nécessaire travail de réflexion en amont avait été accompli et l’expertise en la matière mise à contribution ? Affirmer au Nord que la colonisation fut un « crime contre l’humanité » et au Sud qu’il s’agissait avant tout d’une « faute », c’est faire un pas en avant afin de mieux en faire deux en arrière.

ON PRÉFÈRE S’APPUYER SUR UNE MOUVANCE IDÉOLOGIQUE QUI A FAIT DE LA PEUR DE L’ISLAM SON FONDS DE COMMERCE

L’on serait tenté de passer outre de telles vétilles si elles ne révélaient pas la structure d’une pensée de l’Afrique dont les ressorts profonds sont à chercher du côté des thèses anti-décoloniales en vogue dans les milieux laïcistes et de la droite conservatrice. Alors que la France compte des experts de l’Afrique parmi les plus réputés au monde, l’on préfère s’appuyer sur une mouvance idéologique qui a fait de la peur de l’islam son fonds de commerce et du spectre du « communautarisme » sa vache à lait.

Comment comprendre autrement la démarche qui consiste à rabattre tous les déboires de la France en Afrique sur un prétendu panafricanisme de mauvais aloi dont on ne nous explique pas pourquoi il serait davantage dirigé contre cet ancien colonisateur plutôt que contre tous les autres ?

À LIRE [Tribune] Emmanuel Macron, l’islam et les risques d’amalgames

Prétendre en outre que la critique du racisme fait le lit du « séparatisme » vise peut-être à donner quelques gages aux idéologues de la droite conservatrice, voire de l’extrême-droite et aux nationalistes de tous bords. Mais hors-l’Hexagone, de telles affirmations ne sont pas seulement incompréhensibles. Elles font fi de l’apport intellectuel des Africains et de leurs diasporas au discours universel sur l’émancipation humaine et n’aident en rien à l’analyse et la compréhension des enjeux franco-africains contemporains.

Une parole à peine audible

En réalité, la France et les tyrans africains qu’elle aura soutenu à bout de bras depuis 1960 sont les premiers responsables de son discrédit auprès des nouvelles générations. Le cycle néocolonial ouvert par le Général de Gaulle lors de la Conférence de Brazzaville en 1944 aura fait long feu. Mis en pratique dans la foulée des décolonisations formelles, il est à bout de course. Il a perdu ses principaux ressorts au sortir de la guerre froide, lorsque la France a livré ses « provinces africaines » pieds et poings liés aux diktats des institutions de Bretton-Woods et a entamé son propre tournant néolibéral.

Sans nécessairement brûler les vaisseaux, l’ancienne puissance tutrice n’a eu de cesse, depuis lors, de se dessaisir elle-même de ses principaux atouts sur le continent, libérant au passage des dynamiques de désapparentement qu’elle ne parvient plus à juguler. La hausse des frais universitaires pour les étudiants étrangers, dont près de 45 % venaient d’Afrique, en est une frappante illustration. Au même moment, la Chine en accueille près de 80 000.

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Rien, pour le moment, n’indique que l’hémorragie ait été stoppée au cours des quatre dernières années. Au contraire, le tableau est plus que jamais contrasté. Si parole politique il y a, elle est à peine audible. Analyse et prévision sont tombées dans la besace des corps expéditionnaires. Le Conseil présidentiel pour l’Afrique agit davantage comme une organisation non gouvernementale que comme un foyer de réflexion prospective.

Le choix des diasporas comme bras civil d’une croisade pro-entreprise ne semble reposer sur aucune réalité sociologique avérée. Au contraire, il risque d’aviver la course aux rentes et les penchants affairistes là où la priorité devrait être au renforcement des capacités culturelles et sociales des communautés et à la protection des libertés fondamentales.

Transformer l’imaginaire africain

Il se pourrait qu’aux générations d’aujourd’hui et de demain, la France n’ait finalement rien d’autre à proposer qu’un bon vieux pacte. Les Africains s’engageraient à oublier volontairement le passé colonial. À la place, ils cultiveraient assidûment un nouvel ethos, l’amour des affaires et une passion du lucre prestement rebaptisées au fronton de l’« entreprenariat » et du militarisme.

LE CAPITAL SOCIAL, INTELLECTUEL ET ÉCONOMIQUE DE LA FRANCE EN MATIÈRE AFRICAINE EST EN PASSE D’ÊTRE DILAPIDÉ

Tel n’est toutefois pas le seul chemin possible. Emmanuel Macron en est lui-même persuadé, pour que change le paradigme, il ne suffit pas de modifier le style. Il faudra reconstituer de véritables capacités d’analyse historique et prospective. Il faudra surtout, alors qu’ils sont tentés de se recroqueviller sur eux-mêmes, transformer en profondeur l’imaginaire africain des Français. Un tel travail politique et culturel de long terme ne peut se faire qu’indépendamment des contraintes du calendrier électoral.

De tous les pays européens, la France dispose du capital social, diplomatique, intellectuel, artistique, économique et scientifique le plus riche en matière africaine. De mille et une bonnes volontés également. Que l’on en arrive à un point où le mirage chinois, affairisme mâtiné d’autoritarisme et de militarisme, constitue la seule alternative offerte aux générations africaines montantes montre avec quelle force ce capital multiforme est en passe d’être dilapidé, et l’imagination historique émasculée.

ISLAM, TERRORISME, BLASPHEME ET LIBERTE D'EXPRESSION

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Pourquoi l'islam interdit les attentats

INTERVIEW. Comme le rappelle le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, d'après le Coran, le musulman est détruit par le mal qu'il commet.

Propos recueillis par Catherine Golliau - Publié le 22/12/2016 à 06:37 | Le Point.fr

Souleymane Bachir Diagne est philosophe et professeur à l’université de Columbia, auteur, entre autres, de Comment philosopher en islam (Éditions du Panama, 2008). © Photo Antoine Tempé

Le Point.fr : « Musulman » signifie en arabe « soumis » : le croyant se soumet au Dieu unique et tout-puissant. Comment peut-il disposer d'un libre arbitre ?

Souleymane Bachir Diagne : La sourate 2 du Coran est claire à ce sujet : l'humain est le seul être capable de troubler l'ordre établi, parce que Dieu a voulu le créer libre. Le récit de la création en islam est en effet très différent de celui que nous livre la Genèse dans la Bible. Dans cette sourate, Dieu prévient les anges qu'il va se donner un représentant sur terre. Ces derniers s'inquiètent qu'il veuille établir sur terre un lieutenant, un calife. Ne va-t-il pas faire advenir le mal et le sang ? Mais Dieu leur répond : « Je sais que vous ne savez pas. » Et il passe outre. En fait, il crée un fauteur de troubles. Il le fait libre, et cette liberté fait advenir le mal. La conséquence de cette création sera notamment la rébellion d'Iblis, un ange qui refuse de se prosterner devant l'homme et qui dit à Dieu : « Je suis meilleur que lui. Tu m'as fait de feu, et lui d'argile. » Il est le Satan de l'islam, celui qui n'aura de cesse de tenter l'humain pour le faire chuter.

Mais comment se définit le mal en islam ? Est-ce, comme dans le cas d'Iblis, se révolter contre la volonté de Dieu ?

Si l'on se fonde sur le Coran, faire le mal, c'est se faire du tort à soi-même. En arabe, on dit dhulm nafs, faire du tort à son âme. Quand Adam et Ève ont désobéi à Dieu et sont chassés du paradis, ils se repentent et disent : « Seigneur, nous nous sommes fait du tort à nous-mêmes. » En islam, le mal que l'on fait à l'autre nous détruit parce qu'il annihile l'humanité que nous portons en nous. Pour le sage soufi Tierno Bokar, « toute chose retourne à sa source ». Le mal se retourne toujours contre celui qui l'a commis. L'analyse philosophique que j'en fais, et je me place pour cela dans la lignée du grand penseur indien Mohammed Iqbal, est que le mal nous fait oublier qui on est, et donc oublier notre relation à Dieu. De fait, être musulman peut se résumer par trois dimensions : d'abord avoir la foi, iman, en Dieu, son message – le Coran –, et son œuvre – la création. Ensuite, avoir le respect de ce qui fait de soi un musulman. Enfin, l'excellence de caractère, ihsan, en arabe. Dans un hadith célèbre, Mohammed dit : « Adorer Dieu comme si on le voyait en sachant que si on ne le voit pas, lui nous voit. » Il faut agir en ayant constamment la conviction que l'on est en face ou sous le regard de Dieu. Ce qui implique que si l'on vit pleinement sa foi en l'islam, il y a des choses que l'on ne fait pas.

Quel est le rôle de la Loi, la charia ?

Elle définit les bonnes pratiques. Mais c'est un mot valise au sens très étendu. Le Coran ne le cite même pas. Aujourd'hui, elle désigne le comportement que doit suivre le bon musulman tel que l'ont défini au cours des siècles des juristes en se fondant sur le Coran, les hadiths, c'est-à-dire les mots et les gestes du prophète Mohammed et de ses compagnons les plus proches. Ce n'est pas elle qui définit les valeurs éthiques. Celles-ci relèvent d'un humanisme fondé sur la dignité de l'homme, dont le Coran est la base. Comme le dit le verset 30 de la sourate de la Vache, Dieu a créé l'homme pour qu'il soit son « calife », c'est-à-dire son lieutenant sur terre. Le mot « calife » est très fort. Et c'est d'ailleurs la seule référence au califat qui soit présente dans le Coran. L'humain est le lieutenant de Dieu, il tient la terre pour lui. Il est responsable de la création de Dieu. C'est là sa dignité et une responsabilité énorme. C'est donc à partir de cette responsabilité que l'on définit le bien et le mal. Je conseille à tous la lecture du philosophe autodidacte andalou (Hayy Ibn Yaqdhan) d'Ibn Tufayl, du XIIe siècle, qui aurait, dit-on, inspiré Daniel Defoe pour son Robinson Crusoé.

L'histoire d'un enfant sauvage ?

Oui, C'est l'histoire d'un jeune garçon qui, seul sur une île déserte, doit découvrir le monde par lui-même. Il va pour cela développer sa capacité de déduction de manière quasiment scientifique. Mais pour survivre, il doit manger des plantes et des animaux et donc détruire la nature. C'est l'occasion pour lui de prendre conscience non seulement de la grandeur et de la beauté de cette nature, mais aussi de sa responsabilité vis-à-vis de la création voulue par Dieu. Ce qu'il prend, il doit le rendre, d'une manière ou d'une autre. L'homme ne fait que participer à la création, dont il est le gardien.

Les actes du musulman ne sont-ils pas divisés entre ce qui est haram, autorisé, et halal, interdit ?

Contrairement à ce que l'on pense trop souvent, l'islam n'est pas un code, ce n'est pas une religion qui se définit par des pratiques autorisées ou non. Il suffit de lire Le Livre du licite et de l'illicite, le fameux ouvrage d'Al Ghazali, l'un des plus grands théologiens de l'islam, pour se rendre compte que le sujet est beaucoup plus compliqué que l'établissement d'une simple liste de pratiques. Aujourd'hui que sévit une vision rétrécie de l'islam, motivée par une affirmation identitaire et tribaliste, ces notions de licite et d'illicite s'appliquent à tout et n'importe quoi. Or cela ne repose sur rien. Certes, le Coran parle de « licite », mais c'est uniquement pour la nourriture. Et sont considérés comme « licites » les mets sur lesquels le nom de Dieu a été prononcé. Il ne dit rien de plus. Longtemps, les musulmans qui vivaient en Europe ont mangé de la viande « cachère » faute de pouvoir manger de la viande « hallal ». Et le grand mufti égyptien Mohammed Abduh, au début du XXe siècle, n'a pas hésité à considérer comme licite la nourriture tuée dans le monde chrétien selon les rites chrétiens. Le fondamentalisme, notamment salafiste, nie la fluidité juridique de l'islam telle qu'elle a été élaborée au cours des siècles par ses écoles juridiques. Les fondamentalistes veulent aujourd'hui figer cette jurisprudence au mépris des intérêts de l'homme. Or, comme le rapporte un hadith, Dieu a dit : « Nous avons ennobli les enfants d'Adam. » Cette idée de la noblesse de l'être humain, qu'il soit homme ou femme, est essentielle en islam. Celui qui sauve une vie sauve l'humanité. L'homme est au centre de la création, tout doit être fait pour son bien. Ceux qui réduisent l'islam à des pratiques qui nient l'humain ne font que l'instrumentaliser.

S'il fallait définir l'islam par un mot, pourrait-on dire que c'est la religion de la responsabilité, quand le christianisme, par exemple, se définit par l'amour du prochain ?

L'islam n'est pas moins une religion de l'amour qu'une autre. Le grand mystique Rûmi, à l'origine des derviches tourneurs, a dit : « Ma religion, c'est l'amour. » Mais vous avez raison en disant que c'est une religion de la responsabilité par rapport à la création de Dieu. Et c'est même une responsabilité très grande, qui n'a vraiment rien à voir avec l'islam d'Internet.

Le Point Références "Le bien et le mal" est vente en kiosque pendant deux mois, ou disponible dans notre boutique. 7,50 euros.

Souleymane Bachir Diagne est philosophe et professeur à l'université de Columbia, auteur, entre autres, de Comment philosopher en islam (Éditions du Panama, 2008), L'Encre des savants : réflexion sur la philosophie en Afrique (Présence africaine, 2013) et, avec Philippe Capelle-Dumont, de Philosopher en islam et christianisme (Cerf, 2016).


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Caricaturer le prophète ? Ce qu’en dit le Coran, ce qu’en font les hommes ...

L’historienne et anthropologue Jacqueline Chabbi, grande spécialiste des origines de l’islam, explique comment la figure de Mahomet est piégée entre caricatures et images saintes.

Par Jacqueline Chabbi (Historienne)

Publié le 14 novembre 2020 à 18h00

Temps de lecture 6 min

Représentation de la monture miraculeuse qui permet à Muhammad de visiter les cieux lors du Mi’râdj, le voyage céleste. Ce voyage est inventé dans la tradition musulmane postérieure au Coran mais connaît un grand succès jusqu’à l’époque moderne. Cette image a été publiée à Tunis par la librairie al-Manâr, probablement au début du XXe siècle.

En tant qu’homme, celui que le monde musulman considère comme un prophète est mort en 632 de l’ère commune soit au début de l’an 11 de l’hégire. Alors, face à ceux qui prétendent défendre une figure qu’ils sacralisent et qui se clament choqués lorsqu’ils sont mis en présence d’un dessin de presse, il peut être important de revenir au cadre de vie historique de celui qu’ils veulent venger.

Peut-on comparer Yahvé et Allah ?

Le Coran connaît effectivement une notion que l’on pourrait, à première vue, assimiler à « l’offense ». Ainsi est-il question de ceux qui s’en prennent (verbalement), yu’dhûn, à celui que le Coran nomme soit le Prophète (al-nabî) soit le Messager d’Allâh (rasûl Allâh), comme dans la sourate IX, verset 61 et la sourate XXXIII, verset 57. Il s’agit donc bien de Muhammad. A ceux qui font cela, donc aux contemporains de Muhammad qui le contestent, le Coran promet un « tourment douloureux », ’adhâb alîm.

Le châtiment dans les seules mains d’Allah

Certains, aujourd’hui, croient manifestement qu’un tel passage peut les conduire à armer leur bras pour appliquer eux-mêmes le châtiment promis. Il n’en est évidemment rien. C’est un total contresens sur le texte sacré dont ils se réclament. Dans le Coran, le tourment désigné par le terme ’adhâb est dans la main du divin et de lui seul. Il n’y aucune ambiguïté à cet égard. Aucun homme n’est en mesure de s’en attribuer l’exécution. Il s’agit en outre d’une menace qui est le plus souvent de type eschatologique, comme dans les versets signalés, ou alors il est question des légendes de peuples disparus ou de cités détruites (sourate XVIII, v. 59), dans la disparition et la destruction desquels le Coran voit la main de son dieu, qui serait ainsi en capacité d’exercer sa vengeance en ce monde.

De la difficulté de dessiner Mahomet

Mais il y a beaucoup plus significatif encore si on interroge le Coran à partir des mots de son texte et de leur valeur d’usage dans la société de Muhammad, au VIIe siècle, en Arabie. Le mot que l’on peut comprendre aujourd’hui comme l’« offense » et qui serait passible du tribunal est représenté dans la société du Coran et dans le Coran lui-même comme un « dommage », adhâ. Mais dans la mesure où ce dommage reste dans l’ordre de la parole, même s’il s’agit d’une insulte – comme c’est le cas dans CVIII, 3 ou LXIII, 8 –, ce dommage n’entraîne aucune sanction. Dans ce cas, il est simplement conseillé de pratiquer le tawakkul, autrement dit la « remise » au divin qui saura, lui, punir comme il se doit (XXXIII, 48 ; XIV, 92). Dans la société du Coran, ce que l’on pourrait appeler le dommage moral n’était donc pas sanctionnable. Tout au plus pouvait-on répondre sur le même ton, notamment par l’intermédiaire de la poésie satirique, qui était l’un des arts les plus prisés dans la société de l’époque.

L’indifférence ou la caricature en retour

Si donc on transpose cette disposition du Coran dans les conditions d’aujourd’hui, cela reviendrait à dire qu’à la caricature jugée insultante ne peut répondre que l’indifférence ou alors une caricature en retour. En revanche, il en allait tout autrement du dommage physique qui entraînait blessure ou mort. Dans ce cas, que l’acte soit intentionnel ou non, c’était le qisâs qui s’appliquait, autrement dit la règle de compensation du dommage dite aussi loi du talion, à moins qu’un arrangement puisse être trouvé entre les parties, ce que recommande d’ailleurs le Coran (sourate II, v. 178-179 ; sourate V, v. 45). Telles étaient les règles de sagesse et de pragmatisme de cette société du passé qui était aussi celle du Coran. On tenait plus que tout à y préserver la vie.

Le Coran, les femmes et l’Arabie du VIIe siècle

Comment donc en est-on arrivé là aujourd’hui, dans le monde musulman, mais aussi en dehors de lui ? Comment, quand il est question d’islam, au fantasme des uns pouvant jusqu’à conduire au crime répond l’invective ou le jugement de valeur pontifiant des autres ? On est ici face à un problème de représentation du passé. Dans le monde musulman, du fait de contingences historiques diverses, la représentation manipulée du passé amenant à en sacraliser les figures est devenue un enjeu du présent. Mais alors qu’en dehors du monde musulman, nous ne souffrons pas du même handicap idéologique, et que ce qu’on appelle l’histoire critique des textes pourrait s’écrire, nous sommes fort loin du compte. Pour le réaliser, il suffit d’observer notre propre usage des mots qui est bien loin de ce qu’il devrait être pour se donner une vision rationnelle et objective de ce qu’on nomme islam.

Pakistanais, Tchétchène, Tunisien… Les nouveaux profils du terrorisme, par Olivier Roy

Caricature négative et positive, deux images fausses du passé

Mahomet, en arabe Muhammad, est ordinairement désigné comme « le Prophète de l’islam ». Cette désignation qui va de soi dans le discours courant, se retrouve le plus souvent de la même façon dans les écrits savants, y compris ceux qui s’inscrivent dans le registre historique. Faisant cela, on ne se rend pas compte qu’on ne fait que produire une formulation de type idéologique. Désigner d’emblée un homme du passé comme « prophète », c’est déjà le confondre avec une figure qui n’est plus tout à fait humaine en tant qu’elle est reliée à la surnature et au divin. On pourrait dire à ce compte que l’image qui attribue à un homme un surplus de sainteté ou de sacralité constitue par rapport à son statut humain une caricature positive.

Le terme caricature renvoie en effet étymologiquement à ce qui « charge » et « leste de poids ». Il s’emploie ordinairement pour désigner une charge négative. La caricature en dessin consiste en effet à exagérer les traits d’un personnage en produisant une déformation qui veut prêter à rire, voire à ridiculiser. Mais, en fait, du négatif au positif, le processus est le même, celui d’un ajout et d’une transformation du réel dans la représentation qu’on en donne. On pourrait donc faire le parallèle entre l’image caricaturale négative et celle qui, à l’inverse, cherche à représenter un surcroît de vertu et de beauté. Au lieu de prêter à rire voire à dénigrer, l’image surchargée de positivité donne à admirer voire à adorer. Elle tend à s’inscrire dans un processus de sacralisation. C’est le cas de la représentation visuelle, celle de l’image sainte comme de l’icône. Mais, d’une façon plus générale, c’est aussi le cas de la figure construite dans le discours, celle qui finit par s’imprimer dans l’imaginaire collectif pour produire une représentation commune. C’est à ce type de représentation que l’on a affaire dans le monde musulman d’aujourd’hui autour de la figure du Prophète. On se mobilise en foule autour de la représentation d’une figure positive partagée que l’on dit offensée par l’image inverse de caricatures de presse qui sont produites dans des pays où cette expression publique de dérision est permise.

Des cieux désirants aux déserts sidéraux, une brève histoire du ciel

On ne peut offenser ni une figure ni une image

Pourtant, si on peut offenser un homme, on ne peut offenser ni une figure ni une image. Aujourd’hui, un homme peut en effet répondre de diverses façons à l’offense qui lui est faite. Il peut le faire en s’en prenant lui-même à celui qui l’offense ou aller devant les tribunaux pour réclamer justice. Par contre, cette action que peut mener un homme vivant, une figure ne le peut pas. Elle est de l’ordre de la représentation mentale oralisée dans un discours, ou pour l’image, de l’ordre de la représentation visuelle. L’homme vivant et la figure ne sont donc pas sur le même plan. En parlant d’offense à la figure du Prophète, aussi adulé soit-il, on est donc clairement dans l’abus de langage. J’avoue être particulièrement étonnée que l’on s’en rende aussi peu compte en tant qu’humains doués de raison et formés depuis maintenant plusieurs siècles à la lecture éclairée des textes.

Régis Debray: « Une fois perdus le bon Dieu et les lendemains qui chantent, que reste-t-il ? »

Jacqueline Chabbi, bio express

Historienne et agrégée d’arabe, Jacqueline Chabbi est professeure honoraire des universités. Elle a renouvelé l’approche des origines de l’islam par l’anthropologie historique. Elle est l’auteure des essais « le Seigneur des tribus » (CNRS, 2013), « le Coran décrypté » (Le Cerf, 2014) et « les Trois Piliers de l’islam » (Seuil, 2016). Dernier ouvrage paru : « On a perdu Adam. La création dans le Coran » (Seuil, 2019). Le 24 septembre dernier, elle a publié un livre de dialogue avec Thomas Römer : « Dieu de la Bible, Dieu du Coran », aux éditions du Seuil.Jacqueline Chabbi (Historienne)

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Le droit au blasphème et le droit au respect

Publié le 20-11-20 à 09h48 - Mis à jour le 20-11-20 à 10h26

Si le "droit au blasphème" c’est le droit de manquer de respect aux convictions de l’autre et ainsi de les humilier, cela ne conduit certainement pas à une société fraternelle.

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© AFP & D.R.

Une chronique de Charles Delhez sj.

Si, par "droit au blasphème", on entend liberté religieuse, refus de la pensée unique en matière religieuse, droit à un examen libre et donc aussi critique, pour soi personnellement ou dans le dialogue, on ne peut qu’être d’accord. Si, par contre, c’est le droit de manquer de respect aux convictions de l’autre et aux personnes elles-mêmes, sans la moindre délicatesse, et ainsi de les humilier, voilà qui ne conduit certainement pas à une société fraternelle. Selon Wikipédia, en effet, le blasphème désigne à l’origine le fait de "parler mal de quelqu’un, injurier, calomnier". Et l’on n’est pas toujours loin des origines.

Le droit au blasphème ouvre à la violence verbale ou caricaturale. Il opère comme une incitation au mépris voire à la haine qui se cache derrière, directement ou indirectement, en mettant les rieurs de son côté. C’est bel et bien de la provocation, et les conséquences le prouvent. (Je ne vise pas ici le professeur Samuel Paty décapité à Conflans-Ste-Honorine.)

Bien sûr, tuer au nom de Dieu est aussi de l’ordre du blasphème et mérite tout autant d’être condamné. Ce Dieu-là n’est d’ailleurs qu’une idole. J’espère donc que la communauté musulmane se réveillera et prendra de plus en plus conscience du caractère inacceptable de ces comportements aux yeux mêmes de leur foi. Heureusement, des voix plus nombreuses qu’il y a peu s’élèvent dans leurs rangs pour condamner ce fanatisme. Je me souviens avec émotion de la visite de trois croyants musulmans, manifestement envoyés par leur communauté pour me saluer à la fin de la messe, le dimanche de Toussaint. Ils voulaient tout simplement manifester leur sympathie aux chrétiens suite aux attentats en France.

Une "difficulté congénitale"

La "laïcité à la française" est un problème franco-français lié à l’histoire religieuse de l’Hexagone. Les événements de ces jours-ci, quant à eux, relèvent plutôt du fameux "choc des civilisations" de Samuel Huntington. Deux cultures totalement différentes sont en présence. Tentons de les harmoniser plutôt que de les exacerber. Seules les valeurs positives font grandir la fraternité, et la première d’entre elles est sans doute le respect.

Et le droit à l’expression ? Je préfère la façon outre-Atlantique. La frontière n’y est pas aussi étanche entre le privé et le public au niveau religieux. Un président peut faire allusion à sa foi dès son premier discours. En Europe, on soutient les caricatures, mais peu d’hommes politiques oseraient émettre des propos aux relents religieux.

Reconnaissons que chez nos voisins - mais aussi chez nous -, il y a une "difficulté congénitale à donner une place au fait religieux, toutes confessions confondues, comme si les religions constituaient en soi une menace contre la paix civile", ai-je pu lire sous la plume de William Marx, professeur au Collège de France. Et du coup, toutes les grossièretés sont permises. Le risque, craint l’évêque d’Albi, serait de donner l’impression que "la quintessence de l’esprit français réside dans la vulgarité et la malveillance".

Des extrémismes au dialogue public

Le frère dominicain Adrien Candiard, dans son récent Du fanatisme. Quand la religion est malade (Cerf 2020), stigmatise l’exclusion de la théologie dans nos sociétés occidentales, c’est-à-dire d’un discours raisonné et critique sur la foi et sur Dieu. Une société qui se refuse à toute réflexion publique sur la question fondamentale de l’existence de Dieu et des religions, qui exclut toute position croyante du débat public, se condamne à l’apparition d’extrémismes.

Une des solutions réside dans une information juste et bien informée, une permission d’aborder sérieusement ces questions sur la place publique, entre croyants, mais aussi avec les non-croyants, sans être traité aussitôt de ringard ou de blasphémateur. Il ne suffit pas d’alarmer, d’informer, encore faut-il se former. La question religieuse traverse les siècles. Elle est une constante anthropologique. Elle mérite plus que du mépris déguisé en liberté d’expression.


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LA FRANCE EST-ELLE COMPATIBLE AVEC L'ISLAM ?

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DÉMISSION DE L’ORDRE DE LA LÉGION D’HONNEUR FRANÇAISE

PAR AMADOU TIDIANE WONE

EXCLUSIF SENEPLUS - Aujourd’hui, je ne me sens pas honoré de partager le même ordre que Samuel Paty pour des raisons profondes et sacrées. Emmanuel Macron, vous avez cherché à transformer les outranciers en héros

Amadou Tidiane Wone | Publication 12/11/2020

Lettre ouverte à Emmanuel Macron

Contexte. Un journal presque confidentiel, Charlie hebdo ex Hara-kiri, a fait de la provocation son style et de l'outrance son gagne-pain. Tant que ces dérives restaient confinées dans l'espace hexagonal, ou le cercle limité de la francophonie, l'on aurait pu ne pas s'y intéresser outre mesure. En effet : « avant janvier 2015, Charlie Hebdo sortait tout juste d'une période financièrement difficile. Avec un tirage de 60 000 exemplaires et moins de 30 000 ventes par semaine (dont environ un tiers sur abonnement)…» Source Le Point

Ainsi donc, ce canard boiteux de la presse de caniveau cherchait désespérément le moyen de se sortir du trou dans lequel l’indifférence publique l'avait confiné. Quoi de mieux, pour faire parler de soi, que de s'attaquer à une célébrité, se sont dit les promoteurs de ce torchon. Et qui est plus célèbre que le Prophète de l’Islam ? Plagiant, sans honte, le précurseur danois en ignominie, la rédaction de Charlie Hebdo publie, à la Une, un dessin qui masque à peine l’indigence mentale de son auteur. Avec un seul objectif subliminal : créer le buzz afin d'augmenter leurs ventes et sauver leur journal de la faillite. Jusqu'ici rien de glorieux. Ni de héroïque. Rien que du pilotage, à courte vue, d'une rédaction qui tente de sauver son organe du naufrage.

Il se trouve que Charlie Hebdo n'avait pas pris la pleine mesure de l'outrage, ni de ses conséquences telluriques, sur près de deux milliards de croyants dont le Prophète Mouhammad (PSL) est le leader, la référence, la boussole.  Cet homme exceptionnel est à la tête d'une communauté humaine multiraciale, enjambant frontières administratives et étatiques, toutes conditions sociales confondues, depuis 14 siècles ! Qui dit mieux ?  Le Coran, dont il est le transmetteur, est le livre au plus fort tirage de tous les temps : plus de 3 milliards d’exemplaires, vendus ou offerts, en circulation permanente ! Rien à voir avec les plus forts tirages de Charlie Hebdo au pic de la polémique. Plutôt de la bulle médiatique, malencontreusement entretenue par quelques marginaux de la classe politique et intellectuelle française. Au mépris de toutes les valeurs fondatrices de la civilisation de l’universel, entendue comme la confluence des différences qui exhaussent et expriment ce que l’homme est de meilleur. En effet, une ambiance délétère de stigmatisation de la communauté musulmane mondiale prend forme et pourrait donner naissance, si des esprits éclairés ne se manifestent, à une tragédie universelle aux conséquences incalculables.

Monsieur le président Emmanuel Macron,

Dans ce contexte périlleux, l'on se serait attendu, de la part du dirigeant de la France, à un certain sens de la mesure ou, tout au moins, à de la retenue. En plus d'une capacité de discernement qui apprécie correctement les risques géopolitiques et stratégiques d'une confrontation avec le monde musulman. Bien au contraire ! Et depuis la republication de dessins insultants et inadmissibles pour les musulmans, vous avez pris fait et cause pour la transgression. Vous avez cherché à transformer les outranciers en héros.  Au mépris de la profondeur de la peine causée à des milliards de croyants. Les yeux rivés sur les enjeux de la politique intérieure française, notamment la récupération de l’électorat des extrêmes, vous procédez à une théâtralisation de la douleur compréhensible des familles des victimes, pour tenter d'en faire le ciment d'une légitimité populaire qui vous fait tant défaut. A l’excès. Les autorités danoises n’avaient pas emprunté ce chemin déraisonnable. Un chef d’Etat doit se tenir à équidistance des communautés qui composent la Nation qu’il dirige. Nul ne peut plus nier l'existence d'une composante musulmane de la nation française ! Héritage de l’histoire coloniale de la France, conversions de plus en plus nombreuses de citoyens français de souche. L’islam, en France, est une réalité en constante progression. N'en déplaise à ceux qui veulent réduire la France à leurs fantasmes d'un monde révolu qui a donné naissance à de nouvelles réalités humaines, démographiques et sociales.

Outre le fait qu'il est de plus en plus discutable de faire porter le chapeau systématiquement, à l’islam et aux musulmans pour tout attentat terroriste, il est temps de se demander pourquoi l’assassin de Samuel Paty a été tué au lieu d’être arrêté pour les besoins de l’enquête. C’était juste un adolescent armé d'un… couteau face à une brigade d'intervention de la police française. Des professionnels donc. Il n'est pas interdit de réfléchir non plus…

Au sujet de Samuel Paty, il serait judicieux de se demander s'il est légitime, dans une démocratie qui repose sur le triptyque : Liberté-Égalité-Fraternité, de demander à une partie des élèves de sa classe de sortir parce que le cours qu'il allait donner pourrait les choquer. Monsieur Paty savait donc, dès le départ, qu'il allait faire du mal. Ne serait-ce qu'à certains de ses élèves qui ne sont coupables de rien. Comment qualifier cette posture ? Liberté d’expression ou provocation inutile ? Ce débat de fond est noyé dans l'unanimisme de façade imposé par le rouleau compresseur médiatique qui nous empêche, même de penser.

En conséquence, au nom de quelle idée de l’honneur avez-vous décidé de porter monsieur Paty à la dignité de récipiendaire des insignes de l’ordre de la Légion d'Honneur française ? Pour un acte, au fond, indigne d'un enseignant digne de ce nom ? Chargé de porter les esprits de ses élèves à maturité,  pour les rendre aptes à vivre dans un monde multiracial et multiconfessionnel où chaque être a le droit inaliénable de vivre dans la paix, monsieur Paty est passé à côté de sa mission. Par-delà l’émotion, il faut aussi faire appel à la raison. Sans passion ni animosité. En toutes circonstances, la République doit rester équitable et équidistante. C'est cela son honneur.

Démission. Lorsque j'ai été décoré et porté à la dignité d’officier de l’ordre de la légion d'honneur française, j'en avais éprouvé une certaine fierté. Je m'honorais de rejoindre le cercle prestigieux de ceux dont la France célèbre le mérite en dépit des vicissitudes de l'Histoire. Et j'ai toujours arboré avec fierté la rosette au revers de mon veston comme un symbole de fraternité à réinventer, de liberté à célébrer et d’égalité à conquérir.

Francophone et francophile sur bien des aspects culturels et artistiques, je suis musulman, africain et noir. C'est de ce promontoire que je m'adresse à vous.

Aujourd’hui, je ne me sens pas honoré de partager le même ordre que Samuel Paty pour des raisons profondes et sacrées. La défense de l’honneur du Prophète Mouhammad (PSL) passe, pour moi, bien avant la simple vanité d'une distinction temporelle. Musulman, je répète plusieurs fois par jour l'attestation selon laquelle : « Il n'y a de Dieu Qu’Allah et Mouhammad est son Messager. » Cette conviction donne son sens à tous les actes posés, au quotidien et en toutes circonstances, par chaque musulman. Je devrais dire chacune de nos respirations, célèbre Allah et Son Messager ! Car nos regards de mortels scrutent l’horizon de la vie éternelle avec foi, certitude et confiance.

Nous ne vivons donc pas dans le même monde monsieur Macron !

Et nous sommes près de deux milliards d’êtres humains à nous tourner 5 fois par jour, au moins, dans la même direction (la Kaaba) pour affirmer notre soumission volontaire à l'Ordre divin qui nous a été transmis par le Prophète de l’Islam. De votre univers, vous nous prenez certainement pour des attardés ! Je ne vous dirai pas ce que nous pensons de vous. Car la tolérance religieuse est la marque de fabrique de la dernière religion révélée : l'Islam. Celle qui a confirmé toutes les révélations antérieures ! la Torah, l’évangile et le Coran ont jailli de la même source. Moise, Jésus et Mouhammad sont frères, Prophètes et envoyés du même Dieu : Allah ! Tels sont les principes fondateurs non négociables de l’Islam, religion de synthèse et de restauration de l'harmonie au sein de toute l’humanité.

Au nom de tout ce qui précède, et de tout ce que mon cœur contient d’inexprimable, je démissionne de l’ordre de la légion d’honneur française et tiens à la disposition de l’Ambassade de France à Dakar les insignes et l’attestation y afférents.

Pour l’honneur du Prophète Mouhammad !

(Paix et Grâces divines sur Lui et sa sainte famille)

Amadou Tidiane Wone, ancien ministre, ancien Ambassadeur

woneamadoutidiane@gmail.com

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PAR L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, SERIGNE SALIOU GUÈYE

SERIGNE SALIOU GUÈYE DE SENEPLUS | PUBLICATION 21/10/2020

DROIT AU BLASPHÈME, MON MESSAGE À MACRON

EXCLUSIF SENEPLUS - Quand on dispense un enseignement et que l’on est conscient qu’une partie de ses apprenants n’en est pas réceptive, il y a lieu de revoir le contenu de son message

Le vendredi 16 octobre dernier, vers 17h, un professeur d’histoire du nom de Samuel Paty a été décapité sur la voie publique non loin de son collège du Bois d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine, en région parisienne. Il avait montré récemment à ses élèves des dessins faisant la satire de Mahomet (PSL) lors d’un cours sur la liberté d’expression. L’indécence de sa satire ne me permet pas d’entrer dans les détails choquants. Cet assassinat a soulevé l’ire et l’indignation de l’Etat français et de toutes les forces syndicales et organisations civiles. Le dimanche 18 octobre, les Français ont battu le pavé pour défendre la liberté d’expression qui est une valeur fondamentale de la République.

Le président Emmanuel Macron, lors de son discours prononcé le 4 septembre 2020 au Panthéon, pour la célébration des 150 ans de la République, donnait encore un blanc-seing aux insulteurs du prophète de l’Islam (PSL) à travers ces propos : « C’est la liberté de conscience, et en particulier la laïcité, ce régime unique au monde qui garantit la liberté de croire ou de ne pas croire, mais qui n’est pas séparable d’une liberté d’expression allant jusqu’au droit au blasphème. Et je le dis au moment où s’ouvre le procès des attentats de janvier 2015. Être Français, c’est défendre le droit de faire rire, la liberté de railler, de moquer, de caricaturer. » Le dictionnaire Larousse définit le blasphème comme une « parole ou un discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré ».

Et voilà qu’un professeur d’histoire, Samuel Paty, au nom de cette liberté de caricaturer, de blasphémer encouragé par Macron et d’autres libres penseurs français n’a pas trouvé autre support que les caricatures de Charlie Hebdo qui avait déjà causé la mort de 12 personnes en 2015. Pourtant, connaissant la sensibilité du sujet, il a demandé précautionneusement aux élèves musulmans de sortir quelques minutes pour ne pas être choqués. Donc il était conscient que ces photos indécentes sur le prophète de l’Islam (PSL) allaient heurter ces enfants qui n’ont pas encore atteint la majorité. En faisant sortir de sa classe les élèves musulmans, il a même violé ce principe de l’égalité républicaine parce qu’il a dispensé un cours à un groupe d’élèves en dispensant un autre de le suivre. Et les faire sortir, c’est les discriminer en montrant à leurs autres camarades de classe qu’ils ne partagent pas avec eux cette fraternité qui fait qu’une même classe ne peut pas recevoir un enseignement à géométrie variable. Selon la loi de programmation et d’orientation française, « l’école doit être l’école commune de tous les élèves, les accueillir tous ensemble sans distinction en assurant l’égalité des chances en permettant à chaque élève d’accéder aux savoirs et aux compétences indispensables pour poursuivre sa scolarité et construire son avenir. Par conséquent, l’école française doit être l’école commune de tous les élèves, les accueillir tous ensemble sans distinction. » Mais Samuel Paty, en décidant de faire sortir une partie des élèves pour ne pas les choquer, a fait preuve de distinction voire de séparation entre des élèves qui appartiennent à une même communauté éducative. Il a, par son geste, brisé le vivre-ensemble scolaire et c’est cela que les autorités françaises devaient condamner. Les principes de la fraternité s’apprennent plus par les expériences du vivre-ensemble que par les leçons de civisme ex-cathedra. Quand on dispense un enseignement et que l’on est conscient qu’une partie de ses apprenants n’en est pas réceptive, il y a lieu de revoir le contenu de son message blessant.

Alors, quelle est cette morale axiologique qui, au nom de la liberté d’expression, admet de manquer consciemment de respect à la croyance d’autrui ? L’amour que chaque musulman ressent pour son Prophète (PSL) est incommensurable. Ainsi, le défendre devient une obligation qui incombe à tout musulman et musulmane au même titre que de l’aimer et de suivre ses recommandations. S’en prendre à lui, c’est s’attaquer à ces deux milliards de personnes qui ne vivent que pour lui et qui sont prêtes à perdre leurs vies pour faire face à ses blasphémateurs. Cette dimension spirituelle élevée qui consiste à se détacher de sa vie avec félicité au nom de sa croyance religieuse est difficilement appréhensible chez un peuple qui a exclu Dieu et ses prophètes de sa matrice de croyances pour épouser la franc-maçonnerie, l’agnosticisme ou l’athéisme.

La religion chrétienne n’est pas pour autant épargnée par ces provocations blasphématoires. Ainsi, par ordonnance de référé en date du 23 octobre 1984, à la requête de l’association Saint-Pie X, le tribunal a interdit l’affiche du film Ave Maria qui blasphème la mère du Christ, la meilleure des femmes de l’humanité. Quand en 1988, le film américain « The last temptation of Christ » réalisé par Martin Scorsese est sorti sur les écrans en France, un groupe fondamentaliste catholique a incendié une salle du cinéma Espace Saint-Michel à Paris pour protester contre la projection du film blasphématoire. D'autres incendies seront perpétrés à la salle du Gaumont Opéra ainsi qu'à Besançon. Un attentat du même groupe causera le décès d'un spectateur. C’est donc montrer jusqu’où les adeptes de toute religion peuvent aller pour défendre ce qu’ils ont de plus cher.

En réaction à la mort du professeur d’histoire, Samuel Paty, le président Macron a déclaré ces propos irresponsables : « L'obscurantisme et la violence qui l'accompagnent ne gagneront pas. Tous et toutes, nous ferons bloc. Ils ne passeront pas. Ils ne nous diviseront pas. C'est ce qu'ils cherchent et nous devons nous tenir tous ensemble. » Dans le même sillage d’irresponsabilité, son Premier ministre Jean Castex a déclaré sur twitter que « leurs enseignants continueront à éveiller l'esprit critique des citoyens de la République, à les émanciper de tous les totalitarismes et de tous les obscurantismes ». Mais le chef de l’Etat français, son Premier ministre et tous les Français qui pensent comme eux doivent reconnaître que l’inconsciencieux professeur d’histoire a été le premier à semer la division au sein de cette communauté d’élèves en réservant exclusivement une partie de son enseignement aux élèves non-musulmans. Une telle attitude sectaire est condamnable chez tout enseignant. L’école de la République n’attise pas les discriminations, n’encourage pas la haine communautariste mais brise les cloisons des différences.

Parler d’obscurantisme et de violence en faisant référence à l’Islam, c’est ignorer littéralement les valeurs et fondements de cette religion dont le nom symbolise la paix et la lumière comme l’avait si bien déclaré l'ancien ministre français Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe (IMA), le 15 janvier 2015 lors d’un forum consacré au renouveau du monde arabe. Aujourd’hui, Macron vante l’Europe des Lumières athée, agnostique pour dénigrer ces peuples croyants encore engoncés dans l’obscurantisme des religions. Alors que cette Europe des Lumières est celle des catégorisations humaines fondées sur la théorie de la hiérarchie des races. Et cette théorie de la suprématie raciale jaugée à l’aune des progrès scientifiques fera le lit des deux guerres les plus meurtrières de l’humanité et jeté les bases du système d’exploitation de l’homme par l’homme appelé pudiquement colonialisme. Ces guerres inspirées par les progrès des Lumières feront plus de 80 millions de morts en l’espace de trois décennies. Si dans l'Europe des Lumières, des penseurs se sont levés pour dénoncer et combattre l'esclavage, c’était laisser la place à une idéologie d’exploitation plus intelligente et moins « inhumaine » qui théorisait que les Européens étaient dans l’obligation de « civiliser » le reste du monde. Alors, quoi de plus obscurantiste qu’un peuple qui, par sa puissance armée, prétend en dominer d’autres au nom d’une pseudo-mission civilisatrice ?

La liberté d’expression se heurte aussi à des notions de responsabilité collective. Il est facile pour des mécréants de percevoir des caricatures pornographiques comme de simples dessins humoristiques provocateurs. Guido Westerwelle le ministre allemand des Affaires étrangères entre 2009 et 2013 s’était prononcé dans une interview sur la publication en 2006 de caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo en affirmant que « la liberté signifiait aussi la responsabilité ».  Il ajoutait que « parfois la question n'est pas de savoir si on a le droit de faire quelque chose mais de savoir si on doit le faire. La liberté d'opinion ne signifie pas le droit d'insulter ceux qui ont une autre religion ou une autre opinion et de troubler ainsi sciemment la paix publique ». Malheureusement, cette société française où l’irréligion monte en flèche (70% ne se réclament d’aucune religion) ne comprend pas encore que la liberté d’expression n’est pas un imprimatur pour insulter la croyance d’autrui. D’ailleurs cette liberté de blasphémer sonne comme une exception française dans une Europe où plusieurs pays répriment toujours le délit en la matière. En Allemagne, le code pénal sanctionne « l’insulte aux croyances religieuses ». En Pologne, il interdit l’injure au sentiment religieux « par le recours à la calomnie publique d’un objet de croyance ». L’Italie, dans l’article 724 de son code pénal, punit « quiconque publiquement blasphème, avec des invectives ou des paroles outrageantes, contre la divinité ou les symboles vénérés dans la religion d’Etat ». Et la liste est loin d’être exhaustive.

Le Souverain pontife, Pape François estime que « la liberté d’expression ne doit pas servir de prétexte pour insulter la foi d’autrui et que chaque liberté s’arrête là où commence une autre, en l’occurrence la liberté de religion ». Et c’est malheureux que la société française devenue athée, agnostique, franc-maçonne ne soucie plus de la foi de ceux qui croient à Mahomet (PSL) ou au seigneur Jésus.

Les musulmans considèrent les moqueries, les caricatures et autres insultes contre le Prophète comme pires que des insultes qui seraient proférées envers leurs propres parents, leur famille, et même contre eux-mêmes. C’est pourquoi, ils insupportent et insupporteront toujours que Mahomet (PSL) qu’ils considèrent comme le meilleur des hommes soit moqué, caricaturé, insulté au nom d’une provocante liberté d’expression. Et ce, au prix d’ôter la vie à tout blasphémateur ou de perdre les siennes !

sgueye@seneplus.com

Charlie Hebdo: la France ne «va pas changer» son droit sur la liberté d’expression «parce qu’il choque ailleurs», réaffirme Emmanuel Macron

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Publié le lundi 16 Novembre 2020 à 07h21

Par Sudinfo avec AFP

Emmanuel Macron a regretté lundi la relative timidité du soutien international après les derniers attentats dans le pays, et réaffirmé que la France n’allait pas « changer » son droit sur la liberté d’expression « parce qu’il choque ailleurs ».

AFP

Dans un entretien publié par la revue en ligne Le Grand Continent, le président français relève que, « il y a cinq ans, quand on a tué ceux qui faisaient des caricatures (dans l’hebdomadaire Charlie Hebdo, NDLR), le monde entier défilait à Paris et défendait ces droits ».

« Là, nous avons eu un professeur égorgé, plusieurs personnes égorgées. Beaucoup de condoléances ont été pudiques », souligne-t-il, en faisant référence à la mort du professeur Samuel Paty le 16 octobre et de trois personnes à Nice le 29.

« Et, poursuit-il, on a eu, de manière structurée, des dirigeants politiques et religieux d’une partie du monde musulman – qui a toutefois intimidé l’autre, je suis obligé de le reconnaître – disant : ’ils n’ont qu’à changer leur droit’. Ceci me choque (…) Je suis pour le respect des cultures, des civilisations, mais je ne vais pas changer mon droit parce qu’il choque ailleurs ».

Il fait référence aux appels à manifester lancés dans plusieurs pays musulmans après ses propos défendant le droit à la caricature prononcés au cours de l’hommage national à Samuel Paty.

Pour Emmanuel Macron, « c’est précisément parce que la haine est interdite dans nos valeurs européennes, que la dignité de la personne humaine prévaut sur le reste, que je peux vous choquer, parce que vous pouvez me choquer en retour. Nous pouvons en débattre et nous disputer parce que nous n’en viendrons jamais aux mains puisque c’est interdit et que la dignité humaine est supérieure à tout ».

Mais « nous sommes en train d’accepter que des dirigeants, des chefs religieux, mettent un système d’équivalence entre ce qui choque et une représentation, et la mort d’un homme et le fait terroriste – ils l’ont fait –, et que nous soyons suffisamment intimidés pour ne pas oser condamner cela », poursuit-il.

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« Ne nous laissons pas enfermer dans le camp de ceux qui ne respecteraient pas les différences. C’est un faux procès et une manipulation de l’Histoire », réagit Emmanuel Macron. De ce fait, « le combat de notre génération en Europe, ce sera un combat pour nos libertés. Parce qu’elles sont en train de basculer », avertit-il dans ce long entretien accordé à la revue éditée par le Groupe d’études géopolitiques, une association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure (ENS).


International

Ségolène Royal: “Certaines caricatures de Mahomet sont insultantes”

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Par: 7sur7.be | 16 novembre, 2020 à 11:11:05 |

Segolene Royal

Ségolène Royal, ancienne candidate socialiste à la présidence de la République française et ex-ministre, a évoqué le débat, sensible, de la liberté d’expression en France.

Après l’assassinat de Samuel Paty, décapité en octobre par un jeune islamiste parce qu’il avait montré des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves, le président Emmanuel Macron a réaffirmé le droit à la liberté d'expression en France, pays laïc, et notamment le droit au blasphème. Lors des obsèques du professeur, le président a déclaré qu’il allait “continuer avec les caricatures.

Une phrase qui a fait tiquer Ségolène Royal, invitée ce lundi matin sur CNEWS. “Je pense qu’il a fait une erreur", explique la socialiste au sujet de cette phrase d’Emmanuel Macron. “Il continue avec la liberté d’expression, pas avec les caricatures qui blessent des millions de personnes à travers le monde”, recadre-t-elle. “Il faut faire très attention à ne pas déraper, à ne pas franchir la ligne du droit et des devoirs de la personne humaine. Et toute liberté d'expression, dans le droit français, est limitée par l’interdiction de l’injure publique ou de la mise en danger d’autrui”, rappelle l’ancienne ministre.

“On a une devise française: liberté, égalité, fraternité. Donc la liberté oui, mais la liberté ce n’est pas le droit de faire n’importe quoi (...) Il y a des droits et des devoirs. Et les devoirs installés par la République c’est la fraternité qui vient rééquilibrer la liberté”, insiste Ségolène Royal. “C’est quoi la fraternité ? C’est l’interdiction de choquer, d’humilier, d’insulter. C’est la prise en considération de la souffrance des autres pour pouvoir rectifier un certain nombre de choses. Et la liberté, ce n’est pas le droit de dire n’importe quoi, n’importe comment”, poursuit-elle.

“Je ne suis pas pour l’interdiction des caricatures mais je ne suis pas pour cautionner et dire que les caricatures, c’est bien. Je pense que certaines caricatures de Mahomet sont insultantes. Toutes les caricatures pornographiques, je comprends que certains se sentent insultés par cela y compris des musulmans qui ne sont ni intégristes, ni radicaux”, conclut Ségolène Royal.

Liberté d'expression : Ségolène Royal critiquée après avoir inventé «l'interdiction de choquer»

Ségolène Royal, alors ministre de l'Écologie, lors de l'hommage au policier Xavier Jugelé, le 25 avril à la préfecture de Police de Paris.

Ségolène Royal, alors ministre de l'Écologie, lors de l'hommage au policier Xavier Jugelé, le 25 avril à la préfecture de Police de Paris.

Par: lefigaro.fr - Seneweb.com | 16 novembre, 2020 à 15:11:02 | Lu 637 Fois | 3 Commentaires

En posant à la liberté de caricature une «limite» inexistante dans le droit, l'ex-ministre socialiste a indigné lundi une partie de la classe politique.

L'«interdiction de choquer», nouvel obstacle à la liberté d'expression ? Ségolène Royal a été critiquée par de nombreux responsables politiques, lundi, pour avoir défendu cette «limite» pourtant absente du droit français. «La liberté, oui», a d'abord insisté sur CNews l'ex-ministre socialiste de l'Écologie. «Mais la liberté n'est pas le droit de faire n'importe quoi. (...) Il y a des droits et des devoirs», parmi lesquels «la fraternité», a-t-elle poursuivi, avant d'en donner sa définition. «C'est quoi, la fraternité ? C'est l'interdiction de choquer, d'humilier, c'est la prise en considération de la souffrance des autres».

Selon l'ex-candidate à la présidentielle de 2007, «certaines» caricatures de Mahomet publiées par l'hebdomadaire Charlie Hebdo, en particulier les «caricatures pornographiques», sont «insultantes». «Je ne suis pas pour l'interdiction des caricatures», mais «je comprends que certains se sentent insultés, y compris des musulmans qui ne sont absolument pas intégristes, ni radicaux», a-t-elle souligné. «Ils (en) ont le droit, c'est leur liberté».

Droit très protégé en France

Ce plaidoyer en faveur d'un usage prudent de la liberté d'expression tranche avec la très protectrice législation française, qui punit les abus comme l'injure, la diffamation ou l'incitation à la haine et à la discrimination, mais pas l'«interdiction de choquer». Il a provoqué de vives réactions dans la classe politique. «Nous ne souffrons plus vos petits arrangements avec la liberté d'expression», a répliqué sur Twitter Olivia Grégoire, secrétaire d'État chargé de l'Économie sociale.

«Ségolène (Royal) crée le délit de blasphème et oublie accessoirement que l'équilibre, aujourd'hui, c'est celui entre des crayons et des kalachnikovs ou des décapitations», a renchéri le président du Parti radical de gauche, Guillaume Lacroix. Au sein de la direction des Républicains (LR), Lydia Guirous voit dans ces propos une «illustration de la lâcheté, sous couvert de "mesure" et de "fraternité"».

«Liberté de blasphémer»

Le débat sur la liberté d'expression a été relancé après l'assassinat de l'enseignant Samuel Paty, tué par un islamiste le 16 octobre devant son collège de Conflans-Saint-Honorine (Yvelines), après avoir montré, lors d'un cours sur la liberté d'expression, des caricatures du prophète Mahomet publiées dans Charlie Hebdo.

Le président Emmanuel Macron avait alors défendu «la liberté de blasphémer» en France, provoquant une poussée de fièvre anti-française dans le monde arabo-musulman, et même la retenue du premier ministre canadien Justin Trudeau. La France «ne va pas changer» son droit «parce qu'il choque ailleurs», a réaffirmé le chef de l'État dans un entretien à la revue Le Grand continent, paru lundi. Dans la classe politique française, quelques rares voix ont émis des réserves à ce droit, à l'image du chef de file des sénateurs Les Républicains (LR), Bruno Retailleau, qui a appelé à une «forme de respect» dans les caricatures.

Un cas tranché par la justice en 2007

En 2007, lors du «procès des caricatures» de Mahomet, le tribunal de grande instance de Paris avait reconnu le «caractère choquant voire blessant», «pour la sensibilité des musulmans», du dessin publié l'année précédente par Charlie Hebdo, représentant le prophète Mahomet coiffé d'un turban cachant une bombe. Mais les juges avaient estimé que «les limites admissibles de la liberté d’expression» n'avaient pas été «dépassées», ne notant aucune «volonté délibérée d'offenser directement et gratuitement l'ensemble des musulmans».

«Le dessin litigieux (participe) au débat public d'intérêt général», avaient-ils conclu. Attaqué par des associations musulmanes, l'hebdomadaire satirique n'avait pas été condamné. Il a republié début septembre ces caricatures, avant l'ouverture du procès de l'attentat qui a fait 12 victimes dans sa rédaction en janvier 2015.

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Comment réfléchir en toute liberté sur la liberté d’expression

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Lettre aux professeurs d’histoire-géographie ou comment réfléchir en toute liberté sur la liberté d’expression

par François Héran , le 30 octobre 2020

Télécharger l'article : https://laviedesidees.fr/Lettre-aux-professeurs-d-histoire-geographie.html

Comment enseigner la liberté d’expression ? Par son histoire, propose François Héran, moins républicaine qu’on ne croit et plus respectueuse des croyances. Au lieu d’en faire un absolu, il est temps d’observer que ses conditions d’exercice se déploient dans un temps et un espace déterminés.

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Des professeurs d’histoire-géographie m’ont consulté au sujet du cours d’éducation civique et morale qu’ils devront dispenser à l’issue des vacances de la Toussaint. Comment rendre hommage à Samuel Paty, odieusement assassiné le 16 octobre par un jeune djihadiste tchétchène parce qu’il avait commenté en classe des caricatures de Mahomet ? Quel sens donner à la liberté d’expression ? Comment défendre les valeurs républicaines sans nous isoler du reste du monde ? Certes, les enseignants bénéficieront du « cadrage » préparé par l’Éducation nationale. Certes, ils pourront s’inspirer du fervent hommage rendu par le président Macron dans la cour de la Sorbonne. Et, s’ils le souhaitent, ils pourront revenir sur la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs. Mais, si la liberté d’expression nous est chère, nous devons pouvoir lui appliquer aussi notre libre réflexion, à condition de l’appuyer sur des données avérées. C’est le sens des conseils que je me permets de donner ici.

Retour aux textes

Premier conseil : faire découvrir aux élèves des textes « républicains » restés un peu dans l’ombre ces derniers temps. Plus souvent citée que lue, la lettre de Jules Ferry aux instituteurs posait des limites à l’enseignement de la morale : « Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment » (17 novembre 1883). En pleine discussion de la loi sur l’obligation scolaire et la laïcité de l’école primaire publique, Ferry était allé plus loin encore : « Si un instituteur public s’oubliait assez pour instituer dans son école un enseignement hostile, outrageant pour les croyances religieuses de n’importe qui, il serait aussi sévèrement et rapidement réprimé que s’il avait commis cet autre méfait de battre ses élèves ou de se livrer contre eux à des sévices coupables. » (11 mars 1882). Vous avez bien lu : outrager les croyances religieuses des élèves, c’est aussi grave que de leur infliger des châtiments corporels ou abuser d’eux.

Faut-il en conclure que toutes les religions méritent le respect ? Oui, répond l’article 1er de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». La dernière phrase peut choquer dans le contexte actuel. Certains rêvent peut-être de la modifier et d’affirmer que la République « ne respecte aucune croyance ». Mais, pour l’heure, tel est bien le texte de notre constitution.

Quid, alors, de la « liberté d’expression », cette valeur suprême de la République ? Avec tout le tact nécessaire, vous expliquerez aux élèves que la législation française ne consacre pas littéralement la « liberté d’expression » : la loi de 1881 porte sur la liberté de la presse. D’autres textes évoquent la liberté d’opinion ou de conscience. Mais la « liberté d’expression » va plus loin, elle inclut tous les thèmes et les supports possibles, tout en revêtant une dimension plus individuelle. Ses contours sont si indéfinis qu’elle est presque synonyme de liberté tout court. Comme l’attestent les bases de données du vocabulaire français dressées à partir des millions de textes imprimés depuis 1730, « liberté d’expression » ne décolle dans le vocabulaire juridique et le langage courant qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Elle était inconnue sous la IIIe République : on l’employait dans un sens esthétique (« peindre un sujet avec une grande liberté d’expression »).

La notion apparaît pour la première fois dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), couplée à la liberté d’opinion : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » Le texte a été préparé par le Canadien John Peters Humphrey, chef de la division des Droits de l’Homme aux Nations unies, et révisé par le Français René Cassin, vice-président du comité de rédaction de la déclaration. « Liberté d’expression » est la version française de freedom of expression. C’est seulement en 1950, dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, que la locution « liberté d’expression » apparaît seule, dans la plénitude de son sens actuel.

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On s’imagine que nos plus hautes valeurs sont toutes d’origine « républicaine » et ne doivent rien au monde anglo-saxon, volontiers traité en repoussoir. C’est inexact et les élèves doivent le savoir. La « liberté de la presse » elle-même n’est pas fille de la Révolution française, encore moins de la loi de 1881 : on la doit au Virginia Bill of Rights, la Déclaration des droits de Virginie, promulguée en 1776, d’où elle gagnera le reste des États-Unis, puis le monde occidental.

Droits et devoirs de la liberté d’expression

Le Palais des droits de l’homme, Strasbourg

Sur la liberté d’expression, on lira avec profit, à condition de la compléter, la tribune récente (Le Monde du 26 octobre) de Christophe Bigot, spécialiste du droit des médias et avocat de groupes de presse. Il cite le fameux arrêt Handyside, rendu le 7 décembre 1976 par la Cour européenne des droits de l’homme :
« La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées notamment dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique. » Si l’on veut honorer la mémoire de Samuel Paty, conclut l’avocat, voilà un « idéal intangible ». Vous remarquerez au passage qu’il est question de démocratie et non de république. La République, en l’espèce, n’est qu’une variante de la démocratie.

Demandez alors à vos élèves de lire l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme :

Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (…).

Mais voici le second alinéa :

L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (…).

La liste est longue des « devoirs et responsabilités » qui encadrent la liberté d’expression. Qui donc les définit ? Cela incombe à chaque pays. La Cour de Strasbourg ne juge pas à la place des États souverains, elle vérifie qu’ils régulent la liberté d’expression de façon « proportionnée » par rapport à leur propre législation et à l’état des mœurs. En l’espèce, l’arrêt Handyside de 1976 cité par Me Bigot concluait que les autorités britanniques n’avaient aucunement violé l’article 10 de la convention en ordonnant la saisie et la destruction d’un manuel d’éducation sexuelle pour enfants jugé contraire aux bonnes mœurs britanniques ! Il est donc paradoxal d’invoquer cet arrêt pour honorer la mémoire de Samuel Paty. S’il doit retenir l’attention des élèves, c’est sur un point précis : la liberté d’expression peut inclure l’expression d’idées choquantes ou blessantes, mais toujours dans les conditions admises par la loi.

Liberté offensive ou tolérante ?

Mais alors, que répondre à un élève qui vous opposerait l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : «  la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui  » ? Comme le souligne le politiste Denis Ramond (Raisons politiques 2011/4 et 2013/4), deux interprétations s’opposent : offensive ou tolérante. Dans la lecture offensive, celle de la Cour de Strasbourg, toute parole ou image, même offensante, alimente le débat public et, donc, sert la démocratie. Elle serait bénéfique pour tous, y compris pour la minorité offensée. Une telle position est typiquement « paternaliste » : l’auteur de l’affront sait mieux que ses victimes ce qui est bon pour elles ; il estime que la blessure sera effacée par le surcroît de lumières ainsi dispensé. À la limite, l’offensé devrait remercier l’offenseur de cette belle leçon de liberté, y compris quand le donneur de leçon est un chef d’État étranger. Vous inviterez vos élèves à illustrer les effets de cette théorie à l’aide d’exemples récents.

L’autre interprétation du droit de libre expression prend au sérieux le principe de non-nuisance affirmé en 1789 et le principe du respect des croyances posé en 1882 par Jules Ferry et rappelé dans la Constitution de 1958. C’est une interprétation foncièrement pluraliste. Sur la pluralité des valeurs, vos élèves liront avec profit le philosophe Paul Ricœur (entretien avec Anita Hocquard publié en 1996 dans Éduquer, à quoi bon ?) :

Nous ne vivons pas dans un consensus global de valeurs qui seraient comme des étoiles fixes. C’est là un aspect de la modernité et un point de non-retour. Nous évoluons dans une société pluraliste, religieusement, politiquement, moralement, philosophiquement, où chacun n’a que la force de sa parole. Notre monde n’est plus enchanté. La chrétienté comme phénomène de masse est morte […] et nos convictions ne peuvent plus s’appuyer sur un bras séculier pour s’imposer. […] Préparer les gens à entrer dans cet univers problématique m’apparaît être la tâche de l’éducateur moderne. Celui-ci n’a plus à transmettre des contenus autoritaires, mais il doit aider les individus à s’orienter dans des situations conflictuelles, à maîtriser avec courage un certain nombre d’antinomies.

Et Ricœur de citer trois exemples d’antinomies : préserver l’autonomie de chacun tout en entrant dans un espace public de discussion, appartenir à une tradition vivante sans exclure la présence d’autres traditions, avoir des convictions personnelles tout en pratiquant « une ouverture tolérante à d’autres positions que la sienne ». Il faudra expliquer aux élèves que le pluralisme selon Ricœur n’est pas synonyme de relativisme : c’est une valeur fondamentale de la démocratie.

NUL N’EST PROPRIÉTAIRE DE LA RÉPUBLIQUE

Comment trancher entre ces deux visions de la liberté d’expression, l’offense charitable et le respect d’autrui ? Un procédé expéditif consiste à reformuler le dilemme en termes psychologiques ou moralisants : vous serez « courageux » si vous persistez à offenser l’autre, « lâche » dans le cas contraire. Apprenez donc à vos élèves à ne pas tomber dans un piège sémantique aussi grossier. Cessons de diviser la nation en taxant nos contradicteurs d’« ennemis de la République » ou d’« ennemis de la France » : c’est une façon indigne de les exclure du débat et de les exclure de la nation. Personne n’est propriétaire de la République. Nous avons encore le droit d’accorder un minimum de considération aux croyants ou incroyants sans être accusés de complaisance avec les assassins. Les fidèles musulmans habitués à diviser le monde entre croyants et « mécréants » devront d’ailleurs en tirer les conséquences : c’est au prix de cette révolution mentale qu’ils pourront s’intégrer à la nation. Vous rappellerez aux élèves que la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme le droit de changer de religion ou de ne plus croire : c’est la raison pour laquelle l’Arabie saoudite a refusé d’y souscrire. Et si un élève trop cartésien cherchait à savoir pourquoi notre République laïque tisse des liens si forts avec le régime wahhabite, mieux vaut renvoyer la question à la cellule laïcité du rectorat.

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Un conseil de Paul Ricœur aux éducateurs

Paul Ricœur, 2003

Un synonyme fréquent de la prétendue « lâcheté » de ceux qui osent prendre en compte l’existence d’autrui est la « complaisance » ou la « compromission ». Dans l’entretien déjà cité, Ricœur fournit l’antidote à ces sophismes :

Le compromis, loin d’être une idée faible, est une idée au contraire extrêmement forte. Il y a méfiance à l’égard du compromis, parce qu’on le confond trop souvent avec la compromission. La compromission est un mélange vicieux des plans et des principes de références. II n’y a pas de confusion dans le compromis comme dans la compromission. Dans le compromis, chacun reste à sa place, personne n’est dépouillé de son ordre de justification.

On peut appliquer cette leçon à l’accusation infamante de « complaisance » envers le djihadisme ou d’« islamo-gauchisme » – le type même de la formule magique d’exécration qui substitue l’injure à l’analyse et n’a pas sa place en démocratie. Intégrer l’existence d’autrui dans sa vision du monde, ce n’est pas pratiquer la haine de soi, c’est sortir de soi pour se grandir. À condition, bien sûr, que l’effort soit réciproque.

Dans un tweet diffusé à l’attention des pays musulmans, le président Macron écrit : « Nous continuerons. Nous nous tiendrons toujours du côté de la dignité humaine et des valeurs universelles ». Dignité étant effectivement le maître-mot, je ne vous conseille pas d’examiner une à une avec vos élèves les caricatures de Charlie Hebdo, mais plutôt de faire un cours sur l’histoire de la caricature politique et religieuse en France. Vos élèves comprendront qu’en ce domaine comme en d’autres, il y a le meilleur et le pire. Tout le monde n’est pas Daumier, Nadar ou Doré ou, de nos jours, Chappatte, Dilem, Pétillon ou Plantu. Le talent artistique de Cabu reste indépassé, de même que l’autodérision sur nos obsessions sexuelles chère à Wolinski. On connaît la Une de Charlie du 8 février 2006, où Cabu campe le prophète en pleurs s’écriant : « C’est dur d’être aimé par des cons ! », avec cette légende surimprimée : « Mahomet débordé par les intégristes ». La cible est clairement définie, alors que la caricature de Coco, « Une étoile est née », représentant Mahomet nu en prière, offrant une vue imprenable sur son postérieur, visait l’islam tout court. Les attentats, depuis, ont sacralisé toutes les caricatures sans distinction. Comment expliquer aux élèves que nous sommes arrivés au point où c’est justement quand la caricature est nulle, réduite à sa fonction la plus dégradante, sans dimension artistique, humoristique ou politique, qu’elle est censée illustrer à l’état pur la liberté d’expression et nos plus hautes valeurs républicaines, y compris l’affirmation de la dignité humaine ? À l’impossible nul n’est tenu.

POUSSÉE À L’ABSOLU, LA LIBRE EXPRESSION NE TOLÈRE PLUS LA LIBRE CRITIQUE

À la question de savoir si j’ai encore le droit, au pays de la libre expression, de m’indigner du caractère offensant de certaines caricatures sans être accusé de haïr la République, la pesante atmosphère qui règne aujourd’hui me dit que non. Poussée à l’absolu, la libre expression ne tolère plus la libre critique. Les textes constitutionnels que j’ai cités ont beau évoquer le respect des croyances, on peut dire que les djihadistes ont atteint leur but : nous pousser à bout, ériger les caricatures en absolu, au risque d’isoler la France. Vos élèves liront avec profit le sage éditorial de Soulayma Mardam Bey dans le quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour (27 octobre 2020) : « Pour beaucoup de Français, les caricatures sont aujourd’hui le symbole même de leur identité. Pour beaucoup de musulmans au Moyen-Orient, elles sont la négation de la leur. Ce dialogue de sourds prend actuellement des proportions démesurées, chacun se drapant dans une conception puriste et quelque peu anachronique de qui il est, la République pour les uns, l’islam pour les autres, comme si l’une et l’autre, en plus d’être par nature inconciliables, répondaient de surcroît à des critères immuables, hermétiques au temps et à l’espace. »

De fait, il est tout aussi vain de camper sur l’unicité de la République, source exclusive de toute valeur, que de pousser à l’extrême l’idéologie politique de l’unicité en islam, la fameuse tawhid. Professeurs d’histoire-géographie, votre mission est justement de rappeler que nous sommes plongés dans le temps et dans l’espace, que nos valeurs les plus chères, y compris la liberté d’expression, ont une histoire souvent venue d’ailleurs, et que nous devons garder prise sur leur définition et leurs conditions d’exercice. Je sais : cette tâche dépasse vos forces et le « cadrage » officiel a ses limites. Mais si vous voulez faire de vos élèves des citoyens et, tout simplement, des adultes, apportez-leur tous les éléments du débat, comme j’ai essayé de le faire ici. Ne les enfermez pas dans des vérités toutes faites. Ils méritent mieux que cela.

par François Héran, le 30 octobre

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LES INDEMNITES DE FIN DE CARRIERE

Revue “Entreprendre Plus” du CNP - Octobre 2020

Revue “Entreprendre Plus” du CNP - Octobre 2020

Souscrire un contrat d’assurance retraite

« Les avantages pour les Entreprises d’une externalisation des indemnités de fin de carrière (IFC) ... »

Pour écouter l’émission radio du CNP produite en partenariat avec l’AAS, cliquer sur la flèche ci-dessous ( durée 47 mn)

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Association des Assureurs du Sénégal - AAS

Lors du départ à la retraite d’un salarié ou de son licenciement, son entreprise a l’obligation de lui verser un capital, plus connu sous le nom d’indemnité de fin de Carrière (IFC). Le cumul de cette obligation légale à l’échelle de tous les employés est une charge financière très importante qui, si elle n’est pas bien planifiée, peut impacter fortement la trésorerie de l’entreprise. D’où l’intérêt pour l’entreprise d’en externaliser la gestion à travers une assurance IFC.

Bases légales de l’assurance indemnités fin de carrière

La Convention Collective Nationale Interprofessionnelle (CCNI) du 27 mai 1982, révisée au 31 décembre 2019, fait obligation aux entreprises de servir à leurs employés des indemnités en cas de :

•    départ à la retraite ;

•    de licenciement ;

•    ou de décès

Les droits à l’IFC sont en conséquence un engagement de toute entreprise vis-à-vis de ses salariés et font partie de son passif social ; le montant correspondant  doit dès lors figurer à l’annexe du bilan.

Contrat d’assurance Indemnités de Fin de Carrière (IFC)

Nature : Contrat collectif d’assurance sur la vie à adhésion obligatoire souscrit auprès d’une compagnie d’assurance.

Objectif : Préparer le financement des obligations à l’IFC telles que prévues par la CCNI.

En cas de cessation des activités de l’entreprise, les fonds gérés par la compagnie d’assurances sont utilisés pour payer les droits acquis par l’ensemble des agents. En cas d’insuffisance du solde du fonds, les droits pourront être payés au prorata. Si par contre, le solde du fonds dépasse le cumul des droits acquis, le reliquat sera directement reversé à l’entreprise après règlement de tous les droits à l’IFC acquis.

Temps de présence

POURCENTAGES APPLICABLES

 

 

Départ à la retraite ou de décès Licenciement

De la 1ère à la 5ème année 25% 25%

De la 6ème à la 10ème année 30% 30%

De la 11ème à la 20ème année 45% 40%

Au-delà de la 20ème année 50% 40%

Modalités de calcul des droits à l’IFC

Conformément aux dispositions des articles 80 et 84 de la CCNI, pour chaque année de service, l’employé acquiert une indemnité égale à un % de son salaire mensuel de référence des 12 derniers mois qui précédent son départ.

Si l’entreprise dispose d’une convention spécifique ou en cas d’existence d’une convention de son secteur d’activité, l’employé se verra appliquer la convention la plus favorable.

Avantages de l’externalisation des droits à l’IFC

La norme comptable internationale IAS 19 ainsi que l’Ordre des Experts Comptables recommandent aux entreprises de provisionner leurs engagements au titre des droits de leurs agents à l’IFC.

Toutefois, ce provisionnement en interne présente le risque de la tentation de détournement d’objectif ou tout simplement d’utilisation des fonds pour faire des investissements parfois très risqués.

Dès lors, les entreprises doivent privilégier l’externalisation des droits à l’IFC aux fins de bénéficier des avantages ci-après :

•    baisse des charges futures de l’entreprise grâce notamment à une revalorisation annuelle du fonds.

•    Sécurisation dans le temps des droits des employés ;

•    Rassurer les collaborateurs sur la préservation et la sécurisation de leurs droits. À ce titre, l’assurance IFC est un excellent outil de gestion des ressources humaines.

•    Avantages fiscaux avec la déductibilité des cotisations versées à cet effet du revenu imposable de l’entreprise conformément aux dispositions du CGI (Art. 9, alinéa 6) ;

•    Insaisissabilité du fonds placé chez l’Assureur.

Pour ne pas déséquilibrer la trésorerie de votre entreprise et bénéficier d’un cadre fiscal avantageux, mais surtout, sécuriser les droits actuels et futurs acquis par vos salariés et pouvoir faire face, le moment venu, à l’ensemble de vos engagements au titre de l’IFC, pensez à souscrire à la solution d’assurance Indemnités de Fin de Carrière proposée par toutes les compagnies d’assurance vie du marché.

L’Association des Assureurs du Sénégal - BP 1766 – DAKAR – Tel (221) 33 889-48-64 ; Fax : (221) 33 821-49-74 ; e-mail : fssa@orange.sn

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L’ENTREPRISE CITOYENNE

Le magazine radiophonique du Conseil National du Patronat

En partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer

L’externalisation de l’indemnité de Fin de Carrière – IFC

Quels avantages pour les entreprises ?

 

CONTEXTE DE L’EMISSION

L’indemnité de Fin de Carrière – IFC est un acquis consacré dans la convention collective interprofessionnelle, qui fait obligation aux entreprises de verser à tout travailleur allant à la retraite un montant calculé sur la base de son salaire et de son ancienneté.

Les entreprises ont le choix entre gérer ces fonds en interne ou externaliser leur traitement auprès d’une compagnie d’assurance, moyennant un abattement fiscal et la garantie de la sécurisation de ces fonds

Il reste aux travailleurs à s’assurer que leur employeur respecte ses engagements afin d’éviter des complications au moment d’entrer dans leurs droits

 

ANNONCE DU CNP

Le Conseil National du Patronat - CNP a diffusé le samedi 28 novembre 2020 de 11h à 12h sur Radio Sénégal International - RSI 92.5 FM, son émission radiophonique "l'Entreprise Citoyenne", produite en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer.

Thème : L'externalisation des Indemnités de Fin de Carrière - IFC : Quels avantages pour les entreprises ?

Avec comme invités :

-M. Mamadou FAYE - Président de la Commission Statistiques, Comptabilité, Fiscalité et Conformité de l'Association des Assureurs du Sénégal - AAS,

-M. Papa Seyni THIAM - Président de la Commission Assurance Vie de l'Association des Assureurs du Sénégal - AAS. 

 CONDUCTEUR DE L’EMISSION :

00’ 18”  - Introduction

02’ 19” - M. Mamadou FAYE - Président de la Commission Statistiques, Comptabilité, Fiscalité et Conformité de l'Association des Assureurs du Sénégal - AAS,

32’ 54” - M. Papa Seyni THIAM - Président de la Commission Assurance Vie de l'Association des Assureurs du Sénégal - AAS. 

46’ 20” - Générique Fin

46’ 56” - Fin de l’émission

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GOUVERNANCE D'ENTREPRISE - LES BONNES PRATIQUES

Revue “Entreprendre Plus” du CNP - Octobre 2020

Revue “Entreprendre Plus” du CNP - Octobre 2020

Les Bonnes Pratiques
de Gouvernance d’Entreprise

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« Une responsabilité fiduciaire du conseil d’administration  dont les membres engagent leur responsabilité pénale... »

M. Patrick Brochet

Président Commission CNP « Financement des Partenariats »

Directeur Général West Africa Capital Advisors

Publié dans la Revue “Entreprendre Plus” du CNP - Octobre 2020

Construite autour des missions et des valeurs de l’entreprise, la gouvernance d’entreprise (« corporate governance ») est un dispositif mis en place pour diriger et contrôler l’entreprise sur le long terme. La gouvernance protège les droits et les intérêts des actionnaires, mais également ceux des autres parties prenantes internes et externes (managers, collaborateurs, clients, fournisseurs, banques...).

La mise en œuvre de la gouvernance d’entreprise fait partie de la responsabilité fiduciaire du conseil d’administration dont les membres, faut-il le rappeler, engagent leur responsabilité pénale. Ils doivent agir dans l’intérêt de la personne morale ; cette dernière possède un patrimoine, un nom, un domicile, des droits et obligations qui lui sont propres. Sous cet angle, la personne morale est distincte de ses membres (actionnaires, parties prenantes).


En conséquence, pour assumer cette responsabilité fiduciaire dévolue au conseil d’administration, les maîtres mots d’une saine gouvernance d’entreprise sont la transparence, le contrôle, l’équilibre et la responsabilité.

Parmi les activités du conseil, les plus importantes pour asseoir une gouvernance vertueuse et permettre à l’entreprise d’être performante sur la durée, sont :

Au niveau des opérations de l’entreprise :

    Choisir les dirigeants, fixer leur rémunération et proposer un système d’évaluation ;

    Adopter le plan stratégique, le plan d’affaires et les budgets ;

    Veiller à la bonne gestion des risques ;

    Veiller à l’intégrité de l’information financière ;

    Veiller à la conformité aux lois et règlements ;

    Conseiller l’exécutif sur certaines questions importantes ;

    Veiller à la pérennité de l’entreprise et prévoir la relève de ses dirigeants ;

    Veiller à la bonne information des actionnaires.

Au sein du conseil d’administration :

    Auto-évaluer le fonctionnement du conseil ;

    Etablir un processus de sélection des administrateurs ;

    Traiter les conflits d’intérêt potentiels ;

    Promouvoir l’éthique.

Du fait de son rôle de contrôle de la gestion de la société, le conseil d’administration se doit d’avoir un regard critique, mais dénué de toute hostilité vis-à-vis de l’exécutif. Ainsi, les relations entre le conseil d’administration et la direction de l’entreprise doivent être caractérisées par ce que l’on pourrait qualifier de « saine tension » ; conséquence d’une relation de confiance assortie d’un contrôle régulier.

Cependant, il n’est pas rare que l’appréciation de l’exécutif concernant le conseil d’administration soit empreinte des reproches suivants :

    n’apporte pas de valeur ajoutée ;

    trop préoccupé par la conformité aux règles ;

    fait du micro-management ;

    évite les risques à l’excès (immobilisme) ;

    impose ses vues (autoritarisme) ;

    se soucie surtout de ses intérêts ;

    s’implique trop sur le plan stratégique ;

Pour éviter cette situation, le conseil d’administration doit :

    Bien se structurer (savoir-faire : composition du conseil, ordres du jour, clarté des rôles, etc.).

    Bien s’informer (savoir : préparation des réunions, connaissance de l’entreprise, etc.).

    Bien agir (savoir-être : comportement, écoute, communication, etc.)

Afin de garantir la mise en œuvre d’une gouvernance d’entreprise vertueuse, un certain nombre de bonnes pratiques s’imposent au niveau du fonctionnement du conseil d’administration et de ses relations avec l’exécutif.

Nous avons sélectionné ci-dessous, dix (10) bonnes pratiques ressortant d’études menées par le cabinet de conseil en ressources humaines Korn Ferry International :

    Lors de la sélection des administrateurs, s’assurer qu’à travers leur expertise et leur expérience, ils ont la capacité de comprendre le secteur d’activités de l’entreprise, de participer à sa gouvernance et de contribuer au design de l’organisation. L’élaboration d’une matrice des compétences requises par le conseil est un bon moyen de s’en assurer.

    S’assurer que la composition du conseil est diversifiée en termes de profils et de genre, que les membres sont complémentaires et comptent des cadres supérieurs ou dirigeants d’entreprises de tailles comparables. La matrice des compétences peut être utilisée pour ce faire.

    S’assurer de disposer d’un nombre suffisant, voire d’une majorité, d’administrateurs (réellement) indépendants.

    Former les administrateurs sur les défis concurrentiels, technologiques, organisationnels et financiers auxquels l’entreprise est confrontée.

    Elaborer des indicateurs de performance de l’entreprise.

    Procéder à des revues périodiques des plans de carrière des principaux membres de l’exécutif, à l’actualisation du plan de relève de l’entreprise et à l’identification des collaborateurs à haut potentiel.

    Evaluer de façon annuelle et formelle la performance de l’exécutif.

    S’assurer que les administrateurs indépendants contrôlent (présidence, majorité des membres) les comités Gouvernance, Audit, et Rémunérations.

    Evaluer annuellement la performance de chaque administrateur.

    Evaluer de façon régulière la performance du conseil d’administration dans son ensemble.

Pour finir, nous pouvons retenir qu’une gouvernance efficace repose sur quatre grands piliers :

    Crédibilité et légitimité ;

    Processus de planification stratégique ;

    Système d’information et de gestion des risques ;

    Système de motivation et d’incitation à la performance.

D’après Stephen Jarislowsky, gestionnaire de portefeuille réputé au Canada, et président du conseil de Jarislowsky Fraser, « pour un administrateur, la crédibilité et les compétences sont certes nécessaires, mais il faut également de la curiosité et du courage. Il faut par ailleurs s’assurer que les administrateurs comprennent leur rôle tout en ayant du plaisir à siéger ».

La notion de courage de l’administrateur est un aspect très important. Un administrateur doit à tout moment être confortable avec les décisions prises par le conseil d’administration et les assumer pleinement. En cas de désaccord profond, il doit avoir le courage d’exprimer son opposition, exiger que cette opposition soit dûment consignée et aller jusqu’à la démission si les divergences sont trop grandes.

REUSSIR LA TRANSMISSION DE SON ENTREPRISE

Revue “Entreprendre Plus” du CNP - Octobre 2020

Revue “Entreprendre Plus” du CNP - Octobre 2020

Réussir la Transmission
de son Entreprise

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« Toutes les entreprises ne peuvent être cédées de la même manière…»

Me Aïda DIAWARA DIAGNE - Notaire

La transmission d’entreprise équivaut au transfert par le ou les associés d’une société à un ou des tiers, à des membres de la famille du chef d’entreprise ou desdits associés soit au moyen d’une vente ou cession ou d’une donation.

Que l’on cède ou que l’on transmette son entreprise, l’objectif visé reste le même : il s’agit de transférer tout ou partie du capital social ou des actifs à un repreneur quel qu’il soit. Si la cession ou la transmission ont le même objectif, au plan fiscal, les effets différent, la cession supposant un prix et la transmission s’effectuant en général à titre gratuit.

Bon nombre de professionnels préfèrent acquérir une société ou une activité déjà lancée, viable de manière à la poursuivre plus aisément. Toutefois, si toutes les activités peuvent à priori être cédées, il peut arriver que la cession ne puisse être réalisée soit parce que l’activité est réglementée (exemple : cliniques, pharmacies, etc.) soit parce qu’une situation de fait entre les associés la rend impossible.

Cadre juridique et réglementaire

La transmission d’entreprise peut intervenir, selon la forme sociale choisie pour l’exercice de l’activité (société commerciale SA, SARL ou autre, entreprise individuelle) soit au moyen d’une cession de titres ou d’une cession de fonds de commerce par exemple ou plus simplement au moyen d’une donation dans le cadre d’une transmission familiale.

Les conditions de la cession ou de la transmission dépendront donc du statut juridique de l’entreprise et des facteurs propres à l’environnement de l’entreprise.

Comme indiqué supra, toutes les activités peuvent a priori être cédées. Il existe toutefois des situations de fait ou de droit qui rendent la cession compliquée, voire impossible en totalité.

En règle générale, la transmission ou la cession de l’entreprise découle soit d’une volonté de se retirer professionnellement  en raison de l’âge et d’organiser sa suite par exemple, soit, plus simplement, d’une volonté de changer d’orientation professionnelle

Pour d’autres, il s’agira simplement d’anticiper le manque de moyens face à un développement nécessaire à la poursuite de l’activité.

En tout état de cause, et quelle que soit la raison qui pousse le ou les entrepreneurs à procéder à une cession ou une transmission de l’entreprise, la recommandation première qui s’impose est la nécessité de s’entourer de « sachants » en vue de sécuriser le processus.

En effet, les négociations en vue de la reprise de l’activité étant bien souvent longues et complexes,  il est recommandé pour le cédant  de procéder aux audits comptable, juridique et fiscal nécessaires et de veiller à faire signer au préalable au futur repreneur :

Une lettre d’intention fixant le cadre et les conditions de la reprise de l’activité,

Mais surtout un accord de confidentialité, ce dans le souci de protéger les informations sensibles qui vont lui être communiquées et d’éviter qu’en cas de désaccord, lesdites informations puissent être divulguées.

S’agissant d’une transmission à titre gratuit, elle peut s’opérer soit par donation voire donation-partage, soit par voie testamentaire.

Un tel choix nécessitera l’intervention d’un professionnel du droit qui pourra alors guider le cédant et l’assister pour régler au mieux sa succession dans l’intérêt de tous les héritiers mais surtout dans un souci de pérennité de l’entreprise cédée.

Il est également possible de ne céder qu’une branche d’activité au moyen d’un apport partiel

La transmission d’entreprise s’inscrit donc dans un cadre réglementaire très étendu qui touche le Droit OHADA sur les sociétés, le droit commercial, le Code des obligations civiles et commerciales, le Code de la Famille, le droit du travail voire même les procédures collectives s’il y a lieu.

En effet une bonne transmission nécessitera la maîtrise de toutes les données de l’entreprise dans les domaines aussi variés que ceux cités pour assurer une reprise sans heurts.

Conseils du Notaire au regard des enjeux familiaux, financiers et fiscaux :

Le meilleur conseil qui puisse être donné aux chefs d’entreprises désireux de céder leurs activités au regard des divers enjeux liés à la transmission de leurs entreprise, c’est l’anticipation : Ne pas attendre le dernier moment pour procéder aux audits juridique, comptable et financier que tout repreneur demandera avant de s’engager dans la reprise d’une activité.

Une bonne transmission nécessite une bonne préparation d’abord dans le souci de rassurer le repreneur éventuel mais surtout pour bien valoriser son patrimoine et optimiser l’opération.

Anticiper sur les audits permettra au cédant de circonscrire avec précision les conséquences juridiques et fiscales de l’opération envisagée mais surtout d’avoir une base de valorisation du bien devant être cédé, de passer en revue les actifs et éventuellement le passif de l’entreprise.

Au plan juridique et fiscal, l’audit permettra d’étudier les clauses statutaires, de voir s’il n’existait pas par exemple des pactes d’associés ou des clauses particulières empêchant la cession telle que l’existence de droit de préemption, de clauses d’agrément ou autres clauses particulières.

Anticiper la transmission de son entreprise permet également d’éviter qu’au décès du propriétaire, l’entreprise ne soit cédée, comme le veut la loi, automatiquement aux héritiers (conjoint et descendants) avec le risque que ces derniers ne puissent poursuivre l’activité du défunt.

Dès lors, il est recommandé pour un entrepreneur, quel qu’il soit , de préparer sa succession et de choisir, pendant qu’il en a les moyens et la volonté, le futur repreneur de son entreprise.

LA RESTITUTION DES OEUVRES D'ART AFRICAIN

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LA QUESTION DES RESTITUTIONS EST INSCRITE DANS L'ADN DES INDÉPENDANCES

Les députés français ont donné leur feu vert pour la restitution de 26 œuvres d'art au Bénin et d'un sabre au Sénégal. Marie-Cécile Zinsou, historienne de l'art explique "qu'il ne s'agit pas de vider les musées français au profit du continent africain"

Publication 09/10/2020

Près de trois ans après le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadouou, les députés français ont donné leur feu vert pour la restitution de 26 œuvres d'art au Bénin et d'un sabre au Sénégal. Marie-Cécile Zinsou, franco-béninoise, historienne de l'art et présidente de la Fondation Zinsou, explique "qu'il ne s'agit pas de vider les musées français au profit du continent africain" mais de rendre un patrimoine accessible aux jeunes béninois et sénégalais : "Nous sommes là pour créer l'avenir" dit-elle.

Le problème doit être analysé "d'une façon ouverte" souligne Hamady Bocoum, directeur du Musée des civilisations noires de Dakar : "La question des restitutions est inscrite dans l'ADN des indépendances [...], elle dépasse l'Afrique et implique aussi l'Europe".

Video: cliquer sur le lien : https://youtu.be/ImddPzQBj4E

La presse, prurit de notre démocratie - Par Jean Pierre Corréa


Contribution

La presse, prurit de notre démocratie (Par Jean Pierre Corréa)

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Par: Jean Pierre CORRÉA - Seneweb.com | 29 septembre, 2020

On ne peut pas continuer à être navrés par la qualité des "informations" que ces journaux nous dégueulent, confortés par la certitude hélas souvent validée, qu'ils ne font que donner aux Sénégalais ce que leurs désirs de frivolité requièrent.

"La faute n'est donc pas au public, qui demande des sottises, mais à ceux qui ne savent pas lui servir autre chose." Miguel de Cervantès.

D'abord, la question à 100 balles : quel est l'apport de la vingtaine de quotidiens sénégalais à notre démocratie et à l'animation des cruciaux débats qui la traversent et qui sont sensés disposer notre cher Sénégal dans le temps du monde ?

Cette question me venait souvent à l'esprit, rien qu'à la vue de cette pléthore de journaux pendus dans nos rues, à des cordes à linge, et qui attirent tels des "mouches à merde", tous ces "titrologues" qui une fois repus de cette surenchère de "Unes" vendeuses et aguicheuses, s'en vont les commenter, faisant ainsi du "titre" la quintessence de l'information. Mais une opportunité professionnelle, m'ouvrant le bonheur de revenir à un des exercices préférés de mon métier de journaliste, la revue de presse, que je délivrerai chaque matin sur le site en ligne d'un grand quotidien sénégalais, m'a mis en situation depuis une dizaine de jours, parce que devant reprendre les marques de ce genre, de lire tout ce qui paraît et se considère comme estampillé "presse"… D'un rire un peu narquois, je dirai qu'on passe plus de temps à les compter qu'à les lire… Mais plus sérieusement, pour faire chaque matin une revue de presse digne de ce que ce genre journalistique requiert et implique, il s'est naturellement et éthiquement imposé à moi, le devoir de ne considérer pour poser une vraie revue de l'actualité, que les titres qui méritent d'être ce que l'on appelle "un journal", avec un "ourse" qui en honore le contenu et des "plumes" qui en illuminent la ligne éditoriale.

Comment notre espace médiatique s'est-il retrouvé saturé par cette pléthore de journaux qui se disputent la délicate mission de nous livrer les clés d'une actualité qui sous nos latitudes ne mérite pas tant de pages noircies ? Il convient d'interroger le modèle économique, qui a voulu offrir une information de qualité, populaire et éclectique au plus grand nombre, et au plus bas prix. Et ainsi naquit "le journal à 100 balles", qui ne peut pas évidemment coûter 100 balles. Un journal qui paye ses journalistes, au prix de leurs talents consacrés par les diplômes adéquats, leur donne les moyens d'investigations nécessaires, respecte leurs droits sociaux, les met dans les meilleures conditions technologiques d'exercice de leur métier, leur assure des salaires qui les mettent à l'abri du "transport corrupteur", un journal qui coche toutes ces cases, ne peut pas coûter 100 balles ! Surtout lorsque son tirage ne dépasse pas les 1 000 exemplaires dont seule la moitié est péniblement vendue…

Faire une revue de presse qui soit respectueuse du genre et des auditeurs, dans ce magma glauque de journaux improbables, impose un tri sélectif qui fasse part belle à l'information générale, et aux problématiques de société qui participent à la maturation de nos populations et respectent leurs intelligences. On ne peut continuer à subir les "groupes de pression" tapis derrière un Dirpub unique rédacteur de son torchon, qui se mue en sniper à la solde d'un adversaire politique ou économique, pour abattre un homme ou "carboniser" un enjeu économique, ou en maître chanteur, qui allongé dans un lounge d'hôtel de luxe avec son ordinateur diffuse de fausses nouvelles en espérant un démenti qui les accrédite ou un bon arrangement sonnant et trébuchant. On ne peut se laisser informer par des journalistes qui après deux années de rédaction dans un journal où pas un de leurs articles n'a fait avancer aucune idée ou cause, s'acoquinent avec un homme politique qui y blanchissant d'obscurs deniers, pour créer un organe de presse, qui abritera les pensées d'hommes obsolètes, qui viennent y déverser en une et sur deux pages des banalités dont personne ne leur a demandé de nous abreuver du haut de leur vulgaire prétention.

"Babacar Touré, Réveille-toi ! Ils sont contents d'être vils !

Qu'importe qu'il faille salir quelqu'un ou insulter la vérité. Le choix est clair. Parfois, que dis-je, souvent nos journalistes préfèrent être les premiers à dire une connerie qu'être les derniers à dire la vérité. Pourquoi se gêneraient-ils d'ailleurs puisque diffamer n'a aucune conséquence, et qu'on peut affirmer des fadaises, vautrés dans des approximations, juger une personne en toute désinvolture et trouver, fort de notre incompétence assumée, de troublants mais intéressés arrangements avec la vérité.

Il est urgentissime de donner aux sénégalais la presse qu'ils méritent et le respect qu'on leur doit. On ne peut pas continuer à être navrés tous les jours par le niveau et la qualité des "informations" que ces journaux, sites improbables, nous dégueulent chaque jour, confortés par la certitude, hélas souvent validée, qu'ils ne font que donner aux sénégalais ce que leurs désirs de frivolité et de vulgarité requièrent.

Tout n'est pas permis parce qu'on est journaliste… Une des dernières chroniques de Babacar Touré nous éclairait en nous enjoignant qu'"au total, c'est bien aux citoyens, - dont les journalistes - soucieux de la valeur de leur fonction, de leur éminente contribution dans la société, de la dignité de leur profession, de se faire respecter et de défendre becs et ongles leurs droits inaliénables. La liberté de presse tire son origine et sa substance dans la liberté d'expression du citoyen, de la citoyenne, en tant que droit fondamental et universel de la personne humaine dont elle est un des modes et parmi les modalités de mise en œuvre concrète et effective. Ne l'oublions jamais. La norme, c'est la liberté. Quant à la doctrine, elle s'ancre dans la responsabilité".

Nous avons le devoir que les revues de presse ne deviennent pas des "revues de presque", avec des flibustiers en guise de journalistes et des titres provocateurs en guise d'informations. Il faut que cesse l'ère du soupçon qui nous oblige à lire un papier à deux fois pour y déceler souvent des relents fleurant bon la commande et la corruption, voire parfois une demande d'exécution d'une personnalité.

Quelle est aujourd'hui la ligne éditoriale de certains "canards" qui abritent ces nouveaux chiens de garde ? Il s'agit seulement de proposer aux chalands les "Unes" les plus vendeuses, et qui sont souvent les plus choquantes. La déontologie n'est enseignée nulle part dans les écoles de journalisme. C'est juste le mot qui dans notre profession remplace le mot passeport et visa de ce métier : l'éducation… Mais si déjà petits leurs propres mères les insultaient de mères…nous sommes mal barrés…

Question subsidiaire : Quelle est la définition de la pudeur ? C'est éteindre la lumière avant de lire certains quotidiens. Voire, après les avoir lus, renouveler ses ablutions. Je souhaite finir mes revues de presse sans me sentir souillé et respectueux de l'intelligence que j'accorde à mes auditeurs… C'est ma liberté…C'est ma responsabilité.

La RSE : une démarche bien plus complexe qu'il n'y paraît

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La RSE : une démarche bien plus complexe qu'il n'y paraît

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Wally Ndiaye est project manager chez Square, et consultant en stratégie et organisation des banques et compagnies d'assurances

Wally Ndiaye est project manager chez Square, et consultant en stratégie et organisation des banques et compagnies d'assurances

Publié par Wally Ndiaye - groupe Square le 11 sept. 2020 

La RSE est dans l'air du temps et encore plus en cette période post-confinement où l'on envisage de redémarrer la vie économique sur des bases éventuellement plus solidaires et/ou durables.

Paradoxalement, la RSE demeure floue dans les esprits quant à sa définition, ses moyens et sa légitimité. Mettre en oeuvre une démarche de RSE c'est, en amont, mettre en place toute une organisation dédiée à l'exécution d'une politique globale, s'inscrivant sur un horizon de 3 à 5 ans, composée de sous-politiques sociale, sociétale et environnementale rigoureusement pilotées et évaluées par une gouvernance ad hoc, loin des clichés réducteurs limitant la RSE à des initiatives isolées et spontanées.

Les enjeux d'une politique RSE bien plus larges que les simples idées reçues

Contrairement aux idées reçues, le terme RSE ne veut pas dire Responsabilité Sociale d'Entreprise comme son nom pourrait le faire croire en anglais (CSR pour Corporate Social Responsability) et comme on pourrait l'entendre encore à ce jour. Si la notion de RSE recouvre les mêmes principes que la CSR anglo-saxonne, sa signification est, en français, Responsabilité Sociétale d'Entreprise. Aussi traite-telle de trois volets : un volet sociétal, un volet environnemental et un volet social faux-ami du mot anglais " social ".

Le mot sociétal désigne l'ensemble des engagements en faveur du développement durable (impact territorial, économique et social de l'activité de l'entreprise), des relations entretenues avec les personnes ou les organisations intéressées par l'activité de la société, la gestion responsable de la sous-traitance et des relations fournisseurs. L'environnemental concerne la politique générale de l'entreprise en la matière, la pollution et gestion des déchets, l'utilisation durable des ressources, la prise en compte du changement climatique (empreinte carbone), la protection de la biodiversité. Le social enfin désigne tout ce qui a trait à l'emploi, l'organisation du travail, les relations sociales, la santé et la sécurité, la formation, l'égalité de traitement, le respect des conventions de l'Organisation Internationale du Travail (OIT).

Une démarche incitée

Pour aller plus loin dans la compréhension, il est pertinent d'appréhender les enjeux de la matière au travers de ses cadres de référence : son cadre réglementaire et légal et ses différents référentiels (1).

Si la RSE est une démarche d'entreprise largement volontaire jusqu'à ce jour, il existe quand même un cadre réglementaire et légal qui oblige et incite à mener des actions responsables. Ces dernières sont relatives notamment aux obligations à respecter les normes environnementales en vigueur (écotaxes, subventions des énergies renouvelables), mais aussi aux incitations fiscales à mener des actions de soutien à l'économie française (exemple : réduction d'impôt pour les investissements dans les PME, au travers des Fonds Communs de Placement dans l'Innovation ou des Fonds d'Investissement de Proximité).

Lire aussi Impact : ces entreprises qui changent le monde

Une démarche normalisée, organisée et pilotée

La RSE volontaire et désintéressée (financièrement parlant) est celle qui nous intéresse ici. Elle dispose d'un cadre de référence propre dont les éléments les plus connus sont : le Pacte Mondial des Nations-Unis relatif au Développement durable (UN Compact), la Global Reporting Initiative (GRI), la norme ISO 26000, les guides de reporting RSE dont celui du Medef et les labels responsables (ex : labels dits " verts ").

Prenons ainsi l'exemple d'une démarche RSE rigoureusement menée au sein d'une entreprise pour être plus explicite. Sur le volet social une démarche RSE pourrait mettre en place un ensemble d'actions en faveur de son personnel tel que des congés second parent de cinq semaines, l'autorisation illimitée du télétravail et adopter une culture d'essaimage et d'entrepreneuriat. Sur le volet environnemental, une démarche RSE crédible évaluerait le bilan carbone de son activité dans un rapport ad hoc réalisé par un expert et tiers indépendant. Enfin sur le volet sociétal, on pourrait envisager par exemple le financement et/ou l'accompagnement de demandeurs d'emploi ou de travailleurs en difficultés financières et ce surtout en cette période post-crise sanitaire.

Enfin, l'évaluation de la démarche RSE est fondamentale. Elle donne à cette dernière toute sa légitimité. C'est alors qu'intervient un acteur incontournable de la " chaine de valeur " venant attester de la réalité des informations communiquées dans les rapports RSE fournis par l'entreprise : un tiers indépendant(2) accrédité par le Comité français d'accréditation (Cofrac), unique instance nationale d'accréditation. Cette évaluation se fait sur la base d'un grand nombre d'indicateurs de performance dûment analysés pour chacun des 3 volets de la matière.

Vous l'aurez compris, la RSE n'est donc pas qu'un " simple " projet humanitaire ou un ensemble d'engagements écologiques isolés mais bien une politique globale à moyen et long terme comprenant de sérieuses sous-politiques sociale, sociétale et environnementale pilotées via des indicateurs de performance et évaluées par un tiers de confiance indépendant et accrédité. Autrement, il conviendrait de parler de bonnes oeuvres mais pas de RSE. Une gouvernance est à mettre en place afin d'élaborer puis d'implémenter une politique RSE.

Si la notion de RSE n'est pas encore bien maîtrisée du grand public, malgré son impact de développement durable reconnu de tous, cela est sans doute dû à son caractère non obligatoire pour toutes les entreprises à ce jour : seules sont concernées les sociétés cotées, les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions dont le total de bilan ou le chiffre d'affaires est au minimum de 100 millions d'euros et dont le nombre moyen de salariés est au moins de 500.

Demain, toutes les entreprises seront incitées positivement à la responsabilité sociétale, toutes seront familières à cette vision partagée, la société se transformera progressivement devenant, ainsi, plus solidaire.

(1)Sources : Formes de régulation et d'intervention en matière de RSE, Université de Lille 1, Bruno Boidin ; Labels environnementaux, ADEME, https://www.ademe.fr/labels-environnementaux ; Reporting RSE, Les nouvelles dispositions légales et réglementaire, Mouvement des Entreprises de France, Mai 2012

(2)Il est cependant possible d'être accrédité par d'autres organismes européens.

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La RSE souffrirait-elle encore d’idées reçues ?

23/septembre/2020

Quand beaucoup pensent bien connaitre la RSE, en réalité elle demeure encore floue dans les esprits quant à sa définition, ses moyens et sa légitimité. Trois illustrations de clichés à ce sujet : – Une entreprise qui participe à des actions humanitaires (quel qu’en soit le volume de sa générosité) ne s’inscrit pas nécessairement dans une démarche RSE – Une fondation menant des activités de mécénat n’est qu’un instrument RSE ne garantissant pas, lui-seul, la légitimité des actions RSE engagées – Instaurer et exécuter une politique « d’Engagement écologique » n’est qu’une composante d’une politique RSE plus globale.

Essayons de dissiper ici le trouble autour de cet acronyme en commençant par en rappeler sa définition. Le terme RSE signifie Responsabilité Sociétale d’Entreprise et non Responsabilité Sociale d’Entreprise comme son nom pourrait le faire croire en anglais CSR (Corporate Social Responsability). Mais ces trois lettres sont encore réductrices de sens puisqu’il s’agit de Responsabilité Sociétale, Sociale et Environnementale d’Entreprise. Le terme RSE aurait pu être substitué par « RSSEE » pour être plus explicite.

Avant d’aller plus loin dans nos propos, peut-être est-il bon de relever que la responsabilité de l’entreprise n’est pas née avec la RSE. En effet, nous pouvons dire sans trop nous aventurer que la responsabilité sociétale en France est au moins aussi « ancienne » que la responsabilité civile pour laquelle une entreprise sera toujours tenue responsable en cas de dommage causé à autrui. Si ce principe paraît évident, énoncé comme tel, il n’est vrai que depuis l’arrêt en cassation de la chambre civile 2ième du 17 juillet 1967[1]. Mais encore faut-il prouver l’existence du dommage, son fait générateur et le lien de causalité entre les deux.

Dès lors, pour en savoir davantage faut-il s’intéresser aux éléments nouveaux de cette Responsabilité d’entreprise. Aussi, pour mieux cerner la RSE, il est pertinent d’en appréhender les enjeux au travers de ses cadres de référence : son cadre réglementaire & légal et ses différents référentiels.

En effet, si la RSE est une démarche d’entreprise largement volontaire jusqu’à ce jour, il existe quand même un cadre réglementaire & légal qui oblige et incite à mener des actions responsables. Ces dernières sont relatives notamment aux obligations à respecter les normes environnementales en vigueur (écotaxes, subventions des énergies renouvelables) mais aussi aux incitations fiscales à mener des actions de soutien à l’économie française (exemple : réduction d’impôt pour les investissements dans les PME au travers des Fonds Communs de Placement dans l’Innovation et exonération d’impôt pour la souscription à un Livret de développement durable et solidaire[2]).

C’est ainsi que bon nombre d’entreprises mènent des actions responsables de façon contraintes ou incitées par la réglementation européenne, les lois et politiques françaises. Quelle gloire tirer du simple respect de la loi ?

La RSE volontaire et désintéressée* (*financièrement parlant) est bien cette RSE qui nous concerne ici. Cette dernière dispose d’un cadre de référence propre dont les éléments les plus connus sont :

  • Le Pacte Mondial des Nations-Unis relatif au Développement durable (UN COMPACT) ;

  • La Global Reporting Initiative (GRI) ;

  • La norme ISO 26000 ;

  • Les guides de reporting RSE dont celui du MEDEF (basé sur la Loi Grenelle 2 – Article 225 et ses textes d’organisation et d’application) ;

  • Les labels responsables (ex : labels dits « verts »).

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Cadres de référence de la RSE [3]

Mais le plus important à retenir, au-delà des moyens à employer pour faire/être RSE, est sans doute que la RSE volontaire et désintéressée s’inscrit dans une véritable démarche organisée, exhaustive, pilotée (indicateurs de suivi) et évaluée sur 3 volets[4] :

  • Social :

    • emploi, organisation du travail, relations sociales, santé et sécurité, formation, égalité de traitement, respect des conventions de l’Organisation Internationale du Travail ;

  • Environnemental  :

    • politique générale, pollution et gestion des déchets, utilisation durable des ressources, changement climatique, protection de la biodiversité

  • Sociétal :

    • engagements en faveur du développement durable / impact territorial, économique et social de l’activité de la société, relations entretenues avec les personnes ou les organisations intéressées par l’activité de la société, sous-traitance et fournisseurs, loyauté des pratiques.

Aussi, l’évaluation de la démarche RSE est fondamentale en ce qu’elle donne à cette dernière toute sa légitimité. Il n’existe point d’impact vérifiable sans évaluation donc point de RSE sans évaluation ! C’est alors qu’intervient un acteur incontournable de la « chaine de valeur » venant attester de la réalité des informations communiquées dans les rapports RSE fournis par l’entreprise : un tiers indépendant[5] accrédité par le Comité français d’accréditation (COFRAC), unique instance nationale d’accréditation.

En somme, la RSE n’est donc pas un projet humanitaire ou des engagements écologiques isolés mais bien une politique globale comprenant des sous-politiques Sociale, Sociétale et Environnementale pilotées via des indicateurs de performance et évaluées par un Tiers de confiance indépendant et accrédité. Si la notion de RSE n’est pas encore bien comprise du grand public, malgré toute l’importante qu’elle revêt, c’est sans doute dû à son caractère non encore obligatoire pour tous, à ce jour.

Quand toutes les entreprises devront rendre comptes de leur politique RSE auprès du régulateur, qui pourra prétendre ignorer la loi ? A bon entendeur…

Wally NDIAYE, Project Manager chez Vertuo Conseil ( réseau Square Management)

Notes :

  1. Source : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000006976133&fastReqId=992990988&fastPos=1

  2. Dans le cadre de la loi Sapin 2 votée en novembre 2016, le LDD a été renommé LDDS (Livret de développement durable et solidaire) depuis le 1er janvier 2017. Ce texte prévoit la possibilité d’une affectation par le détenteur d’un LDDS à un organisme l’économie sociale et solidaire (ESS) d’une partie de son livret d’épargne (capital et ou intérêts) sous la forme d’un don

  3. Sources : Formes de régulation et d’intervention en matière de RSE, Université de Lille 1, Bruno Boidin ;

Labels environnementaux, ADEME, https://www.ademe.fr/labels-environnementaux  

4.Source : Reporting RSE, Les nouvelles dispositions légales et réglementaire, Mouvement des Entreprises de France, Mai 2012.

5.Il est cependant possible d’être accrédité par d’autres organismes européens.

LE TABOU DE LA TRAITE NEGRIERE ARABE

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LE TABOU DE LA TRAITE NEGRIERE ARABE

La traite négrière est triple : l’occidentale (la plus dénoncée), l’intra-africaine (la plus tue) et l’orientale (la plus taboue).

L’Afrique a connu des traites tout aussi violentes et dévastatrices que la traite transatlantique. Il s’agit des traites orientale et transsaharienne, organisées par les Arabes, pendant treize siècles sans interruption.

La traite transatlantique pour sa part, a duré quatre siècles. Tidiane N’Diaye, anthropologue et économiste sénégalais, s’est penché sur le sujet dans son ouvrage “Le génocide voilé”.

“La plupart des gens braquent toujours les projecteurs sur la traite transatlantique pratiquée par les Européens en direction du Nouveau monde. Mais, en réalité, l’esclavage arabo-musulman a été beaucoup plus important parce que, quand je fais la synthèse des travaux existant, pour la traite transatlantique on se situe dans une fourchette entre  9, 6 et 11 millions d’individus, alors que pour la traite arabo-musulmane, ce sont 17 millions de victimes” affirme le Sénégalais.

Groupe d'esclaves menés par un négrier arabe armé, Zanzibar, 1889

Groupe d'esclaves menés par un négrier arabe armé, Zanzibar, 1889

Africains esclavagistes

Les razzias effectuées en Afrique de l’est par la route transsaharienne vers le Maroc ou l’Égypte concernent huit millions d’Africains.

Neuf autres millions ont été déportés dans les régions de la mer Rouge ou de l’océan Indien. Mais, ces statistiques, évoquées par le chercheur sénégalais, sont relativisées par Abdulazizi Lodhi, professeur de swahili et de linguistique africaine à l’Université d’Uppsala en Suède.

“L’esclavage faisait partie de diverses cultures africaines et, dans de nombreuses sociétés africaines, il n’y avait pas de prisons, de sorte que lorsqu’ils capturaient des gens, ils les vendaient, surtout vers le Nord. Ces esclaves pouvaient devenir des soldats et avoir des grades dans d’autres pays. En Afrique de l’est, les principaux participants à la traite négrière étaient les Africains tribaux eux-mêmes. En ce qui concerne l’exportation, les Arabes étaient les plus actifs parce qu’ils s’occupaient du commerce d’exportation et non de la capture d’esclaves en tant que tels. Ils achetaient neuf esclaves sur dix aux esclavagistes africains ” explique Abdulazizi Lodhi.

La traite arabo-musulmane que l’anthropologue Tidiane N’Diaye qualifie de “génocide de peuples noirs”, serait selon lui, en partie à l’origine de la pauvreté, la longue stagnation démographique et le retard de développement actuel que connait l’Afrique.

Et bien que ce fléau ait été aboli, on estime que près de 40 millions de personnes dans le monde vivent encore en esclavage. Le continent africain bien sûr n’est pas épargné.

Marché aux esclaves à Zabid (Yémen) où Abu Zayd vend son fils à al-Harith, manuscrit de l'école de Bagdad, 1237

Marché aux esclaves à Zabid (Yémen) où Abu Zayd vend son fils à al-Harith, manuscrit de l'école de Bagdad, 1237

Les acteurs de la traite arabe

Les esclaves noirs étaient capturés, transportés et achetés par des personnages très différents. La traite passait par une série d’intermédiaires et enrichissait une certaine partie de l’aristocratie musulmane.

L’esclavage se nourrissait des guerres entre peuples et États africains, ce qui donnait lieu à une traite interne. Les vaincus devaient un tribut constitué d’hommes et de femmes réduits en captivité. Sonni Ali Ber (1464-1492), empereur du Songhaï, mena de nombreuses guerres pour étendre son territoire. Bien qu’il fût musulman, il réduisit en esclavage d’autres musulmans vaincus. La dynastie des Askia (Mali) eut la même politique.

Aux VIIe et IXe siècles, les califes avaient tenté d’organiser la colonisation des rivages africains de l’océan Indien à des fins commerciales. Mais ces établissements furent éphémères, souvent fondés par des exilés ou des aventuriers. Le sultan du Caire envoyait des trafiquants d’esclaves pour opérer des raids sur les villages du Darfour. Des bandes armées aux ordres de marchands allaient incendier les villages et rapportaient des captifs, souvent des femmes et des enfants. Face à ces attaques, les populations formaient des milices, érigeaient des tours et des enceintes afin de protéger leurs villages.

Les marchands arabes et berbères d’Afrique du Nord échangeaient des esclaves contre de l’or, du sel, des épices ou des métaux dans les empires d’Afrique occidentale. Ainsi, dans la capitale de l’empire du Ghana Koumbi-Saleh, la population était répartie par quartiers en fonction des ethnies, des clans et des activités : le quartier des Blancs étaient réservés aux marchands arabes qui disposaient de mosquées alors que l’Empire était majoritairement animiste. L’Empire du Mali (XIIIe – XVe siècles) poursuivit les échanges avec les États d’Afrique du Nord et l’on a rencontré des marchands arabes et juifs dans les villes.

Maures pillant un village nègre, in Le Sénégal, René Geoffroy de Villeneuve, 1814, BNF

Maures pillant un village nègre, in Le Sénégal, René Geoffroy de Villeneuve, 1814, BNF

Buts de la traite et de l’esclavage

Les motifs économiques étaient les plus évidents. Dès les débuts de la conquête arabo-musulmane, le manque de main-d’œuvre entraîna le besoin d’utiliser des esclaves sur les chantiers ou dans les mines de sel. La traite occasionnait de grands profits pour ceux qui la maîtrisaient. Plusieurs cités se sont enrichies et ont prospéré grâce au trafic des esclaves, aussi bien au Soudan qu’en Afrique orientale. Dans le désert du Sahara, les chefs lançaient des expéditions contre les pillards de convois. Les souverains du Maroc médiéval avaient fait construire des forteresses dans les régions désertiques qu’ils dominaient afin d’offrir des haltes protégées aux caravanes. Le sultan d’Oman a transféré sa capitale à Zanzibar (signifiant « côte des Noirs »), car il avait bien saisi l’intérêt économique de la traite arabe. Plusieurs milliers d’esclaves transitaient par Zanzibar chaque année au XIXe siècle avant d’être déportés en Arabie, voire au Brésil. Le palais du sultan témoigne encore de sa fortune. Plusieurs milliers d’autres hommes travaillaient de force dans les plantations.

C’était aussi souvent à des fins sexuelles. En effet, dans l’aire arabo-musulmane, les harems nécessitaient un « approvisionnement » en femmes.

Il existait en outre des raisons sociales et culturelles à la traite : en Afrique subsaharienne, la possession d’esclaves était le signe d’appartenance à un haut rang social.

A Constantinople (empire ottoman), 1836

A Constantinople (empire ottoman), 1836

Pour finir, il est impossible d’ignorer la dimension religieuse et raciste de la traite. Punir les mauvais musulmans ou les païens tenait lieu de justification idéologique à l’esclavagisme : les dirigeants musulmans d’Afrique du Nord, du Sahara et du Sahel lançaient des razzias pour persécuter les infidèles : au Moyen Âge, l’islamisation était en effet superficielle dans les régions rurales de l’Afrique. Les lettrés musulmans invoquaient la suprématie raciale des Blancs, qui se fondait sur le récit de la malédiction proférée par Noé dans l’Ancien Testament (Genèse 9:20-27). Selon eux, elle s’appliquait aux Noirs, descendants de Cham, le père de Canaan, qui avait vu Noé nu. Les Noirs étaient donc considérés comme « inférieurs » et « prédestinés » à être esclaves. Plusieurs auteurs arabes les comparaient à des animaux. Le poète Al-Mutanabbi méprisait le gouverneur égyptien Abu al-Misk Kafur au Xe siècle à cause de la couleur de sa peau.

Le mot arabe abid qui signifiait esclave est devenu à partir du VIIe siècle plus ou moins synonyme de « Noir ». Quant au mot arabe zanj, il désignait de façon péjorative les Noirs. Ces jugements racistes étaient récurrents dans les œuvres des historiens et des géographes arabes : ainsi, Ibn Khaldoun a pu écrire au XIVe siècle : « Les seuls peuples à accepter vraiment l’esclavage sans espoir de retour sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade de l’animal ». À la même période, le lettré égyptien Al-Abshibi écrivait « Quand il [le Noir] a faim, il vole et lorsqu’il est rassasié, il fornique ». Les Arabes présents sur la côte orientale de l’Afrique utilisaient le mot « cafre » pour désigner les Noirs de l’intérieur et du Sud. Ce mot vient de « kāfir » qui signifie « infidèle » ou « mécréant ».

http://environnement-afrique.com/

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LES 5 SOURCES D'ENERGIES RENOUVELABLES

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LE SAVIEZ-VOUS ? QUELS SONT LES CINQ TYPES D’ÉNERGIES RENOUVELABLES ?

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À l’origine de toutes les énergies renouvelables que l’humanité exploite aujourd’hui, il n’y a que deux grandes sources : le Soleil et la Terre. Toutefois, les spécialistes aiment à classer ces énergies en cinq grands types qui présentent chacun leurs spécificités.

Le terme énergie renouvelable est employé pour désigner des énergies qui, à l’échelle humaine au moins, sont inépuisables et disponibles en grande quantité. Ainsi il existe cinq grands types d’énergies renouvelables : l’énergie solaire, l’énergie éolienne, l’énergie hydraulique, la biomasse et la géothermie. Leur caractéristique commune est de ne pas produire, en phase d’exploitation, d’émissions polluantes (ou peu), et ainsi d’aider à lutter contre l’effet de serre et le réchauffement climatique.

L’énergie solaire photovoltaïque ou thermique

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On appelle énergie solaire, l’énergie que l’on peut tirer du rayonnement du Soleil.

Il faut distinguer l’énergie solaire photovoltaïque de l’énergie solaire thermique. L’énergie solaire photovoltaïque correspond à l’électricité produite par des cellules dites photovoltaïques. Ces cellules reçoivent la lumière du Soleil et sont capables d’en transformer une partie en électricité. La modularité compte pour l’un de leurs avantages. En effet, des panneaux photovoltaïques peuvent être utilisés aussi bien à des fins domestiques qu’à la production d’énergie à grande échelle.

Dans un système à énergie solaire thermique ou thermodynamique, le rayonnement solaire est employé pour chauffer un fluide. De l’eau, par exemple, comme dans certains chauffe-eau domestiques. Lorsqu’un système de concentration — un jeu de miroirs — y est ajouté, le Soleil peut chauffer le fluide jusqu’à quelque 1.000 °C et la technologie devient exploitable, par exemple, pour la génération d’électricité.

L’inconvénient de l’énergie solaire est qu’il s’agit d’une énergie intermittente. Elle ne peut — aujourd’hui en tout cas — être exploitée que lorsque le Soleil brille.

L’air à l’origine de l’énergie éolienne

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Les ancêtres des éoliennes sont les moulins à vent. Les éoliennes produisent de l’énergie — de l’électricité par exemple, lorsqu’elles sont couplées à un générateur — à partir du déplacement des masses d’air. Elles exploitent l’énergie cinétique du vent.

Les éoliennes peuvent être installées sur la terre ferme. On parle alors d’éoliennes onshores. Ce sont techniquement les plus simples à imaginer. Même si les espaces qui peuvent leur être réservés pourraient rapidement venir à manquer. Et les plus efficaces pourraient être des éoliennes installées en mer que l’on qualifie d’éoliennes offshore.

Tout comme l’énergie solaire, l’énergie éolienne est une énergie intermittente. Les éoliennes ne produisent que lorsque le vent souffle. En revanche, contrairement aux panneaux solaires, il peut être difficile d’installer une éolienne dans son jardin. La technologie est plutôt réservée aux grandes installations.

L’énergie hydraulique grâce aux courants marins

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Le terme d’énergie hydraulique désigne l’énergie qui peut être obtenue par exploitation de l’eau.

Une catégorie d’énergies moins soumise aux conditions météorologiques, mais qui reste réservée à une production d’envergure. Dans les énergies hydrauliques, on trouve :

  • Les barrages qui libèrent de grandes quantités d’eau sur des turbines afin de produire de l’électricité.

  • L’énergie marémotrice qui joue sur l’énergie potentielle des marées, une énergie liée aux différences de niveaux d’eau et aux courants que celles-ci induisent.

  • L’énergie hydrolienne qui exploite les courants marins.

  • L’énergie houlomotrice qui compte sur l’énergie cinétique des vagues et de la houle.

  • L’énergie thermique qui peut être tirée — de manière prudente pour éviter notamment toute perturbation des flux naturels des mers — de la différence de température entre les eaux profondes et les eaux de surface.

  • L’énergie osmotique qui produit de l’électrique grâce à la différence de pression que génère la différence de salinité entre l’eau de mer et l’eau douce.

L’énergie biomasse issue des matières organiques

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La biomasse peut devenir une source de chaleur, d’électricité ou de carburant. Plusieurs techniques peuvent être mises en œuvre pour en tirer son énergie : la combustion, la gazéification, la pyrolyse ou encore la méthanisation par exemple.

L’énergie biomasse peut être produite de manière locale. Mais il faut veiller, dans certains cas, à ce qu’elle n’entre pas en concurrence avec la chaîne alimentaire
L’énergie  comprend :

  • La source ancestrale qu’est le bois. Il peut produire de la chaleur, de l’électricité ou des biocarburants (hydrolyse de la cellulose en glucose puis fermentation en éthanol).

  • Les biocarburants, liquides ou gazeux, issus de la transformation de végétaux comme le colza ou la betterave (1ère génération), issus de matières cellulosiques (2e génération) ou issus de microorganismes comme des microalgues (3e génération).

Il est à noter que la biomasse ne peut être considérée comme une source d’énergie renouvelable que si sa régénération est supérieure à sa consommation.

Puiser l’énergie du sol, la géothermie

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La géothermie est une énergie renouvelable provenant de l’extraction de l’énergie contenue dans le sol. Cette chaleur résulte essentiellement de la désintégration radioactive des atomes fissiles contenus dans les roches. Elle peut être utilisée pour le chauffage, mais aussi pour la production d’électricité. Il s’agit de l’une des seules énergies ne dépendant pas des conditions atmosphériques.

En revanche, elle dépend de la profondeur à laquelle elle est puisée. La géothermie profonde — quelque 2.500 mètres pour 150 à 250 °C — permet de produire de l’électricité. La géothermie moyenne — dans les gisements d’eau notamment de 30 à 150 °C — alimente les réseaux de chaleur urbains. La géothermie à très basse énergie — entre 10 et 100 mètres de profondeur et inférieure à 30 °C — est celle exploitée par les pompes à chaleur.

Notons toutefois que pour que l’énergie géothermique demeure durable, le rythme auquel est puisée cette chaleur ne doit pas dépasser la vitesse à laquelle celle-ci voyage à l’intérieur de la Terre.

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AKON CITY : LES UTOPIES DÉSIRABLES

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LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN

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LES UTOPIES DÉSIRABLES

EXCLUSIF SENEPLUS - Il faut des hommes et des femmes d’action. Pour fouler aux pieds les structures mentales et sociales, qui méprisent l’audace et la liberté - NOTES DE TERRAIN

Paap Seen  |   Publication 30/08/2020

Samedi 29 août 2020. Je n’ai pas fêté la tamxarit, en famille, l’année dernière. Je me rappelle, j’avais terminé le travail vers 18 heures. Puis, je m'étais rendu à Liberté 6, pour prendre un taxi et partir à Rufisque. J’avais patienté près de deux heures. Mais, les chauffeurs ne voulaient pas se rendre à Rufisque. Les deux ou trois qui consentaient à faire la course me demandaient un prix exorbitant. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, j’ai rebroussé chemin. J’ai finalement passé la fête chez un ami. On m’a même offert un bol de cere, qui m’a servi de dîner pendant une semaine. L’essentiel était sauvé. Cette année, pour éviter toute mauvaise fortune, je suis parti plus tôt. J’étais déjà dans le taxi à 17 heures. 

Je me suis assis sur le siège passager avant. Le chauffeur de taxi ne trouvait plus son masque. Je lui en ai offert un. Il était, en apparence, très instruit et ouvert. Au regard des différents sujets de discussion soulevés, et de son niveau de raisonnement. Nous avons parlé, entre autres, de la cherté du péage et des nouveaux lampadaires, en installation sur l’autoroute et dans de nombreux quartiers de la capitale. Comment se fait-il, encore, que le marché d’éclairage public soit remporté par une entreprise française ? On a échangé sur la présence des compagnies françaises, au Sénégal. Sur le TER. Sur la souveraineté nationale. Sur la situation de l’Afrique. On a conclu que notre indépendance n'était pas encore acquise, totalement. Le trajet a été agréable. Il n’y avait aucun embouteillage sur la route.

À un moment, nous avons aperçu, sur l’autoroute, un panneau publicitaire. Qui montrait la ville futuriste que l’artiste, Akon, veut bâtir à Mbodiène. J’ai alors protesté, contre ce que j’ai appelé « une idée farfelue, peut-être même une nouvelle imposture. » Le chauffeur de taxi m’a alors exprimé son désaccord. Pour lui, il faut des initiatives comme celle-ci pour faire rêver les Africains. Je lui ai rétorqué qu’Akon était purement dans le business. Et puis, on ne va pas construire l’Afrique ou la sortir de sa situation actuelle, avec des rêveries. Le chauffeur était plus enthousiaste et manifestait son adhésion au projet. Selon lui, Akon est dans son droit. Même si c’est un rêve. 

Ce n’était pas la première fois que j’entendais un raisonnement pareil, sur le sujet. J’y ai réfléchi, dans la soirée, au repos. À vrai dire, mes réserves profondes sur ce projet sont maintenues. J’ai du mal à voir, dans ces initiatives grandiloquentes, un quelconque plan révolutionnaire. Capable de nous guérir des véritables maux qui nous accablent. L’impérialisme. L’obscurantisme. La défaillance des élites. La quasi-absence de culture savante. Et puis à qui seront destinées ces tours bizarres ? Quels rêves embrassent ce projet ? Où se trouve la mise en commun, l’égalité sociale ? Est-ce pour reproduire Las Vegas ou Manhattan, en Afrique ? Quelle part l’âme africaine occupe-t-elle dans ce chantier futuriste ? J’ai l’impression qu’Akon City n’est pas un espace d’alternatives réelles. Un lieu désirable, résolument africain. Que l’artiste, malgré toutes ses sorties, et ses incantations, concernant l'Afrique, ne saisit pas les gigantesques problèmes du continent. J’ai fait un tour sur le site internet d’Akon City. On peut y observer, très ouvertement, une impulsion néolibérale, ainsi qu’une promesse élitiste.

Toutes les idées utopiques ne se valent pas. Il y a celles qui cherchent à redonner le pouvoir aux hommes et aux femmes, par le geste démocratique, égalitaire et libertaire. Ces utopies-là veulent réinscrire l’Homme dans une société savante et humaniste. Il y en a d’autres qui promeuvent les valeurs du système dominant. Akon City sera un business, d’abord. Ce n’est pas un projet de révolution. Qui veut engager les femmes et les hommes, vers la vraie transformation mentale et sociale. Ce n’est pas, non plus, une alternative enracinée dans les communs. Qui, symboliquement, propose un véritable projet africain en rupture avec le système dominant. Aussi, cette initiative, à mon sens, pose la question de l’intentionnalité de la diaspora africaine. Que cherche-t-elle à faire ou à se prouver ? Pourquoi se pense-t-elle, souvent, prophète en Afrique ? Il y a, parfois, un esprit messianique chez des hommes et des femmes de la diaspora. Qui veulent se poser en sauveur du continent. Qui pensent qu'ils ont la mission de briser les chaînes. C’est dérangeant. Comme si les Africains, qui vivent et luttent chez eux, ne peuvent pas par leurs sueurs, leurs efforts et leurs sacrifices bâtir un continent vivable.

La parole de l'avenir

Des utopies, il en faut. C’est même urgent. Nous avons besoin d’être déroutés. Nous avons besoin de nouvelles combinaisons, de la pensée et de l’action. Et quoi d’autres encore ? Il faut des alternatives, et surtout beaucoup d’espoir. L’ancien monde pèse encore de tout son poids sur notre destin. Nos énormes potentialités sont carbonisées, par le statu quo. On pourrait même se risquer à dire que nos sociétés se figent, dans une sorte d’abandon tragique. Il faut des hommes et des femmes d’action. Pour fouler aux pieds les structures mentales et sociales, qui méprisent l’audace et la liberté. Les 2,5 milliards de personnes, qui vivront bientôt en Afrique, auront besoin, pour s’épanouir, d’un champ social et culturel favorable à l’innovation, à l’insouciance. À la créativité. Il n’y a aucun miracle : les sociétés instruites et créatives dominent le monde. Les peuples qui savent le mieux développer des idées du futur ont un avantage comparatif sur les autres. C’est ainsi, depuis toujours. Comment mettre l’intensité innovatrice dans les imaginaires ? En permettant le rêve, en libérant l’intelligence. En garantissant l’espoir.

Aujourd'hui, notre vérité est douloureuse. Nos esprits sont encastrés dans la misère. Les problèmes sociaux. Le retard économique et politique. Les pesanteurs sociales et les conservatismes. Cela joue beaucoup sur nos imaginaires. Et handicape notre compréhension réflexive. Nous avons besoin d’échappatoires. Ce qui suppose une exploration de nouvelles voies. Le bouillonnement technologique, à tous les niveaux. Des dynamiques créatives et utopiques. La grande leçon de l’Histoire est que le statu quo n’existe pas. Il n’y a pas d’avenir inévitable, que celui dont on a rêvé et que l’on a construit volontairement. Aussi, les trajectoires de l’histoire sont toujours provoquées par la fougue d’individus, parfois extravagants. Que donc, mille projets fleurissent ! Nous ferons le tri, plus tard. En fin de compte, nous pouvons, pour lui laisser le bénéfice du doute et de l'audace, situer la ville d’Akon dans la parole de l’avenir. En attendant d’y voir plus clair.

Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.

psene@seneplus.com

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Mamadou Ibra Kane sur “Akon City” : “Gondwana ou Wakanda ?”

Par Ankou Sodjago - 04/09/2020

Entre le Gondwana et le Wakanda, il y a un choix à faire. Sans doute à assumer. Choisir entre les deux même si le Gondwana et le Wakanda ont un dénominateur commun : la fiction. Mais l’imaginaire a ça de particulier qu’il se rapproche souvent de la réalité. Tout est de savoir s’il s’agit juste de réaliser nos rêves ou plutôt de rêver nos réalités. Encore que les deux ne s’opposent pas. Pas forcément. La vie, en effet, est faite des deux. Le Gondwana est qualifié ironiquement de “République très, très démocratique” par l’humoriste nigérien Mamane, très connu des auditeurs d’une radio étrangère. Le Gondwana et les excès de son Président, plus dictateur que démocrate et qui impose ses lubies et hobbies à son peuple.

Le Wakanda, royaume fictif dans l’univers Marvel situé en Afrique, est rendu célèbre par le film à succès “Black Panther”. Hommage posthume à son acteur principal, Chadwick Boseman qui vient d’être terrassé par un cancer à seulement 43 ans. “Black Panther” et la belle musique de Baaba Maal. En passant.

Si nous évoquons le Wakanda, c’est parce que nous pensons à la future ville qui s’en inspire et qu’un autre célèbre musicien ambitionne d’implanter ou d’implémenter au Sénégal. Son nom : Akon City. Akon de son pseudonyme américain et d’artiste. Alioune Badara Thiam de son nom de baptême au Sénégal. “Akon City” ou “Wakanda City”, le chanteur sénégalo-américain de RnB assume la ressemblance. Le réalisme nous oblige à dire bienvenue à “La Porte de l’Afrique”, autre appellation de la ville futuriste qui sera érigée sur le site du village de Mbodiène en bordure de l’Atlantique.

Akon 47 ans, Boseman 43 ans, Black Panther (la Panthère Noire) ; Akon City, Wakanda City : toute ressemblance n’est que… pure réalité. Le Wakanda, ses immenses richesses naturelles et ses six millions d’habitants. Akon City et ses 6 milliards de dollars (3 324 milliards de francs CFA selon le cours actuel) représentant le financement du projet, sa crypto-monnaie Akoin, ses studios de cinéma, ses hôtels, ses hôpitaux, ses centres d’affaires et de loisir, son université… Akon City et ses futurs 300 mille habitants.

Qui cracherait sur une telle ville ? Osons le croire : personne. Ceux qui adorent Palm Jumeirah, l’île de rêve de Dubaï avec ses hôtels luxueux, ses restaurants haut de gamme, ses tours d’habitations qui donnent le tournis, ne bouderont pas le plaisir de visiter ou même de vivre à Akon City. Heureux qui comme les futurs Akonais !

Partons du postulat que la future ville intelligente – Smart City ne sera pas un mirage. Prions même pour qu’elle soit une réalité et mieux, plus belle que la maquette qui nous a été présentée. Toutefois des questions subsistent. Qui pourra habiter à Akon City ? Une ville pour riches ? Tant mieux si elle devrait attirer Les Bill Gates, Zuckerberg, Bieber, Rihanna, Kim Kardashian, Beckham, Ronaldo, Messi et tous les milliardaires de la planète, pressés de venir dépenser chez nous leurs colossales fortunes. Mais, la ville touristique qu’Akon City est appelée à être, sera-t-elle accessible à nous autres Sénégalais, notamment aux habitants de Mbodiene ? Le village d’agriculteurs du littoral ne sera-t-il pas chassé de ses terres pour laisser la place à des spéculateurs fonciers et de tous ordres ?

En apparence, le rappeur Akon a eu l’intelligence de discuter avec les villageois de la question foncière qui fâche. Le calme apparent des Mbodiénois, réputés comme tous les autres campagnards, très attachés à leurs terres héritées des ancêtres, est la preuve manifeste que le prince du Wakanda a dû bien négocier ses 500 à 800 hectares. Si cela se confirme, c’est un exemple d’une certaine “diplomatie industrielle” à promouvoir. Un bon arbitrage entre le “titre foncier agro-industriel” et le “titre foncier communautaire”.

Pourquoi Akon a pu obtenir l’assiette foncière que requiert son rêve là où d’autres, avec moins de surface, n’y sont pas parvenus ? Se nommant Alioune Badara Thiam, sa sénégalité quoique mâtinée dans son américanité, ne saurait souffrir d’aucun doute, encore moins contestée. Donc, la raison de son succès est à chercher ailleurs.

Akon City, une chimère ? Espérons que ce royaume du Wakanda aura plus de chance de se réaliser que “Akon Lightning Africa”, le premier grand projet du chanteur en compagnie de l’activiste politique sénégalais Thione Niang et de l’entrepreneur malien Samba Bathily. Une fouille dans les archives pour les mémoires oublieuses. Alors que son projet d’électrification de l’Afrique existe depuis 2015 – plus de 600 millions d’Africains étant sans électricité – Akon n’avait été reçu par le président Macky Sall qu’au bout de 4 années d’attente, le mercredi 3 avril 2019. Cette fois-ci il n’a pas attendu longtemps pour présenter, le mardi 1er septembre 2020, la maquette de sa ville futuriste au chef de l’État sénégalais.

Une année d’intervalle entre deux audiences au Palais pour vendre deux projets grandioses. Rêvons avec Akon ! Les pieds sur terre d’où sortira cette cité… Akonique. Sûrement pharaonique. Qui vivra verra.

LA COMPLICITE DES ELITES

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LA COMPLICITÉ DES ÉLITES

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Ceux qui appauvrissent le continent – FMI, Banque mondiale, OMC, etc. – peuvent dormir tranquillement : ils peuvent toujours compter sur le soutien de certains fils du continent qui diront que si l’Afrique est en retard, c’est de sa seule faute

Bosse Ndoye  |   Publication 10/08/2020

"Les blancs s'en vont mais leurs complices sont parmi nous, armés par eux ; la dernière bataille du colonisé contre le colon, ce sera souvent celle des colonisés entre eux.[1]" Frantz Fanon,

Depuis les déclarations des indépendances officielles de nombre de pays africains dans les années 60 jusqu’à nos jours, beaucoup d’événements survenus sur continent n’ont cessé de renforcer la véracité des propos de Fanon et de prouver leur actualité.

Dans l’actuelle République démocratique du Congo, ex-Zaïre, Patrice Lumumba l’a malheureusement très vite appris à ses dépens. En effet, pour maintenir l’exploitation de son pays que d’aucuns qualifient de scandale géologique – tant le sous-sol est riche -, l’ancienne puissance coloniale, la Belgique, poussée entre autres par l’Union minière, fit rapidement allumer des feux fratricides – auxquels elle participa amplement – par le biais de ses laquais Moïse Tshombe et Albert Kalonji. Ces derniers organisèrent respectivement la sécession de Katanga et du Kasaï, les deux régions les plus riches du pays juste quelques semaines après la déclaration d’indépendance. Cet événement allait être l’un des premiers, sinon le premier d’une longue série de confrontations malencontreuses – allant de coups d'État aux rebellions en passant par des liquidations sommaires - mettant aux prises des fils d’un même pays, d’un même continent ; les uns luttant pour le développement et la libération complète de leur peuple ; les autres agissant de connivence avec une ou plusieurs puissances impérialistes étrangères, qui tirent généralement les ficelles en échange de quelques avantages ou soutiens.

Si cette situation n’avait été et n’est encore que l’œuvre d’inconnus désespérés à la recherche de notoriété ou de richesses, elle eût été moins surprenante et choquante. Mais elle a été aussi et demeure l’affaire de certains parmi les fils du continent occupant ou ayant occupé les premiers rôles dans leurs pays et jouissant d’une certaine réputation sur le continent. Les cas de Senghor et d’Houphouët Boigny sur le plan politique parmi tant d’autres en Afrique noire francophone peuvent bien étayer ces propos.

Vu, non sans raison, par Ousmane Sembene – à travers le personnage de Léon Mignane - comme étant, après Faidherbe, le meilleur produit de l'ancienne métropole, et le meilleur préconsul que Paris ait envoyé en Afrique francophone[2]; par une universitaire française[3] comme  étant le colonisé introuvable ; par Mongo Béti[4], comme la plus noble conquête de l’homme blanc, l’oncle Tom-Senghor[5] ; par Boubacar Boris Diop, comme un homme ondoyant, un être entre deux eaux[6], le premier président sénégalais a souvent servi de relai à l’ancienne métropole dans l’exercice de ses basses besognes sur le continent. Il a participé activement à la mise en quarantaine de Cheikh Anta Diop loin de l’Université de Dakar et du champ politique pendant plusieurs années de peur qu’il n’inoculât le virus de l’éveil dans les jeunes consciences endormies dans le pays afin d’éviter d'y faire vaciller les intérêts de la France. D’après Roland Colin, rapportant les propos de Mamadou Dia, lors de la rencontre de Gonneville-sur-mer entre ce dernier et Senghor, à propos de la position à tenir lors du référendum de 1958, le président-poète avait demandé de laisser le pays rester encore quinze à vingt ans[7] sous domination française avant de penser à l’indépendance. Ce n’est dès lors pas étonnant qu’il ait tenu ces propos : "Le carré français, croyez-moi, nous ne voulons pas le quitter. Nous y avons grandi et il y fait bon vivre. Nous voulons simplement...y bâtir nos propres cases, qui élargissent et fortifieront en même temps le carré familial, ou plutôt l'hexagone France[8]."  C’est sous sa présidence que l’Opération Persil et l’Opération Mar Verde – en partie - furent préparées au Sénégal pour faire couler la Guinée de Sékou Touré dont le seul tort était d’avoir osé dire non à la France pour se soustraire à sa domination. C’est la preuve que ceux qui sont contents de leur asservissement trouveront toujours dérangeants ceux qui réclament haut et fort leur liberté. Beaucoup d’autres choses peuvent être dites sur Senghor agissant pour la France au détriment de son peuple et de ses frères africains.

Le premier président ivoirien - que Frantz Fanon désignait comme un ennemi de l’indépendance de l’Afrique ; un homme de paille du colonialisme pour avoir affirmé que l’Algérie doit demeurer dans le cadre français, pour être allé défendre les thèses françaises aux Nations Unies[9] - a été avec Senghor l’autre béquille sur laquelle la France s’est longuement appuyée pour mener sa marche tranquille visant à asseoir sa domination en Afrique francophone. En agissant de connivence avec l’ancienne métropole, il a joué un grand rôle dans la dissuasion du Dahomey (actuel Bénin) et de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) de participer à la Fédération du Mali, qui devait les unir avec le Soudan français (actuel Mali) et le Sénégal. C’est sous son instigation que le Conseil de l’entente regroupant à l’époque de sa création le Bénin, le Niger, le Burkina Faso fut mis sur pied pour contrecarrer la Fédération du Mali. L’ancien président ivoirien avait tout fait pour éviter à son pays de s’unir avec ceux qu’il appelait les "affamés du Sahel", selon les propos de Roland Colin. Il a soutenu Kasa-Vubu, adoubé par Paris, contre Lumumba à l’ONU, a participé à la déstabilisation de la Guinée nouvellement indépendante et au renversement de Kwamé Nkrumah en 1966 : "Houphouët Boigny a permis aux conspirateurs d’utiliser la Côte d’Ivoire pour coordonner l’arrivée et le départ de leur mission[10]". Toujours pour son soutien indéfectible à la France - dont le rôle est bien connu dans la guerre du Biafra - il a été parmi les premiers à reconnaître le gouvernement sécessionniste de Biafra. C’est même en Côte d’Ivoire que le Colonel Ojukwu trouva refuge après sa tentative avortée de sécession. Jacques Foccart souligne que : "Le général de Gaulle lui donna carte blanche pour aider la Côte d’Ivoire à aider le Biafra." [11] Comme dans le cas de Senghor, beaucoup de choses peuvent être dites sur Houphouët agissant en faveur de la France au détriment de son peuple et de nombre de ses frères africains.

Alassane Ouattara, dont il était très proche, ne fait que marcher sur ses pas. Comme son homologue sénégalais Macky Sall - en bons successeurs du couple Houphouët-Senghor - il n’a pas hésité à louer les bienfaits du franc CFA, à expulser de son pays ceux qui ont osé le critiquer comme Kemi Séba et Nathalie Yamb - dans son cas. Tous les deux préservent jalousement les intérêts français dans leurs pays au grand dam des populations locales. La décision hâtive et suspecte de remplacer le franc CFA par l’Eco ne constitue pas seulement un coup de Trafalgar de la part de Ouattara, mais elle est aussi un court-circuitage de la CEDEAO dans son projet de monnaie sous régionale décidé depuis plusieurs décennies et un mépris de l’opinion de nombreux Africains qui veulent couper le cordon ombilical monétaire avec la France.

La guerre fratricide que se livrent les anciens colonisés pour le compte des anciens colonisateurs sur le continent n’est pas seulement physique et armée, elle aussi intellectuelle. La particularité pour celle-ci est que l’ancien maître n'a pas toujours besoin de tirer quelque ficelle que ce soit. Car d’autres peuvent agir à sa place. Ayant largement réussi sa colonisation - qui en plus d’avoir été une entreprise de domination, d’exploitation économique a été aussi une entreprise d'aliénation, de décérébration pour employer les mots de Fanon -, elle peut compter sur une certaine élite formée dans ses écoles, dans ses universités qui est prête à la défendre bec et ongle intellectuellement. Ce sont les personnes composant cette élite que Sartre, dans sa préface des Damnés de la terre, qualifie d’êtres truqués, des mensonges vivants, tant le décalage est grand qui les sépare de leurs peuples. Si bien qu’ils ne peuvent même plus communiquer. En outre, comme le rappelle Odile Tobner : "Les intellectuels noirs sont étroitement surveillés. Toute une génération de diplômés est embrigadée. La docilité est le prix à payer pour accéder aux rôles de figuration, assortis de prébendes, qui vont faire des dirigeants africains les vampires de leurs peuples. Il s'agit aussi de déconsidérer autant que faire se peut les rares voix capables de galvaniser les esprits colonisés.[12]" 

Il n’y a souvent que sur le continent africain que l’on trouve certaines divergences sur la défense d’intérêts nationaux face à d’autres pays étrangers. Là où l’unité nationale, l’union sacrée est facilement obtenue dans d’autres pays, même parfois pour des causes dépourvues de noblesse ou tout simplement iniques. Dès lors, les anciens pays esclavagistes n’ont pas besoin de s’excuser ou de réparer leurs méfaits, il y aura toujours des fils du continent, des intellectuels – parfois stipendiés ou affublés de titres pompeux ou lauréats de certains prix…en Occident - pour dire que si les Blancs ont osé réduire certains fils du continent en esclavage, c’est parce qu’ils étaient aidés par d’autres Africains. Peut-être ignorent-ils que chaque domination crée des collaborateurs dans la population soumise. L’exemple de la France sous l’Occupation est patent. Ceux qui appauvrissent le continent noir – le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, les néocolonialistes, etc. – peuvent dormir tranquillement : ils peuvent toujours compter sur le soutien de certains fils du continent qui diront que si l’Afrique est en retard, c’est de sa seule faute. Certes, face à la gabegie, aux dirigeants qui s’accrochent manu militari au pouvoir en toute illégalité constitutionnelle, au népotisme, au pillage, aux détournements de deniers publics, à l’absence de patriotisme de nombre de dirigeants, l’attitude, les discours et la frustration de ces personnes, qui disent qu’il est trop facile de vouloir toujours se décharger sur l’Occident, sont très compréhensibles. Mais ce serait une erreur que d’ignorer l’impact négatif de la dette odieuse, la détérioration des termes de l’échange, les chantages des institutions financières internationales, les rapports de force défavorables à la plupart des pays africains et surtout leur absence d’indépendance véritable...Notamment les anciennes colonies françaises de l’Afrique subsaharienne. De plus, l’Occident n’hésite pas à réviser l’histoire, à trouver des descendants d’esclaves et de colonisés pour défendre ses positions ; bref à tout tenter pour faire porter aux Africains "le chapeau du sous-développement" qui sévit sur une bonne partie du continent tout en occultant sa part de responsabilité dans les conséquences néfastes de la traite négrière, de la colonisation et actuellement du néocolonialisme qui y plombent le décollage économique de beaucoup de pays. On ne sort pas culturellement, économiquement, psychologiquement indemne de 5 siècles de domination. Cette situation fait souvent penser au complexe de Néron dont parlait Albert Memmi[13]. Pour légitimer leurs pillages des pays « asservis » et défendre leur rôle d'usurpateurs, les colonisateurs, par le passé, et les néocolonisateurs, de nos jours, ont échafaudé toutes sortes d'arguments et de théories pour « rendre licites » leurs agissements afin de se donner bonne conscience. Autrefois, les premiers nommés se cachaient derrière le manteau de la supériorité raciale et de la mission civilisatrice qui en était un corollaire pour conquérir des pays. Mais vu que tout le monde sait maintenant que leurs arguments sont scientifiquement faux et fallacieux, politiquement incorrectes et anachroniques, leurs successeurs ont changé de stratégies. Ils dénigrent les pays « soumis » ou à « soumettre » en dénonçant certaines de leurs pratiques qualifiées de "barbares", leur inaptitude à exploiter et à utiliser convenablement leurs propres richesses et leur propension à la dictature et à la corruption. Et en même temps, ils louent le développement technologique et économique et la « démocratie » dans leur pays et n’hésitent pas à falsifier ou à réécrire l'histoire pour servir de vils desseins. Du racisme biologique, ils sont passés au racisme culturel et culturaliste. Les périodes changent, mais les pratiques demeurent sous d'autres formes. Rien de nouveau sous le soleil. Donc, nombre de problèmes sur le continent doivent être considérés au minimum sous un angle double quand on veut les analyser. Sinon le résultat risquerait d’être hémiplégique.

Pour ce qui concerne le déboulonnage de la statue de Faidherbe, la situation n’avait même pas besoin de tous ces débats houleux, de toute cette dissertation tant ce qui est à faire est évident puisque c’est juste une question de dignité. Imaginez une statue de Bugeaud à Alger, celle d’Hitler à Tel-Aviv. C’est impensable !

Le problème des dirigeants qui collaborent avec des puissances étrangères au détriment de leurs peuples renvoie encore et toujours à la question de la souveraineté véritable, et partant à la question de puissance. Tant que l’on n’aura pas la liberté d’élire les dirigeants que l’on veut et de se séparer d’eux démocratiquement lorsque ne font plus l’affaire, la capacité de nous défendre, de nous nourrir, de nous soigner tout seuls, on aura toujours au sommet de nos États des présidents fantoches, soutenus de l’extérieur et plus préoccupés à avoir le satisfécit des grandes puissances, des institutions financières internationales que par le bien-être et la tranquillité de leurs peuples. De petits pays faibles et divisés ne pourront pas changer cet état de fait. Seul un ensemble fort en sera capable. D’où la nécessité de s’unir, comme l’avaient souhaité de tous leurs vœux Cheikh Anta Diop et Kwamé NKrumah.

[1]Cité par Odile Tobner, Du racisme français, quatre siècles de négrophobie, p.225

[2] Ousmane Sembene, Le dernier de l’empire, p.344

[3] Boubacar Boris Diop, L’Afrique au-delà du miroir, p.104-105

[4]Mongo Béti, Les Deux mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, p. 158

[5] Mongo Béti, Le Rebelle 1, p.350

[6] Boubacar Boris Diop, L’Afrique au-delà du miroir, p.90

[7]Roland Colin, Sénégal notre pirogue, au soleil de la liberté, p.104

[8] Léopold Sédar Senghor, intervention à l’Assemblée nationale, séance du 29 janvier 1957 , http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/leopold-sedar-senghor-29-janvier-1957

[9]Pour les révolutions Africaines, p.135

[10]Bridgette Kasuka, citée par Said Bouamama, Manuel stratégique de l’Afrique, p.71, Tome 2

[11]Ibid, p.71

[12] Odile Tobner, Du racisme français, quatre siècles de négrophobie, p. 228-229

[13] Albert Memmi, Portrait du colonisateur, portrait du colonisé, p.72

CES ENFANTS METIS DE LA COLONISATION - FRANCE & BELGIQUE

LA BELGIQUE PRESENTE SES EXCUSES A SES ENFANTS METIS

Bruxelles a officiellement présenté le 4 avril 2019 ses excuses pour les "injustices" subies par les milliers d'enfants métis nés de pères belges au Congo, Rwanda et Burundi pendant la période coloniale. Enfants qui furent par la suite arrachés à leurs mères africaines et victimes de ségrégation. Ils furent souvent confiés à des institutions religieuses.

Des soldats congolais montent la garde devant le buste du roi Léopold II à l'entrée du Camp Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa), le 3 septembre 1942. (WESTON HAYNES/AP/SIPA / AP)

Des soldats congolais montent la garde devant le buste du roi Léopold II à l'entrée du Camp Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa), le 3 septembre 1942. (WESTON HAYNES/AP/SIPA / AP)

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Laurent Ribadeau Dumas Rédaction Afrique France Télévisions
publié le 07/04/2019 | 10:25

"Au nom du gouvernement fédéral belge, je présente nos excuses aux métis issus de la colonisation belge et à leurs familles pour les injustices et les souffrances qu'ils ont subies", a déclaré le Premier ministre, Charles Michel, devant la Chambre des représentants. Il a dit souhaiter que "ce moment solennel soit une étape supplémentaire vers une prise de conscience de cette partie de notre histoire nationale".

En 1885, la conférence de Berlin avait reconnu au roi des Belges Léopold II "la possession à titre privé d'un vaste territoire au cœur de l'Afrique noire, qui sera baptisé 'Etat indépendant du Congo'", rappelle le site herodote.net. Une "propriété privée" (aujourd’hui République démocratique du Congo) que le souverain va "saigner à blanc"… A l’issue de la Première guerre mondiale, le Ruanda-Urundi, alors territoire allemand regroupant Rwanda et Burundi, était tombé dans l’escarcelle de la Belgique. Les trois pays sont devenus indépendants au début des années 1960.

Un "tabou"

Le sort des enfants nés de pères belges et de mères congolaises, rwandaises et burundaises pendant la colonisation "a longtemps été tabou en Belgique". Pour le cofondateur de l’association Métis de Belgique, François d’Adesky, entre 14 000 et 20 000 bébés métis sont issus de liaisons entre colons et femmes africaines.
"L'homme blanc qui vivait avec son enfant et sa partenaire africaine devait se comporter discrètement en public, violant apparemment une loi coloniale, une sorte d'apartheid non écrit, mais irrésistible. S'il ne le faisait pas, son contrat (lui permettant de séjourner dans la colonie pouvait) pouvait être rompu", explique le site de l’association. "La femme africaine ne pouvait épouser son mari européen qu'en vertu de son droit coutumier et non selon la loi belge." Ces unions n’avaient donc pas de valeur pour la Belgique.

De même, la plupart des enfants nés dans ces couples n’ont pas été reconnus par leurs pères. Ceux que l’on appelait "mulâtres" (mot venant étymologiquement de "mulet, bête hybride", dixit le Petit Robert) ne devaient se mêler ni aux Blancs, ni aux Africains, phénomène que Charles Michel a qualifié de "ségrégation ciblée". Ces enfants étaient parfois considérés "comme l’incarnation de la décadence morale qui se propage aux colons", rapporte le site axelmag.be. Ils furent donc vus "comme un problème, voire un danger, puis un tabou", observe TV5monde.

"Dès la mort de mon père, en (19)56 (j’avais six mois à l’époque), les autres Belges chassèrent ma mère avec les enfants de la maison que nous occupions, ils prirent les meubles (et les) objets de valeur pour les renvoyer en Belgique. Deux ans après (...), tous ses biens aux colonies (avaient) disparu. Mon père avait souscrit une assurance pour nous permettre d’étudier, mais jamais cet argent ne fut confié à ma mère. Une Africaine, vous pensez, comment allait-elle gérer ce petit pécule, on n’en a jamais vu la couleur…", a raconté l'un de ces enfants au journal Le Soir.

Seuls 10% de ces petits métis ont été reconnus par leur père, raconte François d’Adesky. Résultat : les autres ont été abandonnés "chez les missionnaires (les mères ne pouvant pas s’y opposer)", selon axelmag.be. Nombre d’entre eux ont été "envoyés dans des institutions religieuses comme le pensionnat des Sœurs à Save au Rwanda", précise TV5monde. Certains se sont retrouvés à la rue. 

En 2017, l’Eglise catholique a présenté ses excuses et ouvert ses archives sur cette période.

"Politique d’enlèvements"

Au moment des indépendances, "les religieuses de Save et un prêtre belge, le père Delooz, ont le sentiment que la situation, au Rwanda et au Congo, va évoluer très vite, que le Mwami (le roi) et les Tutsis en général n’aiment pas les enfants mulâtres, qui pourraient se retrouver en danger", rapporte Le Soir. Entre 1959 et 1962, un millier d'entre eux ont été rapatriés en Belgique par les autorités du royaume dans des conditions controversées. Ils ont été séparés de leurs mères et du reste de leur famille. Avant d’être placés dans des pensionnats ou adoptés par des familles belges.

"La répartition des enfants métis sur l'ensemble du territoire de la Belgique s'est effectuée en séparant les fratries et a entraîné des pertes d'identité dues aux différents changements de prénoms, de noms, de dates de naissance", a expliqué Charles Michel. Déplorant "une politique d'enlèvements forcés", il a évoqué aussi leur "extrême difficulté" à reconstruire ensuite leur vie dans le pays. Et à recevoir la citoyenneté belge, faute de reconnaissance par le père.

Pour le cofondateur de Métis de Belgique, né en 1946 d'un père belge, employé d'une société minière, et d'une mère rwandaise, ces excuses de l'Etat belge sont "un événement historique". Lui-même dit avoir eu la chance d'être reconnu par son père et de compter parmi les premiers revenus en Belgique, dans les années 1950. "Mais ma mère a dû rester au pied de l'avion. Je ne l'ai revue que 23 ans après", a raconté François d'Adesky à l'AFP.

François d’Adesky est né d’un père colon et d’une mère rwandaise. Avec ses frères et sœurs, ils sont placés à l’Institut de Save, un internat pour enfants métis au Rwanda. A l’âge de sept ans, dans les années 50, il est parmi les premiers métis à arriver en Belgique. La fratrie vit d’abord avec le père – qui les avait reconnus, cas plutôt rare – puis est prise en charge par une association de protection des « enfants mulâtres ». Hautement diplômé, ancien directeur au sein des Nations unies, cet homme de 73 ans a co-fondé l’Association des Métis de Belgique (AMB) et se bat depuis des années pour que la Belgique s’excuse auprès de ces enfants de la colonisation, arrachés à leur mère et placés de force à l’adoption. Pour lui, il s’agit donc d’un jour historique.

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"J’ai été immatriculé comme indigène et n’ai pu recevoir l’éducation des petits Belges" :

L'odyssée du métis François d'Adesky  https://www.facebook.com/watch/?v=274534370312076

Jean-Claude Matgen

Publié le 05-04-19 à 09h36 

Né d’une mère rwandaise et d’un père belge, ce septuagénaire a vécu, comme ses frères et sa sœur, des drames et des injustices qu’il a surmontés.

L’une des chevilles ouvrières du "combat" mené pour la reconnaissance des discriminations faites aux métis nés d’une mère africaine et d’un père belge du temps de la colonisation est François d’Adesky, figure bien connue à Woluwe-Saint-Pierre. Ce "cadre" de l’Association des métis de Belgique a accueilli avec soulagement les excuses prononcées, jeudi, à la Chambre, par le Premier ministre Charles Michel, au nom de l’État belge.

Mariage coutumier

M. d’Adesky, né en 1946, à M’Bazi, au Rwanda, a vécu, avec ses frères et sa sœur, une véritable odyssée.

"Mon histoire est un peu particulière, dit-il d’emblée. Contrairement à l’écrasante majorité des autres enfants métis, moi et mes frères et sœur avons été reconnus par notre père. Celui-ci, qui travaillait pour le compte de la Générale de Banque, a manifesté l’intention d’épouser ma mère, ce qui lui a valu d’être licencié. Il a investi dans une plantation de café et s’est lancé dans le commerce de bovins. Ma mère était la cousine de l’avant-dernier roi du Rwanda. Mon père et elle ont fait un mariage coutumier qui n’a pas été légalisé par les autorités coloniales."

Cela a eu une incidence sur le jeune François. "J’ai été immatriculé comme indigène et n’ai pu recevoir l’éducation des petits Belges. C’est ainsi que j’ai rejoint un des orphelinats où l’on parquait les jeunes métis. Je pouvais, toutefois, contrairement à eux, rentrer chez mes parents le week-end et pour les vacances."

Coma et épilepsie

François et les siens auraient pu s’accommoder de cette existence mais un drame va tout compliquer. "Début 1953, mon père a eu un très grave accident de voiture. Il est resté plusieurs jours dans le fond d’un fossé et quand on a découvert son véhicule, son chauffeur était mort et lui était tombé dans le coma. Il en a gardé des séquelles à vie, devenant épileptique."

La grand-mère belge de François d’Adesky va entreprendre des démarches pour que la famille soit rapatriée et obtenir que tout le monde puisse gagner la Belgique car, en 1953, aucune personne de couleur ne pouvait y débarquer.

"Les choses ne se sont pourtant pas passées comme prévu, commente M. d’Adesky. "Lorsque nous avons embarqué dans l’avion qui devait nous emmener de Bujumbura à Bruxelles, le commandant de bord a refusé d’emmener ma mère, ma sœur, mes frères et moi. Finalement, il a accepté de décoller mais sans maman. Mon frère de 2 ans hurlait. Moi, je pleurais aussi toutes les larmes de mon corps mais mon père a promis de faire le nécessaire pour régulariser la situation depuis Bruxelles."

Trois Ave Maria et un Pater

Avant de quitter l’avion, ma mère m’a dit : "François, dis chaque soir trois Ave Maria et un Pater, et je suis sûre que nous nous retrouverons." À ce moment du récit, la voix de notre interlocuteur se brise et il lui faut quelques secondes pour reprendre ses esprits.

La suite ? Elle fut terrible. La famille vit grâce à l’aide de la grand-mère car le père voit son état de santé se dégrader. "Mais en 1955, ma grand-mère est morte et nous nous sommes retrouvés à la rue. Mon père avait deux frères. L’un vivait aux États-Unis, très loin de nous. L’autre, hélas, a tout fait pour capter l’héritage de ma grand-mère jusqu’à réussir à faire interner mon père dans un asile sordide après qu’il eut fait plusieurs crises d’épilepsie. Je suis allé voir mon père. J’avais neuf ans. Je n’ai pas pu retourner dans cet asile horrible. Je suis sûr que mon père s’y est laissé mourir de chagrin, incapable depuis cet endroit de faire revenir ma mère et incapable de prouver aux autorités qu’il n’avait rien à faire là. Il a été enterré dans une fosse commune, à Manage. Nous étions ravagés."

Adolescence à Woluwe-Saint-Pierre

Les enfants d’Adesky ont été pris en charge, après la mort de leur grand-mère, par l’Association de protection des mulâtres, subsidiée par l’État belge et aidée par des "dames patronnesses". "C’est la famille de Me Paul Coppens qui nous a pris sous son aile", explique François d’Adesky. Lequel se retrouvera placé, en compagnie de ses frères, au home Le Pilote, à Woluwe-Saint-Pierre. C’est là qu’il grandira avant de mener de très belles études supérieures (avec une maîtrise en sciences économiques à la clé) puis une carrière "internationale", notamment pour le compte de l’Onu.

"Pour tout vous dire, j’avais été à ce point déçu de la façon dont la Belgique nous avait traités, de la façon dont l’Église catholique avait participé au système de ségrégation mis en place par les autorités coloniales, de la manière brutale dont l’État belge avait, en 1971, coupé tout subside à l’Association de protection des mulâtres, du racisme dont j’avais été l’objet, notamment sur le plan professionnel, que je n’avais pas envie de retourner vivre en Belgique. Mais il se fait que j’ai été muté à Bruxelles et que ma femme, d’origine franco-britannique, s’y est tellement plu que nous avons fini par acheter une maison à Woluwe-Saint-Pierre, à quelques mètres… du home où j’ai grandi sous tutelle."

La boucle était donc bouclée. Mais entre-temps, il s’est passé un événement tout à fait extraordinaire. "En 1976, un de mes frères travaillait à Bangui. Il a raconté notre odyssée à l’épouse d’un coopérant. Celle-ci s’est souvenu du récit d’une amie qui semblait correspondre à ce qu’elle venait d’entendre. Cette amie lui avait parlé d’une Rwandaise qui, depuis plus de vingt ans, avait perdu tout contact avec son mari et ses enfants retournés en Belgique et qui cherchait désespérément à en retrouver la trace. Nous avons effectué tous les recoupements possibles et avons fini par acquérir la certitude qu’il s’agissait bien de ma mère."

"J’ai senti un regard posé sur moi"

M. d’Adesky reçoit une lettre de sa maman une semaine après la naissance de son premier fils. Il apprend qu’après avoir vécu au Burundi puis au Kivu, elle a rencontré un Rwandais hutu, elle qui était tutsi, s’est mariée et a eu des enfants.

"Je suis allé la voir mais mon avion a dû atterrir à Bujumbura au lieu de Kigali. C’était un vendredi. J’ai pu atterrir à Kigali le dimanche. Mon intention était de me rendre au siège de l’entreprise où travaillait son mari le lundi. Je marchais dans le hall de l’aéroport quand j’ai senti, réellement senti, dans mon dos, un regard posé sur moi. Je me suis retourné. Une femme me fixait des yeux. J’ai marché vers elle et elle vers moi. Nous nous sommes reconnus et sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Ma mère avait passé 48 heures dans l’aéroport en scrutant tous les passagers qui sortaient des avions y ayant atterri."

La mère de François d’Adesky lui confiera qu’elle avait toujours su qu’ils se retrouveraient et que grâce à ces retrouvailles, elle connaîtrait une fin de vie heureuse.

Sauf qu’en 1994, le Rwanda s’embrasait. "Le fait que ma mère ait épousé un Hutu a fait que les membres de ma famille ont échappé au pire. Mais je suis resté deux mois sans nouvelles d’eux. Non, ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille", conclut François d’Adesky, qui s’investit dans la vie politique (il est membre du MR) et associative de Woluwe, se bat contre le réchauffement climatique et, évidemment, pour la reconnaissance de ses "frères et sœurs" métis.

La nationalité Belge - la naissances - le mariage coutumier

PARLEMENT FRANCOPHONE BRUXELLOIS

20 OCTOBRE 2016

François d'Adesky – Co fondateur de l’association « metis de Belgique »

Madame la Présidente du Parlement francophone Bruxellois,
Monsieur le Président de l’Association des Metis de Belgique-Metis van België,
Mesdames et Messieurs les Membres du Parlement francophone Bruxellois, ainsi que des autres Parlements invités,
Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur pour moi de faire aujourd’hui devant votre auguste Assemblée, un exposé qui examinera tout d’abord la question de la nationalité belge concernant les metis issus de la colonisation.


1. La question de la nationalité belge
Si, en Métropole, la nationalité belge conférait la qualité pleine et entière de citoyen, il n’en était pas de même dans les territoires africains administrés par la Belgique à l'époque coloniale. En effet, le Conseil colonial belge par le truchement de la « Charte coloniale », qui était la Loi fondamentale, réservait au Congo et plus tard au Ruanda-Urundi la qualité de citoyen uniquement aux Belges originaires de la Métropole. En dehors des ressortissants étrangers principalement indo-pakistanais, grecs et portugais, les populations africaines colonisées par la Belgique ou sous son mandat étaient considérées nominalement comme des nationaux belges, mais juridiquement, n’étaient pas des sujets belges à part entière puisque non citoyens. En outre, le système colonial subdivisait les sujets belges d’Afrique en « civilisés ou évolués », qui étaient immatriculés quelles que soient leur ethnie et leur origine, et en « non-civilisés » dénommés « indigènes » et non-immatriculés.
Notons qu’une carte d’immatriculé fait référence à un matricule donc à un numéro, tandis que la carte d’identité prouve l’identité et donc la dignité. Par ailleurs, pour obtenir le statut « d’évolué », il fallait vivre à l’Européenne : c’est ainsi que fut mis en place, comme dans un monde orwellien, des inspecteurs qui visitaient l’intimité des postulants africains pour vérifier par exemple s’ils utilisaient un mouchoir pour se moucher, s’ils possédaient une radio et un réfrigérateur, s’ils mangeaient avec des couverts et s’ils parlaient le français, etc.
En 1948, le statut de sujet belge « évolué » fut « amélioré » entre guillemets par l’introduction d’une carte du mérite civique qui autorisait les « évolués » à circuler après 18H00 dans les quartiers réservés aux blancs et en 1952, le statut des « meilleurs » procuraient à l’élite d’entre eux au Congo (pour le Ruanda-Urundi ce fut en 1956) un document d’identité qui les assimilait à des citoyens belges et leur permettait par exemple d’envoyer leurs enfants à l’école européenne. On prodiguait dans les écoles européennes un enseignement de qualité sans communes mesures par rapport aux écoles pour indigènes.


Ces chiffres sont cependant à relativiser, car d’une part, sur une population de 14 millions de personnes au Congo en 1959, il n’y avait que 1.557 personnes détentrices d’une carte du mérite civique, parmi lesquelles 217 personnes seulement avaient obtenu la carte d’identité spéciale. D’autre part, ces Africains « meilleurs» restaient cependant des sujets auxquels la citoyenneté à part entière était toujours refusée.
Une des preuves était qu’un sujet belge d’Afrique ne pouvait pas se rendre en Belgique à cette époque. Même les marins congolais de la Compagnie Maritime Belge du Congo-Belge (CMCB) avaient interdiction de descendre à quai quand leur navire accostait à Anvers. Ils étaient confinés à bord tout le temps qu'ils étaient à l'ancre dans la métropole portuaire belge.
Cette interdiction entraîna cependant des désertions tant à Anvers, que dans les escales dans les ports français précédant l’arrivée à Anvers. Il était difficile d’empêcher des marins congolais de descendre à quai sur un territoire étranger. Les déserteurs se retrouvaient ensuite à Anvers où plusieurs avaient des petites amies, une des causes principales des désertions. Paradoxalement, ces marins étant en « droit » sujets belges en Belgique ; ils n’étaient pas expulsables et reçurent donc une carte d’identité de citoyen belge. Leur nombre fut si grand, qu’en 1951-1952 les Pères Rédemptoristes fondèrent l’Amicale des Marins Congolais d’Anvers (AMC).
Cette amicale se chargea de trouver du travail et un logement pour ces marins et s’occupa également de placer auprès de familles belges adoptantes les enfants metis nés de ces unions et que les compagnes anversoises n’osaient garder auprès d’elles. Ce placement se faisait parfois avec l’aide de l’Association Vreugdezaaiers/ « Semeurs de Joie » ou de l’Association pour la Protection et (ensuite) la Promotion des Mulâtres (APPM) (1).


2. La question des naissances
Mais où se situaient donc les metis dans ce système ségrégationniste, cependant non sanctionné par des lois raciales. Si les metis étaient dans une position intermédiaire dans ce régime discriminatoire avec des institutions qui leur étaient réservées, c’est la naissance et le lieu de celle-ci qui déterminaient en fait leur statut.
La législation coloniale était focalisée sur les « indigènes » ; et lorsqu’elle eut sur les bras les metis illégitimes abandonnés par leurs pères belges et blancs à l’échéance de leur mission dans la colonie, elle fut contrainte de bricoler. Ainsi, lorsque le metis était déclaré par la seule mère africaine, il entrait automatiquement dans le statut de l'indigène immatriculé, selon une ordonnance du gouverneur général du 15 juillet 1915 ; c’était encore le cas lorsqu’il était abandonné ou orphelin et que les services administratifs l’avaient identifié et fait passer sous la tutelle de l’Etat ; dans le cas contraire, le metis tombait sous le coup des lois coutumières.
L’accès à la nationalité belge était donc réservé aux metis « légitimes », légitimés ou reconnus par un père ayant la citoyenneté belge pleine et entière, selon les règles du droit métropolitain belge.
Néanmoins, pour faciliter le « déplacement » vers la Belgique des enfants metis de l’orphelinat pour mulâtres (terme utilisé à l’époque) de Save au Rwanda que Sarah Heynssens vient de vous détailler, dont beaucoup ont été enlevés à leur mère, le Gouvernement belge délivra des « laissez-passer » provisoires aux enfants. Pour la plupart, qui n’avaient pas de statut juridique propre lié à l’absence d’un acte de naissance, on trouvait d'urgence des témoins pour établir un « Acte de Notoriété » qui suppléait à cette absence. Sur base de ces « laissez-passer » les Communes belges de résidence de ces enfants leur délivrèrent des cartes d’identité belge.
Toutefois, une circulaire ministérielle du 24 septembre 1960 et publiée au Moniteur belge le 6 octobre 1960 vint créer le trouble. En effet, par cette circulaire (1) le Ministre de la Justice M. André Lilar enjoint aux Bourgmestres de retirer la nationalité belge aux indigènes du Congo, vu que leur pays est désormais indépendant. En ce qui concerne les metis, c’est-à-dire d’après la circulaire ministérielle : « les enfants de mère indigène », ne pourront conserver la nationalité belge que s’ils sont légitimes ou légitimés par un Belge ou s'ils ont été reconnus par un Belge.
La majorité des enfants metis n’étant pas dans ce cas, on leur retira donc la nationalité belge. Ils reçurent des cartes d’identité jaune pour étranger avec parfois les nationalités « fantaisistes » de Ruandais et Urundais étant donné que ces deux pays n’étaient pas encore indépendants en 1960.
Ces cartes d’identité d’étranger créèrent des drames pour les metis issus de la colonisation. D’une part, elles n’autorisaient qu’une circulation dans les pays du Benelux et d’autre part, les metis qui quittèrent volontairement la Belgique pour rejoindre leur famille africaine se retrouvèrent soudainement « apatrides » sur le sol du continent-mère.
Heureusement des personnalités de bonnes volontés s’émurent de cette situation et intervinrent auprès du Gouvernement. C’est ainsi que fut votée la loi du 22 décembre 1961 relative à l'acquisition ou au recouvrement de la nationalité belge par les étrangers nés ou domiciliés sur le territoire de la République du Congo ou par les Congolais ayant eu en Belgique leur résidence habituelle. Cette loi ayant une valeur juridique supérieure à celle de la circulaire ministérielle l’abrogea. En son article 2, §4, la loi permettait aux personnes qui possédaient la qualité de Belge de statut congolais – mais qui n’avaient pas acquis la nationalité belge en vertu des lois métropolitaines sur la nationalité – d’acquérir la qualité de belge par option pour une certaine période.
Elle a été abrogée ultérieurement par le Code de la nationalité belge du 28 juin 1984 qui, en son article 28, §1er, prévoyait une disposition transitoire permettant à ceux qui n’avaient pas introduit de déclaration en faveur de la nationalité belge d’en introduire une dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur dudit Code à deux conditions (art. 28, §2, Code de la nationalité belge) :

- Avoir eu sa résidence principale en Belgique durant les deux années précédant l’entrée en vigueur de ce Code.
- L’avoir maintenue jusqu’à la date d’introduction de la déclaration en faveur de la nationalité belge.
Ces deux lois ne comportant que des dispositions transitoires applicables aux Congolais de statut belge, le droit commun trouve aujourd’hui à s’appliquer aux personnes qui n’ont pas opté en temps et en heure pour la nationalité belge.
L’information à cette époque étant presque confidentielle sur les possibilités de recouvrement de la nationalité belge, beaucoup de metis ne purent bénéficier des avantages de ces deux lois.
Par ailleurs, les metis issus de la colonisation belge et résidant en Belgique étaient en fait mis sous tutelle dans les familles adoptantes, les familles d’accueil et les institutions où ils étaient placés. Notons que pour un metis légitime, légitimé ou reconnu, en cas de décès ou d’incapacité de son père belge, c’est le Conseil de sa famille belge qui avait la tutelle, même si cette famille rejetait cet enfant. D’autre part, en 1971, le Gouvernement belge arrêta ses subventions à l’APPM au prétexte que, 10 ans après les indépendances, les metis étaient dorénavant des « citoyens comme les autres belges et n’avaient donc plus besoin de protection spéciale ». Les enfants metis dépendant de l’APPM furent à partir de cette date pris en charge par les CPAS de leur lieu de résidence.
Cela ne régla pas pour autant le statut juridique de ceux qui avaient perdu la nationalité belge. Des metis récupérèrent la nationalité belge par mariage avec des citoyens belges et d’autres par la procédure coûteuse de la « naturalisation ». Plusieurs d’entre-eux durent également résoudre lors de leur mariage le casse-tête de l’absence d’un acte de naissance.


3. La question du mariage coutumier
La question du mariage coutumier, je l’évoquerai sous forme de témoignage personnel. Lors d’une discussion en 2011 avec des chercheurs de la CEGESOMA, dans le cadre de l’étude du déplacement vers la Belgique des enfants metis, j’avais déclaré que les mariages mixtes entre européens et africains étaient de fait interdits durant la période coloniale et que mon père avait été alors obligé de contracter un « mariage coutumier » avec ma mère : cela lui avait fait perdre son emploi de cadre dans la compagnie minière qui l’employait avant de pouvoir rebondir dans d’autres activités. D’après les chercheurs, il n’existait aucune interdiction officielle dans les colonies et, pour preuve, de citer le mariage légal du Capitaine Joubert avec la fille d’un Chef traditionnel congolais.
Pour ma part, je découvris, lors de recherches en 2014, que le mandat de tutelle de la Belgique sur le Ruanda-Urundi, octroyé par la SDN et confirmé par l’ONU, ordonnait l’obligation, pour la Belgique, à reconnaître les actes administratifs des autorités traditionnelles. Cela me remémora une démarche que j’avais entreprise d’une reconnaissance de noblesse belge – pour ma famille paternelle d’origine française avec un patronyme polonisé par l’Histoire – auprès du Service de la Noblesse dépendant du Service Public Fédéral des Affaires Etrangères. Cette démarche n’avait pas abouti, car le Service Public Fédéral m’avait demandé de produire l’acte de mariage de mes parents, que l’Etat colonial avait refusé de leur procurer. Rappelons que, pour être « noble » en droit de la filiation nobiliaire, il faut être un enfant « légitime », issu du mariage légal d’un noble.
Pour résoudre ce problème kafkaïen, il était possible soit d’intenter un procès en droit nobiliaire belge pour discrimination sur base de l’article 1er de la loi du 25 février 2003 qui stipule : qu’il y a discrimination directe si une différence de traitement qui manque de justification objective et raisonnable est directement fondée sur le sexe, une prétendue race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, etc., soit de chercher à légaliser le mariage coutumier de mes parents et permettre ainsi, à travers un cas particulier, une évolution significative de la législation en la matière. En effet, une légalisation d’un mariage coutumier « légitime » automatiquement les enfants nés de ce mariage.
Grâce à l’assistance d’un avocat metis belgo-rwandais issu de la colonisation belge et d’un avocat rwandais, j’ai obtenu en date du 17 février 2015 un Jugement supplétif qui vous est projeté sur l’écran (2) et qui légalise enfin le mariage coutumier de mes parents daté de 1945. Un des éléments décisifs dans cette procédure juridique fut le témoignage du généalogiste des clans royaux du Rwanda qui connaissait ce mariage coutumier et le nom de la vache qui en constituait la dot : Impirimba. Comme d’autres mères de metis au Rwanda, la mienne était connue parce qu’issue de l’aristocratie rwandaise, étant cousine du Mwami (Roi) Mutara III Rudahigwa et de son épouse la Reine Rosalie Gicanda. Cela a dû jouer en notre faveur durant la procédure juridique. Ce Jugement mit fin psychologiquement à une injustice et à beaucoup de souffrances familiales et pourra, je l’espère, faire jurisprudence.


4. Conclusion
Il faut reconnaître que, malgré les aléas de leurs histoires, la plupart des metis issus de la colonisation belge ont pu globalement se reconstruire sur le sol belge. Si certains parmi nous ont hélas échoué, beaucoup d’autres – suivant le degré de soutiens reçus de leurs familles, des familles adoptives ou d’accueil, ou des éducateurs des institutions où ils étaient placés – ont pu faire des études et réussir dans la vie. Malgré une interrogation lancinante sur leurs origines africaines, ils ont pu apporter leur contribution au rayonnement de la Belgique. Je pense en particulier à M. Georges Octors, Chef d’Orchestre et le plus grand violoniste belge des temps modernes ou encore à Mme Augusta Chiwy, Infirmière belge et héroïne de la bataille des Ardennes. Je n’oublie pas tous les autres metis qui ont apporté leur contribution comme citoyens à la vie et à l’honorabilité de notre pays.
Le combat des metis issus de la colonisation belge a ouvert la voie à l’intégration des minorités visibles dans notre pays et a également favorisé l’instauration d’une Société Ouverte (Open Society) en Belgique. Il est notoire que la nouvelle génération des metis de Belgique nés de couples mixtes post-colonisation peut épanouir plus facilement ses talents que nous le pûmes. Espérons que les jeunes personnalités belges metisses telles que Jean-Paul Van Haver, dit Stromae, Laura Beyne, Miss Belgique 2012 et actuellement Présentatrice-vedette chez RTL-TVI ou encore Nafissatou Thiam, la récente médaillée d’or des Jeux Olympique de Rio, découvrent un jour notre histoire et la route que nous avons tracée pour eux.
D’autre part, concernant la douzaine de milliers de metis issus de la colonisation belge au Congo et restée auprès de leurs familles africaines à l’indépendance de ce pays, nous constatons qu’elle s’est également bien débrouillée dans son ensemble. Cela malgré les vicissitudes que traversa ce pays et qui pénalisèrent la première génération de metis à qui on déniait parfois la nationalité congolaise et dont on doutait du patriotisme. Les générations suivantes s’intégrèrent mieux et font désormais partie de la classe moyenne ou de l’élite congolaise actuelle. Toutefois, reste en permanence la frustration d’avoir été abandonnés par leurs ancêtres « biologiques » belges et de ce qu’ils clament être une ingratitude de la Belgique à leur égard. C’est ainsi qu’a été créée à Kinshasa « l’Association des enfants laissés par les Belges au Congo ». Cette Association milite pour que la Belgique reconnaisse ses responsabilités à l’égard des metis congolais issus de la colonisation belge et de leurs descendants.
En ce qui concerne le Kivu, le Rwanda et le Burundi, les orateurs précédents nous ont expliqué comment la plupart des 700 metis issus de la colonisation dans cette région, dont les 300 enfants regroupés à l’orphelinat de Save furent déplacés en Belgique. Les rares qui restèrent furent malheureusement rattrapés par la problématique « Hutus-Tutsis ». Le cas du Rwanda étant le plus emblématique. En effet, les metis issus de la colonisation belge qui sont restés au Rwanda après l’indépendance et qui ne possédaient pas de nationalité étrangère, se virent attribuer la nationalité rwandaise conformément au Code de la nationalité rwandaise de 1963.
Ils reçurent comme tous les autres Rwandais nés de parents rwandais une carte d’identité à « mention ethnique ». Cette mention n’était prévue par aucune loi. Il s’agissait donc d’une simple pratique administrative, héritée de la colonisation allemande puis du mandat belge, par laquelle l’enfant était classé dans « l’ethnie » de son père, ou bien dans celle de sa mère, au cas où son père était étranger ou inconnu.
Comme la plupart de ces metis avaient des mères classifiées comme « tutsies », ils subirent les aléas liés au groupe classifié comme « tutsi » durant la période 1962 à 1994 et eurent des destins tragiques durant le génocide de 1994, particulièrement la petite communauté metisse établie depuis 1930 à Gisenyi.
Pour finir, je souhaite aussi rappeler que le destin dramatique vécu par les metis issus de la colonisation belge, le fut plus encore par leurs mères. Lors d’une visite en famille des bâtiments de l’ancien orphelinat de Save en 2005, je fus entouré par 5 femmes âgées, qui me racontèrent s’être établies sur place depuis 1962 en attendant le retour, avant de mourir en paix, des enfants metis que les « blancs » leur avaient volés. L’AMB espère donc – via des recherches dans les archives, l’aide des Ambassades belges dans les pays des Grands-Lacs et des Gouvernement locaux – identifier les familles africaines des metis belges souhaitant renouer avec leurs origines africaines.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, l’AMB compte vivement sur votre appui pour mettre fin à des drames humains et à des casse-têtes juridiques et réparer ensemble, dans la justice et la dignité, les injustices de notre histoire commune afin que cette histoire retrouve toute sa dignité.
Merci à toutes et à tous de votre attention.

Métis : Avec les enfants cachés de la France coloniale

Publié le : 10/07/2020 - 14:43

Reporters © FRANCE 24

Par : Caroline DUMAY & Thaïs BROUCK

Durant la période coloniale, plusieurs milliers d’enfants issus de relations entre des colons et des Africaines sont abandonnés par leur père et arrachés à leur mère. Sur décision du gouverneur général de l’Afrique-Occidentale française, ces "métis des colonies" sont séparés du reste de la société et placés dans des orphelinats. À travers des témoignages inédits, France 24 retrace l’histoire oubliée de ces enfants cachés de la Nation, dépourvus de leur filiation et en quête de reconnaissance. Regardez notre documentaire exceptionnel de 27 minutes.

Tout a commencé en 1903, lorsque le gouverneur Ernest Roume, à la tête de l'Afrique-Occidentale française (AOF), décide la mise en place d’espaces dédiés pour les enfants nés de père français et de mère "indigène", les "bâtards de la République". Dans la colonie Côte d’Ivoire, le "Foyer des métis" voit le jour dans le majestueux ancien Palais des gouverneurs de Bingerville.

André Manket, 90 ans, en fut l’un des premiers pensionnaires. Il a les larmes aux yeux lorsqu’il raconte son kidnapping. "Ils sont venus me chercher dans mon village de pêcheurs d'Anono et m'ont emmené de force. J'avais sept ans. Ma tante était en pleurs...", témoigne le vieil homme, qui est arrivé à Bingerville entouré de deux gardes coloniaux. "On m'a dit : 'Guerard', le nom de votre père, c'est fini. Maintenant, vous prendrez le nom de votre mère." On lui a aussi donné un numéro : le 39. Ce qui signifiait qu’avant lui, il y avait 38 garçons et filles, dont le seul point commun était la couleur de leur peau, métissée.

Traumatisme

Maurice Berthet, lui, ne comprend pas. Il n’est pas Français, mais il possède pourtant des terres à Vitry-le-François, qu’il a obtenues par héritage... "Mon père ne m’a jamais abandonné ! Mais il ne savait pas comment faire. Il coupait du bois et vivait dans la forêt", explique-t-il.

L’abandon est une chose, la perte d’identité en est une autre. Pour avoir accès à Bingerville et au statut de "pupille de la Nation", il fallait se déclarer "orphelins", même quand on ne l’était pas. 

Même son de cloche pour Calile Sahily, le président de l’Association des anciens élèves de l’orphelinat et du Foyer des métis (AEFOCI). "Comment pouvait-on être hier pupilles de la Nation - et donc enfants de l’État français - et ne pas être Français aujourd’hui ? C’est une aberration !",  fait-il remarquer.

Ils ont beau être désormais âgés de plus de 80 ans, le traumatisme est encore bien vivace. "Nous étions la risée de tous. Nos mères étaient traitées comme des prostituées", explique aussi Monique Yace. "On nous traitait de bâtards, de peau grattée... Nous mettre à l’orphelinat, c’était légaliser l’abandon", ajoute, de son côté, Philippe Meyer. Tous aujourd’hui se considèrent comme des "victimes de la colonisation".

Bien éduqués, la plupart de ces métis se sont bien intégrés à la société ivoirienne. Jeanne Reinach, née Langui, est le produit de cette génération d’enfants cachés. Si elle porte le nom de l’une des familles françaises les plus riches de l’avant-guerre, elle n’a, par contre, jamais obtenu la nationalité française. Elle a dû attendre 77 ans pour apprendre que son grand-père, Théodore Reinach, était député de Savoie, membre de l’Institut de France, propriétaire de châteaux et de villas... "Nous en voulons à la France parce qu’elle n’a rien fait pour nous", confie-t-elle, amère.

"Mettre le débat sur la table"

À l’indépendance de la Côte d’ivoire, en 1960, la question de ces enfants n’a jamais été mise sur la table. "Ceux qui ont réussi à obtenir la nationalité française sont ceux qui se sont fait établir, avant leur majorité, un jugement supplétif d’acte de naissance en précisant que le père était présumé d’origine française", explique Patricia Armand, secrétaire générale de l’AEFOCI. Encore fallait-il être informé... La juriste est aussi petite-fille de colon, mais elle n’a jamais réussi à retrouver les traces de son grand père, Fernand Combaluzier, pourtant administrateur foncier.

Beaucoup d'Ivoiriens souhaitent désormais que la France s'inspire de la Belgique qui, en avril 2019, s'est officiellement excusée auprès des enfants métis nés dans ses anciennes colonies. Le mois dernier, cinq femmes métisses, nées dans le Congo colonisé, ont assigné le royaume en justice pour "crimes contre l'humanité". Elles dénoncent des enlèvements systématiques d'enfants comme elles, entre 1911 et 1960. 

La France sera-t-elle à son tour ciblée par ce type de démarche ? Auguste Miremont, ancien ministre de la Communication de Félix Houphouët-Boigny, qui a, lui aussi, grandi au Foyer des Métis, estime qu’"il est temps maintenant de mettre ce débat sereinement sur la table".

Black Lives Matter : déconstruire les mécanismes du racisme

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Le racisme s’est nourri au fil de l’histoire de l’ignorance, de la cupidité et de la lâcheté des sociétés humaines. Qu’il soit inconscient ou assumé, il est le produit d’une construction intellectuelle complexe qui impacte chacun d’entre nous. Bourreau ou victime, on est tous concernés.

L’affaire George Floyd aura eu le mérite de faire resurgir toute une documentation enfouie dans les poubelles de l’histoire, qui donne enfin la parole aux sans-voix, et permet de prendre la mesure de ce fléau, dans sa complexité, sa diversité.

Si les noirs font figure de peuple martyr, concentrant sur eux le rejet des autres peuples (occidentaux, arabes et asiatiques), ils ne sont pas pour autant exempts de reproches et à l’abri de ces travers car ils ont souvent participé activement au racisme systémique dans le rôle du “nègre de service”, et comble de misère, nombre de témoignages rapportant des actes à caractère racistes sont perpétrés quotidiennement contre … des noirs. On appelle cela pudiquement xénophobie, communautarisme, complexe de l’uniforme ou de la blouse, abus de pouvoir ou … lutte des classes.

Les fondements du racisme sont à rechercher dans l’histoire, l’économie, la philosophie, et si l’on peut légitimement s’indigner des manifestations de racisme, les éradiquer nécessitera un travail d’information, d’éducation et un dialogue entre les protagonistes afin de rétablir la vérité historique et la justice.

Tous les peuples, chacun à son niveau, ont contribué à l’évolution de l’humanité. Vouloir le nier ou établir une hiérarchie est en soi un acte fondateur du racisme.

Liens utiles pour comprendre le phénomène:

Le tabou de la traite négrière arabe :

Kakou Ernest TIGORI - Prix Mandela de littérature 2017 : l’Afrique à désintoxiquer :

Etre noir au Liban : un combat quotidien contre le racisme :

Arte - Aux sources européennes du racisme :

TV5 : Juliette Esmeralda : la couleur des pharaons :

Cheikh Anta Diop : en finir avec le complexe du colonisé :  

France 2 : Pascal Blanchard - historien: Le racisme inconscient et les stéréotypes :

Le berceau humain: les origines négro-africaines de l'Egypte antique - version française : 

AJ+ - Carte à fric : qui a traçé les frontières des Etats africains ?

Général Alexandre Dumas, le héros noir oublié :

La Charte du Mandé : 1ère déclaration des Droits de l'Homme de l'histoire :

Interview Alain Mabankou sur TV5 : 

Pascal Blanchard, historien : l'histoire coloniale de la France n'est toujours pas assumée :

Pascal Blanchard, historien : Celui qui naît avec une couleur a un destin :

Lisapo Ya Kama - Le projet de Cheikh Anta Diop pour l'Afrique:

TV5 : Les noirs en France du 18e siècle à nos jours :

Chasselay 1940 : tirailleurs sénégalais massacrés par les nazis :

Le racisme envers les gitans :

La théorie complotiste d’Eric Zemmour sur les Verts et l’Islam vaut le détour(nement) :

La colonisation en Afrique : résumé sur carte :

La Conférence de Berlin 1885 sur le partage de l’Afrique :

Arte : l’Islam n’a pas aboli l’esclavage :

“Strange fruit” de Billie Holiday : un hymne antiraciste :

L’indépendance sanglante de Madagascar :

Discours du Premier Ministre Patrice Lumumba lors de la proclamation de l’indépendance du Congo :

Arundhati Roy : Le racisme indien envers les noirs est presque pire que celui des blancs :

RTBF - Congo belge : la stigmatisation des enfants métis :

Le racisme anti-blanc existe t-il ?

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Cheikh Anta Diop : en finir avec le complexe du colonisé

“Le complexe de l’africain est très très très profond: il préfère croire le mensonge dans la bouche d’un blanc que la vérité dans la bouche d’un noir”

Extraits d’une conférence à l’université de Niamey, où un étudiant l’interrogeait sur le moment où ses thèses seraient reconnues ?

Cliquer sur la vignette pour voir la vidéo.

COVID'RESILIENT : La réponse sénégalaise !

Sursaut national face au coronavirus: Gouvernement, secteur privé, milieux académiques, société civile et populations se sont érigés en coalition pour démentir la catastrophe annoncée. Il y aura un avant et un après-Covid-19. C’est écrit !

Accédez en un click à : -La plaquette de présentation de la coalition Daancovid-19 ; -L’étude du CNP sur l’impact et la gestion du Covid-19 dans les entreprises sénégalaises ; -Les interviews audio des responsables de la coalition Daancovid-19 ; -Les mesures fiscales proposées par l’Ordre National des Experts du Sénégal - ONES.

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Plaquette de présentation en un click

Plaquette de présentation en un click

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Impact et gestion du Covid-19 dans les entreprises du Conseil National du Patronat - CNP

Premières conséquences économiques, sociales et financières de la crise sanitaire Covid-19 dans les entreprises du Cnp

Mesures urgentes d’accompagnement et de soutien aux entreprises souhaitées par le Cnp

Contributions des groupements professionnels et entreprises du Cnp à la solidarité nationale

Vision du Cnp sur les perspectives de relance économique

Guide du Cnp pour la prévention et la gestion sanitaires du Covid-19 en milieu professionnel

Articles du Code du Travail relatifs aux procédures de chômage technique et de modification du contrat de travail

Mesures fiscales et financières du Programme de résilience économique et sociale

Dispositif financier de soutien de l’activité économique de la Bceao

Dispositif de report et de suspension d’échéances de crédit de l’Apbef

Daancovid-19 : Les clés de la résilience (audio)

Daancovid-19 : Les clés de la résilience (audio)

Le Conseil National du Patronat - CNP a diffusé le 17 mai 2020 sur Radio Sénégal International - RSI 92.5 FM son émission radiophonique "l'Entreprise Citoyenne", produite en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer. Elle était consacrée aux réponses du Numérique à l’impact économique et sanitaire du Covid 19, Avec les interventions de : M. Antoine NGOM – Président d’OPTIC – Co-Président de Daancovid19, M. Mouhamed Tidiane SECK - Coordonnateur Technique Daancovid19, M. Abdoukhadre DIAGNE - Représentant du sous-comité Gestion - Pilotage et Aide à la Décision, M. Ibrahima Nour Eddine DIAGNE – Coordonnateur du sous-comité Solutions Digitales, M. Mamoudou NIANE – Coordonnateur du sous-comité Juridique, M. Mohamed Moustapha DIOUF - Représentant du sous-comité Analyse - Recherche – Suivi, Mme Carine VAVASSEUR - Coordinatrice assistante du sous-comité Communication.

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« Il n’y a pas de hasard, que des rendez-vous »

En Chine, il y a deux options pour traduire le mot « crise » : danger, et opportunité.

Et si la pandémie est partie de l’Empire du Milieu, ce n’est peut-être pas une coïncidence mais l’illustration que cette menace était un défi à relever, une expérience à surmonter qui aujourd’hui se révèle une opportunité pour les chinois de se redéployer à l’échelle planétaire comme des experts de cette pandémie, ce qui par ricochet, légitime leur posture de centre de gravité du monde de demain.

En effet, ce pays est devenu le point de convergence de la production industrielle en pièces détachées, produits finis et prestations de services au point que tout ce qui l’affecte positivement et négativement a des répercussions sur l’ensemble de l’économie mondiale. Pour le Covid 19, c’était définitivement « the place to be », la rampe de lancement pour passer à la postérité comme une pandémie parmi les plus glorieuses.

Il y a dans l’histoire du monde des grandes étapes, marquées chacune par de grands cataclysmes qui ont provoqué des ruptures, comme le big bang créateur de l’univers, la fin des dinosaures provoquée par la chute d’une météorite sur la terre, les grandes glaciations et éruptions solaires qui sont le fait de la nature, les différentes guerres, épidémies et crises politiques provoquées par les hommes, et au plan de la mythologie religieuse, des phénomènes tels que le déluge qui ont permis de rebattre les cartes chaque fois que la planète s’est trouvée dans une impasse.

Dire que le monde d’aujourdhui est arrivé au bout de ses incohérences est un euphémisme : il n’a jamais disposé d’autant de moyens et n’a jamais autant mis sa survie en péril. La faute à une pénurie des valeurs, une surexploitation des ressources et une redistribution calamiteuse des richesses qui ont exacerbé la lutte des classes en verrouillant toute solution de sortie de crise.

Les seuls exutoires proposés face à ce désespoir sont les migrations et la radicalisation religieuse.

Hasard ou coïncidence, le point culminant a été atteint avec la succession de COP stériles où les décideurs et influenceurs de ce monde convergent périodiquement au mépris de leur empreinte carbone, tirent la sonnette d’alarme sur l’urgence de réguler le dérèglement climatique puis se quittent en remettant la prise de décision… à la prochaine COP.

Dans ce marasme complet où la raison et le bon sens ont capitulé face aux intérêts partisans, « Make America Great Again », il n’est plus possible de compter sur le sens des responsabilités des hommes pour trouver des solutions durables aux problèmes qu’ils ont créés, le salut doit donc venir d’une influence extérieure qui va imposer un reset du système, une remise en question de ses fondamentaux génératrice d’un ordre nouveau.

Et pour faire bonne mesure, le redresseur de torts s’est attaqué au système par ses symboles les plus puissants :

-Les pays dominants : Voir l’Amérique triomphante, la vieille Europe et l’ambitieux Iran plier sous le joug de cette épidémie, c’est toute la suffisance des sociétés humaines qui révèle sa fragilité : un colosse aux pieds d’argile,

-Le système financier international : Basé sur la consommation et la spéculation, il a installé une surenchère sur les ressources et les moyens afin de maintenir les ménages et les entreprises dans une dépendance permanente de leurs envies et non de leurs besoins, source de tous les excès,

-Les systèmes de santé publique : La santé publique des Etats est désormais abordée selon des critères de gestion comptable plutôt que de réponse sociale. Résultat, la logique de solvabilité prime sur le service public, avec comme conséquences une médecine élitiste, des stocks exsangues et une couverture médicale défaillante,

-L’industrie pharmaceutique : Le paradoxe est que les Etats se sont dessaisis de la production de médicaments au profit de sociétés privées qui l’ont réduite à un simple commerce. Du coup, l’offre de médicaments répond à des critères de profit au détriment de la santé des populations qui sont maintenues dans un état de morbidité chronique : on ne guérit plus, on soulage et on maintient la dépendance aux traitements à vie.

-La structure sociale : Elle a explosé sous le coup d’expérimentations hasardeuses assimilées au « Progrès », menées au pas de charge par des apprentis sorciers obsédés par les Libertés et qui n’ont pas pris soin de laisser aux citoyens le temps de mesurer les bienfaits de ces réformes sur les Droits Humains et libertés individuelles : Mariage pour tous, PMA, GPA, ainsi que sur les sciences et la technologie : bioéthique, OGM, 5G, etc…

-Les modes de production et de consommation : Frénétiques, boulimiques, déraisonnables, axés sur le profit plus que sur la préservation des ressources naturelles et financières, jusqu’au point de rupture,

-La préservation de l’environnement : Sacrifiée sur l’autel du pouvoir, du confort et du profit, avec cet Accord de Paris devenu caduque et ces dirigeants politiques incapables de changer de paradigme, enfermés qu’ils sont dans une logique de réélection ou de profit.

Le monde est fait de grands équilibres qui échappent à l’intelligence de l’Homme et l’univers doit sa longévité à des lois de régulation qui s’imposent à tous. La capacité des espèces animales et végétales à s’adapter aux changements de leur environnement a fait le reste, c’est tout ce qui fait la richesse et la beauté de la biodiversité, que l’homme par sa cupidité s’est évertué à mettre à mal au risque de flirter avec le point de non-retour.

Le jour d’après :

Alors oui, on ne peut pas exclure l’hypothèse qu’à l’image du déluge, le coronavirus soit arrivé à point nommé pour contraindre les sociétés humaines à prendre conscience qu’elles sont allées trop loin et qu’elles devront reconsidérer leur rapport à la communauté, à la production et à l’environnement.

Malheureusement, il y aura un prix à payer :

-D’abord humain, par la sélection naturelle qui va soustraire les éléments les plus fragiles, afin de repartir avec des troupes saines, viables, à même de porter le nouveau projet,

-Ensuite sociétal, car le confinement aura mis les hommes face à toutes leurs incohérences, il conviendra de revoir l’échelle des valeurs pour le couple, les enfants, la communauté. Cette remise en cause va provoquer nombre de conflits familiaux, divorces, rupture d’héritages et d’amitiés car tout sera à reconstruire,

Egalement, économique avec les faillites d’entreprises, pertes d’emploi qui vont totalement redessiner le paysage de l’entreprise survivante, avec plus de flexibilité et d’insécurité mais également un nouveau rapport à la production, notamment avec la généralisation forcée du télétravail dont le maintien aura un effet salvateur sur les transports, la pollution, la productivité et la sociabililté,

-Enfin, environnemental, par la prise en compte de la durabilité comme fil d’Ariane de toutes les politiques touchant à l’humain, à la production, à la science et à la biosphère.

Covid 19 : danger ou opportunité ?

La réponse nous appartient, individuellement et collectivement, à travers l’émergence d’une nouvelle citoyenneté basée sur la responsabilité, la sincérité et la solidarité.

Amath BA

31 mars 2020