Source: BFMTV - Céline Hussonnois-Alaya
Les chromosomes X et Y, la composition des étoiles, la structure de l'ADN, la fission nucléaire, les pulsars ou encore la génétique des bactéries : toutes ces découvertes fondamentales pour la science l'ont été par des femmes. Mais ce sont des hommes qui s'en sont octroyé les mérites.
Elles sont toutes des pionnières et ont largement contribué aux progrès de la science. Mais elles sont restées dans l'ombre. Alors que se tient ce dimanche la journée internationale des femmes et des filles de science, BFMTV.com revient sur les découvertes de six femmes scientifiques que des hommes se sont accaparées.
Victimes de ce qui est désigné comme l'effet Matilda, c'est-à-dire le déni ou la minimisation de la contribution scientifique de chercheuses au profit de leurs collègues masculins, nombre d'entre elles n'ont ainsi jamais reçu le prix Nobel qui leur revenait. Et ont parfois attendu longtemps pour bénéficier de la reconnaissance qu'elles méritaient.
· 1 - La fission nucléaire : Lise Meitner
C'est une femme qui a découvert la fission nucléaire, Lise Meitner, née en Autriche en 1878. Mais pendant des décennies, elle a été attribuée à deux hommes, Otto Hahn et son assistant Fritz Strassmann. C'est pourtant elle qui, en 1938, comprend les implications des résultats de l'expérience menée par Otto Hahn et en calcule l'énergie produite, raconte National Geographic. Mais ce dernier publie les résultats de cette étude sans la citer - certains mettent en avant le contexte de l'Allemagne nazie pour expliquer cette omission, Lise Meitner étant juive et n'ayant plus le droit de travailler. Il obtient le prix Nobel de chimie de 1944 pour la découverte de la fission des noyaux lourds.
Au début du XXe siècle, les femmes n'ont pas le droit d'embrasser une carrière académique. C'est même à titre exceptionnel qu'elle est autorisée dans une université de Berlin après avoir obtenu son doctorat à Vienne. Dans les premiers temps, elle intègre un institut de recherche en tant qu'invitée et travaille bénévolement.
Lise Meitner et Otto Hahn vont ensuite travailler sur la radioactivité ensemble, à statut égal, pendant une trentaine d'années. Tous deux découvrent en 1918 le protactinium, un élément chimique. Indépendamment de ses travaux avec Otto Hahn, elle mène des recherches pionnières en physique nucléaire. En 1923, elle découvre la transition non-radiative qui sera pourtant nommée "effet Auger" en l'honneur de Pierre Auger, un scientifique français qui fera cette découverte… deux ans après elle.
C'est aussi elle qui, en 1934, implique Otto Hahn et Fritz Strassmann dans le "projet uranium", un programme de recherche qui mène quatre ans plus tard à la découverte de la fission. Mais en 1938, son statut de directrice du département de physique d'un institut de recherche ne la protège plus. Elle doit fuir l'Allemagne.
Elle meurt à Cambridge, au Royaume-Uni, à l'âge de 89 ans. Si elle a reçu de son vivant 21 récompenses scientifiques, elle a été ignorée du comité Nobel, bien que nommée à 48 reprises en chimie ou en physique. En guise de compensation : deux cratères, sur la Lune et Vénus, portent son nom. En 1997, le nouvel élément de numéro atomique 109 est baptisé meitnerium en sa mémoire.
· 2 - La structure de l'ADN : Rosalind Franklin
Rosalind Franklin aurait dû recevoir deux prix Nobel mais elle n'a jamais pu être nommée. Scientifique d'une grande rigueur, elle a été longtemps oubliée de l'histoire et est devenue une icône féministe, emblématique de ces femmes scientifiques malmenées et spoliées par leurs confrères, comme l'explique France culture.
Cette biologiste moléculaire britannique née en 1920 a pourtant été la première scientifique à réaliser en 1951 des radiographies aux rayons X de l'ADN. Dans un rapport non publié, elle formule déjà l'hypothèse de la structure hélicoïdale de l'ADN.
© AFP Lise Meitner, qui a découvert la fission nucléaire
Mais deux ans plus tard, avant qu'elle n'ait eu le temps de publier ses résultats, deux hommes, James Dewey Watson et Francis Crick, se procurent les clichés de la jeune scientifique à son insu. Ils publient un article dans la revue Nature sur la structure à double hélice de l'ADN en s'appropriant ses données, notamment celles obtenues par son fameux cliché 51. Mais ils ne la créditent pas.
Pour cette découverte, les deux hommes ainsi que Maurice Wilkins qui travaillait également sur la structure de l'ADN, obtiennent en 1962 le prix Nobel de médecine. Rosalind Franklin n'aura jamais pu défendre son rôle dans cette découverte: elle est morte prématurément quatre ans plus tôt à l'âge de 37 ans d'un cancer des ovaires, probablement dû à sa surexposition aux radiations.
Ce n'est qu'en 2003 que James Dewey Watson reconnaît dans une interview que Rosalind Franklin aurait elle aussi mérité d'être nobélisée, rappelle Le Figaro. En plus de ses travaux sur la structure de l'ADN, ses recherches sur la structure des virus seront poursuivies par le physicien britannique Aaron Klug, avec qui elle travaillait. Elle est morte depuis près de 25 ans quand il reçoit, en 1982, le Nobel de chimie.
· 3 - Les pulsars : Jocelyn Bell Burnell
Jocelyn Bell Burnell, une astrophysicienne britannique née en 1943, est à l'origine d'une des plus grandes découvertes astronomiques du XXe siècle. Et pourtant, deux hommes ont obtenu les honneurs à sa place.
Elle est encore étudiante à Cambridge lorsqu'elle découvre en 1967 le premier pulsar, un objet astronomique émettant un fort rayonnement électromagnétique, ou plus précisément un reste d'étoile résultant d'une supernova, c'est-à-dire l'explosion d'une étoile en fin de vie.
Mais parce qu'elle n'est qu'une élève, le comité Nobel récompense en 1974 son directeur de thèse, Antony Hewish, ainsi qu'un autre chercheur. Elle figure pourtant à la deuxième place sur l'article scientifique révélant la découverte, rapporte The Telegraph. Elle ne protestera pas.
"L'ancien modèle du monde de la science était celui d'un superviseur, un homme (...) qui dirigeait une équipe de juniors apprentis qui n'étaient pas sensés penser ou contribuer mais étaient là pour exécuter les ordres", expliquait-elle à BBC.
Cette injustice suscite pourtant à l'époque une vive controverse auprès de la communauté scientifique pour qui il ne fait aucun doute que c'est bien Jocelyn Bell Burnell qui aurait dû être récompensée et qu'elle a été ignorée en raison de son genre.
· 4 - La composition des étoiles : Cecilia Payne-Gaposchkin
Née en 1900 au Royaume-Uni, Cecilia Payne-Gaposchkin doit s'exiler aux États-Unis pour avoir le droit de faire de la recherche, les femmes n'ayant à cette époque pas accès à ces métiers.
À Harvard, où elle obtient une bourse d'étude, cette astronome découvre en 1924 que les étoiles sont composées à 98% d'hydrogène et d'hélium, ce qui signifie qu'elles ont une composition radicalement différente de celle de la Terre. Le professeur Henry Russell la dissuade de publier ses résultats, convaincu qu'elle a tort. Il qualifie à l'époque ses conclusions de "clairement impossibles".
Mais quatre ans plus tard, ce même Henry Russell arrive aux mêmes résultats que Cecilia Payne-Gaposchkin et comprend qu'elle avait raison. Dans sa publication, il évoque les précédents travaux de la jeune femme mais passe sous silence son revirement de position. Ce n'est que plusieurs décennies plus tard qu'elle obtiendra le titre officiel de professeure. Elle deviendra la première femme cheffe du département d'astronomie de cette prestigieuse université américaine.
· 5 - Les chromosomes X et Y: Nettie Stevens
En 1933, Thomas Hunt Morgan, un généticien de renom, obtient le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur le chromosome et l'hérédité. Sauf qu'en réalité, c'est Nettie Stevens, dont il était le directeur de thèse, qui a découvert dès 1905 que le sexe de l'enfant était déterminé par les chromosomes. Plus précisément, cette pionnière de la génétique a identifié le rôle des chromosomes X et Y. Mais la conséquente contribution scientifique de cette généticienne américaine a longtemps été passée sous silence.
Fille de charpentier, cette élève brillante se destine d'abord au métier d'enseignante. Mais à l'âge de 35 ans, elle décide de reprendre ses études et entame un cursus universitaire de biologie. Elle se spécialise dans l'étude des cellules. C'est en étudiant une espèce de coléoptère qu'elle comprend que la détermination du sexe dépend de la présence ou de l'absence du chromosome Y.
Mais ses conclusions vont à l'encontre de la pensée en vigueur à l'époque: les scientifiques estimaient alors que le sexe était déterminé par la mère ainsi que par des facteurs environnementaux, précise Sciences et avenir. Il faudra des années pour que X et Y soient reconnus et admis.
Au même moment, un autre chercheur parvient à des conclusions similaires que celles de Nettie Stevens, indique Nature.Elle meurt sept ans plus tard d'un cancer du sein, sans la reconnaissance de la communauté scientifique qui lui sera finalement accordée des décennies plus tard. En dix ans de carrière universitaire, elle a publié une quarantaine d'articles, rapporte The Independent.
· 6 - La génétique des bactéries : Esther Lederberg
Son mari a été nobélisé pour leurs travaux communs mais pas elle. Esther Lederberg est une microbiologiste américaine et une précurseure en génétique des bactéries. Encore étudiante, elle découvre en 1951 le phage lambda, un virus bactériophage qui infecte la bactérie escherichia coli, relate National Geographic.
Avec son premier mari, Joshua Lederberg également généticien et microbiologiste, ils développent une technique toujours utilisée aujourd'hui en laboratoire de culture bactérienne par réplication. Tous deux font considérablement avancer la biologie moléculaire en faisant des découvertes sur l'organisation du matériel génétique des bactéries. Mais seul Joshua reçoit en 1958 le prix Nobel de médecine pour leurs recherches communes.
"Elle a été l'une des grandes pionnières en génétique bactérienne. Sur le plan expérimental et méthodologique, c'était un génie de laboratoire", saluait lors de son décès en 2006 un microbiologiste de l'Université de Stanford, où Esther Lederberg a enseigné, non sans difficulté. En 1959, elle a dû convaincre le doyen de lui accorder un simple poste de vacataire alors qu'elle était surqualifiée et qu'elle avait déjà fait ses preuves, raconte The Guardian. Elle a ensuite réussi à fonder et diriger un institut de recherche. "Une véritable légende", l'honorait une autre professeure de cette célèbre université californienne.