INCIVISME ROUTIER DANS LE MACKY

INCIVISME ROUTIER DANS LE MACKY

Dis-moi comment tu (te) conduis, je te dirai qui tu es !

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L’exception sénégalaise :

Il est de bon ton de considérer le Sénégal non pas comme un pays à part entière, mais comme un pays entièrement à part.

Ainsi, les problèmes qui ont trouvé des solutions pérennes à travers le monde font ici l’objet de débats sans fin. C’est le cas de la circulation routière qui, fruit de l’urbanisation galopante et de l’émergence des classes moyennes, draine quotidiennement des torrents de véhicules dont la logique de fonctionnement défie le bon sens et illustre la théorie des rats :

- Isolés, ce sont des animaux sans histoires,

- Mis en communauté, ils laissent apparaître des signes d’organisation, voire d’intelligence,

-Plus ils se reproduisent, et plus cette organisation se perfectionne, jusqu’au seuil de surpopulation où ils s’entre-dévorent, revenant à l’état sauvage.

Le principe de base sur lequel se fonde la mobilité routière est que la route appartient à tout le monde, et elle doit être partagée en responsabilité, chacun prenant soin de l’outil et de son environnement. Il semble qu’au Sénégal, nous ayons pris le parti de considérer que la route n’appartient à personne, dès lors chacun y fait ce qui lui plait, en toute impunité.

Et ceux qui sont sensés veiller à l’harmonie du système sont souvent les premiers à lui porter des coups, soit par un usage abusif de leurs prérogatives, soit par une démission face à leurs responsabilités.

Les 10 péchés capitaux :

Le catalogue des « bonnes pratiques » est quasiment sans limite :

-La voie : On choisit son couloir selon sa sensibilité politique, donc majoritairement à gauche, et en changer reviendrait à se renier. Plutôt crever ! En revanche, s’il y a quelque espace ou intérêt à glaner à droite, on peut s’autoriser une incursion furtive, quitte à se rabattre sur un innocent ;

-La vitesse : Elle est définie par l’état d’esprit du conducteur sans tenir compte du panneautage et de son environnement. Cette remarque concerne particulièrement ces conducteurs de transports en commun âpres au gain, qui n’hésiteraient pas à rouler sur plus petit qu’eux pour gagner un client ;

-Les passages piétons : Purement décoratifs, zones à risques par excellence car si un conducteur averti s’arrête pour vous laisser passer, attention au crétin de service qui va accélérer et voyant un espace vide, fauchera sans états d’âme cette personne âgée ou cet enfant qui ne se doutait pas qu’on pouvait croiser aussi bête et méchant par une si belle journée ;

-Les distances de sécurité : sacrifiées depuis belle lurette au profit de l’aspiration, supposée réduire la consommation et faire gagner du temps. A vouloir chasser le dernier centimètre, en ville comme sur autoroute, le moindre écart ou ralentissement se transforme en carambolage ;

-La priorité aux intersections : Le casse-tête par excellence entre la priorité à droite, la voie à grande circulation et l’avantage donné sur les rond-points au véhicule déjà engagé. La confrontation donne droit à une guerre des nerfs où celui qui a la priorité avance à pas feutrés, parce que celui qui doit lui laisser l’avantage continue d’avancer insidieusement, fermant l’angle jusqu’au point de contact. Il serait tellement plus simple de marquer son intention de laisser l’avantage quelques mètres avant l’intersection en ralentissant clairement, et s’arrêter à la ligne blanche qui la délimite…

-Le téléphone au volant : Les sénégalais seront comblés le jour où une application leur permettra de conduire leur véhicule à partir de leur smartphone. On a beau leur dire que l’hémisphère du cerveau qui gère la conversation téléphonique est le même que celui qui gère la conduite et qu’entre conduire et téléphoner, il faut choisir, ils restent convaincus d’être assez brillants pour combiner les deux. Résultat des courses, chaque fois que vous voyez une voiture quitter sa ligne ou décrocher sa vitesse sans raison apparente, regardez à l’intérieur, vous y verrez un écran allumé et un conducteur en train de « régler des problèmes », au risque de vous en créer…

-Le sens giratoire : Pourquoi diable faire le tour d’un rond-point pour prendre la bretelle à gauche alors qu’elle nous tend les bras, Quitte à se trouver nez-à-nez avec ceux qui arrivent dans le bon sens ? La question reste sans réponse…

-L’arrêt et le stationnement : Ce qui restait la spécialité des taxis a basculé dans le tronc commun : rétroviseur, clignotant et feu de stop sont ravalés au rang d’encombrants, on s’arrête où et quand on veut, sans préavis, et comme en cas d’accident, celui qui est derrière est déclaré fautif pour n’avoir pas respecté la distance de sécurité, la messe est dite. Sauve-qui-peut ;

-La conduite sous la pluie : quelle pluie ??? Les voitures et les conducteurs étant étanches, on ne change rien, ni la vitesse, ni les distances de sécurité, pas même les essuie-glaces ;

-La conduite de nuit : Voir et être vu présuppose des phares bien réglés, utilisés en mode « feux de croisement » alias feux de code. Dans la pratique, et surtout sur route non éclairée et autoroute, il est de bon ton de rouler en phares, surtout si on est au volant d’un 4x4 surélevé afin qu’aucun détail de la route ne nous échappe, au risque d’éblouir ceux qui nous précèdent ou nous croisent.

N’en jetez plus, la coupe est pleine… Enfin, non !

Car il y a ces policiers qui règlent la circulation téléphone en main, laissant filer sous leurs aisselles un essaim de scooters et motos lestés de 3 équilibristes sans casque ni masque, qui se paient le luxe de brûler un feu rouge et une priorité dans l’indifférence générale, car se croyant exemptés de code ;

Sans oublier cette gestion fantaisiste de la circulation par la maréchaussée, qui s’éclate en libérant en simultané et non en alternance deux files de voitures opposées, qui ont la ferme intention de se croiser ET de se contourner – méli -mélo garanti ;

Et ces piétons qui débarquent sur le macadam sans crier gare, téléphone à l’oreille, en tournant le dos aux véhicules, s’en remettant à leur bonne étoile à défaut de couverture médicale.

Voilà comment un pays de Droit devient un pays de non-Droit.

La politique de contournement :

Ce capharnaüm est le triste résultat d’un anticonformisme congénital et contagieux, car les étrangers vivant au Sénégal, toutes origines confondues ont vite fait de se dépouiller de leur discipline acquise pour prendre le pli local comme s’ils l’avaient tété au biberon.

Preuve s’il en est que la discipline n’est pas innée, mais le fruit d’un conditionnement.

Dans un système normé, un accident est un incident survenu alors que tout a été fait pour l’éviter, il constitue donc par définition l’exception. Au Sénégal, au regard de l’état général des véhicules et du comportement des usagers de la route, l’accident constitue la règle, la suite logique de comportements erratiques répétés par des serial-gaffeurs. Rentrer chez soi sans une éraflure ou une aile défoncée relève du miracle quotidien.

Comment en est-on arrivé là ? Probablement par notre incapacité à s’autoévaluer, notre goût immodéré pour l’autosatisfaction, et cette conviction d’être plus malins que tous les autres peuples réunis, au point de trouver des parades « innovantes » à tous les problèmes classiques :

-Les automobilistes empiètent sur le bas-côté, transformant une 3 voies en 5 voies ? On met des trottoirs infranchissables. Résultat, plus de voies de dégagement, la moindre panne ou le moindre accrochage se traduit par 30 minutes de bouchons, puisque même les gendarmes et les secours ne trouvent pas d’accès aux lieux des sinistres ;

-Les rond-points sont des goulots d’étranglements ? On construit des ponts et des tunnels afin de supprimer les points de croisement, mais on laisse des centaines de marchands ambulants transformer une voie rapide en marché aux souks où on s’arrête pour négocier les prix ou attendre sa monnaie, annulant de ce fait des milliards de francs cfa d’investissements.

Pourtant, une rapide comparaison avec des pays candidats à l’émergence comme le Sénégal tels que le Ghana, le Rwanda, le Cap-Vert et le Botswana permettrait de comprendre que les solutions aux problèmes complexes sont souvent simples, et reposent avant tout sur une volonté politique inflexible, l’éducation des populations afin d’atteindre une masse critique de citoyens conformistes, et le refus de solutions en trompe-l’œil proposées par les bailleurs toujours prêts à vendre leur expertise à prix d’or, moyennant des montages financiers complexes « d’aide liée » qui au final, remontent l’essentiel de la ressource financière à la source sous forme de sociétés concessionnaires, honoraires de consultants et de formateurs, licences d’exploitation et tutti quanti.

La solution est en nous, individuellement et collectivement, à travers le retour à une conduite vertueuse et responsable, reflet d’une citoyenneté conquérante.

Le retour aux fondamentaux du code de la route :

Langage commun à l’ensemble des citoyens de ce monde, le code international de la route a été conçu pour prévenir toutes sortes de conflits entre les usagers, grâce à un catalogue de règles de conduite à appliquer sans interprétation, afin d’éviter les incompréhensions sources d’accidents.

La version francophone conçue par ce cher Monsieur Rousseau, pas celui de l’Encyclopédie, l’autre, est un best-seller sur lequel le temps n’a pas de prise, et qui a rendu service à des millions d’usagers.

Tout conducteur est supposé le maîtriser suite à un processus de formation en auto-école sanctionné par l’obtention d’un permis de conduire.

Dès lors, comment admettre que sitôt le permis obtenu, ces conducteurs reviennent à l’état primitif, sans foi ni loi ?

De même que les excès de vitesse ont été résolus par les radars et l’alcool au volant a été jugulé par l’alcootest, l’incivisme routier sera neutralisé par un dispositif répressif basé sur la force de la Loi et la pédagogie.

Ainsi, il convient de rétablir le code de la route dans ses prérogatives :

-Par une formation de mise à niveau des agents de police, de gendarmerie, les ASP et agents communaux afin de lever toutes les ambiguïtés quant à l’application de la réglementation routière ;

-La même démarche devra être menée auprès des entreprises de transport public et privé : taxis, bus, camions, des entreprises à flotte de véhicules lourds, ainsi que des corps d’élus et d’élite : gouvernement, députés, élus locaux, ordres des professions libérales, groupements professionnels d’employeurs et de travailleurs ;

-Par une campagne nationale de sensibilisation aux enjeux de la citoyenneté routière via la télévision, les radios, journaux et presse en ligne, les écoles, lycées et universités, à travers des spots didactiques et des tutoriels quotidiens afin que nul n’ignore les fondamentaux de la sécurité routière,

-Par une application stricte du code de la route, avec identification rigoureuse et impartiale des infractions, suivie d’une application sans complaisance des sanctions prévues par la loi, dans un souci permanent de pédagogie, de sensibilisation et de responsabilisation.

Et que l’on ne nous divertisse pas avec le spectre du permis à points, ce sera encore une fois l’occasion de nous refiler une technologie importée coûteuse et contre-productive, à l’image du défunt visa de tourisme. De toutes façons, la modicité des contraventions ne permettrait pas de rembourser l’investissement, et la multiplication débridée des conducteurs sans permis deviendrait vite une équation sans issue pour nos autorités.

D’autant que dans ce pays où chacun est à la recherche d’un parent bien placé en politique, dans l’administration ou dans les confréries pour lui régler ses problèmes, quitte à fouler les règlements du pied, les règles communautaires priment sur les règles de la République.  

Voilà comment un pays de non-Droit devient un pays de passe-Droit.

Ainsi donc, la solution devrait être recherchée dans la transition numérique, à travers :

-La généralisation des caméras de surveillance du trafic automobile, avec identification automatisée des infractions, couplée à la vigilance des agents de la circulation, et transmission des contraventions via les smartphones pour un paiement par transfert d’argent ;

-L’informatisation des permis de conduire incluant l’historique des infractions constatées, et un lien avec le téléphone personnel du conducteur afin d’assurer une bonne traçabilité ;

-L’élaboration d’une échelle des infractions avec des sanctions appropriées : pécuniaires pour les premières commises, puis assorties de travaux d’utilité publique : aide à la circulation urbaine avec la police, séances de sensibilisation dans les écoles ou nettoyage des rues avec les équipes de l’UCG.

Et en cas de conduite sans permis suite à un retrait pour multirécidive, incarcération en commissariat de police pour 24 heures, et plus si affinités.

Afin que cesse le règne de l’irresponsabilité et de l’impunité.

Dieggelou xeewina : l’appel à la responsabilité :

La manière dont on se conduit sur la voie publique est le reflet du niveau d’éducation et/ou de répression des citoyens. Il n’est donc pas étonnant que les pays scandinaves, du fait de leur haut niveau de citoyenneté, soient des modèles en matière de prévention et de responsabilité routière qui s’appuient sur des principes accessibles à tous : prévisibilité, bienveillance, courtoisie et responsabilité :

-On respecte les infrastructures, le mobilier urbain et l’environnement (voitures, piétons) ;

-On respecte son prochain et partage la route en bonne intelligence (bien commun) ;

-On annonce ce qu’on va faire (arrêt, ralentissement, changement de direction) et on s’y tient ;

-On s’abstient d’interpréter le code de la route, source de malentendus, pour une application stricte ;

-On s’assure et adopte un comportement responsable en toutes circonstances : on casse, on paie !

Le Sénégal pourra prétendre être sur la rampe de l’émergence le jour où ses citoyens auront intégré le fait que leur attitude au quotidien, notamment sur la voie publique, est le reflet de leur prise de conscience de leurs droits et leurs devoirs. Elle traduit leur capacité à vivre en société en bonne intelligence, avec un objectif commun tendant vers un développement durable.

Aussi longtemps que chacun continuera de suivre ses bas instincts, convaincu d’être soit intouchable, soit insolvable, nous continuerons à être guidés par des comportements irresponsables ponctués par ce sempiternel mot d’excuse « mangui dieggelou » qui résume à lui-seul l’incurie de notre société du « maslaa ».

Il est grand temps que les citoyens aient des actes au quotidien en accord avec leur éthique afin d’assumer ici-bas les conséquences de leurs turpitudes, ce qui ne les empêchera pas d’en répondre lors de leur jugement dernier.

Coach Barma

credo.sn@gmail.com

QUAND LE COVID MET À NU LES INÉGALITÉS HOMMES-FEMMES

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PAR ADRIENNE DIOP

QUAND LE COVID MET À NU LES INÉGALITÉS HOMMES-FEMMES

EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps - Nos espoirs collectifs post Covid-19 devraient émaner de la prise en charge des impacts de la pandémie sur les femmes au regard du rôle fondamental qu’elles ont joué dans sa gestion

Adrienne Diop  |   Publication 08/07/2021

#SilenceDuTemps - Depuis la survenue du Covid-19, notre santé, nos politiques sanitaires, nos économies, nos méthodes de travail, nos relations familiales et amicales, en un mot, nos vies ont été bouleversées de manière profonde et irréversible. Même dans l’espoir que cette pandémie soit maîtrisée et vaincue, nous ne vivrons plus et ne travaillerons plus comme avant. Son étendue géographique, le lourd tribut en vies humaines, l’impact négatif sur les économies de nos États, les bouleversements intervenus dans le système éducatif, les conséquences désastreuses sur certains corps de métier, les répercussions sur la vie en société et la vie privée, font du Covid-19 une pandémie à nulle autre pareille. En effet, le Covid-19 s’est révélé être beaucoup plus qu’un problème sanitaire. La pandémie a non seulement mis à nu la fragilité de nos systèmes sanitaires, mais elle a également déstabilisé nos économies et modifié notre mode de vie.

Le Covid-19 a permis de mettre les projecteurs sur certaines professions essentielles dont le rôle a été fondamental dans la gestion et prise en charge des malades dans les structures sanitaires et sociales. Ces personnels sont pourtant mal rémunérés et rarement appréciés à leur juste valeur.

Ma réflexion sera principalement axée sur un aspect peu évoqué par les gouvernements et les médias durant cette crise sanitaire : son impact différencié selon les genres. En effet, cela a été l’un des enseignements les plus marquants de cette pandémie. Le Covid-19 a impacté de manière inégale les femmes et les hommes. Les femmes, par la centralité de leur rôle dans la communauté et leur position dans la structure de notre économique, ont beaucoup plus souffert que les hommes de la crise sanitaire. Le Covid-19 a mis en lumière les inégalités et les disparités socio-économiques déjà existantes entre les hommes et les femmes. Avec les plus bas revenus, vivant souvent dans des logements précaires et insalubres et ayant peu d’accès aux soins de santé adéquats, les femmes sont plus exposées aux infections.

Cette pandémie pourrait anéantir les progrès modestes mais importants, acquis en matière d’égalité des genres et des droits des femmes. À cause de la crise sanitaire, les avancées réalisées dans le cadre de l’équité sociale et de l’élimination de la pauvreté sont menacées.

Les conséquences de la crise sanitaire sont nombreuses, mais son impact sur les femmes est considérable et affecte par ricochet tous les autres secteurs. Nos espoirs collectifs post Covid-19 pourraient émaner de leur prise en charge, si l’on considère le rôle fondamental qu’elles ont joué dans sa gestion. Le Covid-19 est une opportunité pour revisiter et redéfinir nos politiques de santé en y renforçant le rôle des femmes et par de-là contribuer à la réduction des inégalités.

Bien qu’ayant été moins affecté que les autres continents si l’on considère le nombre de décès, l’Afrique a le plus souffert des conséquences du Covid-19.  Les pays africains ont payé un lourd tribut aux plans sanitaire, économique et sociétal. Le Covid-19 est venu affaiblir des structures sanitaires déjà fragiles, souffrant de politiques de santé souvent inadaptées, de manque d’infrastructures adéquatement équipées, de financement suffisant, de personnels pas toujours bien formés et souvent mal rémunérés. La pandémie a exacerbé les carences de nos systèmes sanitaires.

- Les femmes en première ligne - 

L’impact de la majorité des crises (guerre et conflits, climat, économique, chômage) est toujours plus sévère sur les femmes que sur les hommes. Le Covid-19 ne fait pas exception. En raison de leur rôle dans la société et de leur forte présence dans les structures sanitaires et sociales, elles sont sur la ligne de front des intervenants de la lutte contre la pandémie, ce qui qui font d’elles les personnes les plus exposées au Covid-19. En effet, les femmes constituent 75% des infirmières, des aides-soignantes et du personnel de soutien. Il faut ajouter à cela que 86% des assistantes sociales et des aides à domicile sont des femmes. 

Au niveau économique également, les femmes ressentent de façon plus prononcée les effets de la pandémie. Elles sont majoritaires dans les secteurs les plus affectés par crise sanitaire comme l’hôtellerie, la coiffure, le commerce et la vente, la restauration et la transformation de produits locaux. Selon les Nations unies, elles constituent également près de 60% des travailleurs qui évoluent dans le secteur informel. L’économie informelle est caractérisée par une certaine précarité, des bas salaires et moins de protection sanitaire. L’OIT informe qu’en 2020 la perte d’emploi des femmes atteint 5% contre 3,9% chez les hommes. Selon ONU Femmes, 75% des Sénégalaises évoluent dans l’économie informelle. Pour atténuer l’impact de la pandémie, le gouvernement sénégalais a soutenu des entreprises. Cependant, seules celles formellement constituées ont le plus bénéficié de cette aide, laissant un grand nombre de femmes livrées à elles-mêmes. Ces dernières sont également désavantagées par l’absence de prise en compte du travail domestique non rémunéré et l’augmentation des soins qu’elles prodiguent à domicile durant la pandémie. En 2020, les femmes représentaient 39% du monde du travail mais ont subi 54% des pertes d’emploi. À cause du Covid-19, près de 50 millions de femmes dans le monde vont basculer dans l’extrême pauvreté.

L’un des effets les plus inattendus et les plus dramatiques de la pandémie est la hausse de la violence domestique. En 2020, une femme sur cinq dans le monde a été victime de comportements violents dans son foyer. Confinement oblige, la situation des victimes de violence conjugale est aggravée par la présence permanente du partenaire en état de stress causé par le Covid-19. Il a été enregistré une hausse de 32% du nombre de plaintes relatives aux violences conjugales. À cette situation, il faut ajouter, les difficultés des services sociaux à répondre à un plus grand nombre de sollicitations dans un contexte de ralentissement économique.

La pandémie est venue nous rappeler que la santé est la chose la plus importante pour un être humain. Le Covid-19 a bouleversé nos vies par la transformation de notre organisation et méthode de travail, l’arrêt des industries, du commerce, des voyages. Nos systèmes d’enseignement ont subi des modifications majeures et la fermeture des hôtels, des restaurants, des lieux de spectacle et de divertissement nous a obligés à changer notre façon de vivre.

Pour faire face à ce défi, il est fondamental de mettre sur pied un système sanitaire performant basé sur des personnels de santé bien formés et bien rémunérés, une infrastructure de dernière génération régulièrement entretenue et des médicaments à suffisance. Ce système repose sur un financement adéquat, de solides politiques sanitaires fondées sur les besoins réels.

Si aucune action n’est prise, la pandémie va creuser l’écart de pauvreté entre les hommes et les femmes d’ici 2030. Les progrès durement acquis pourraient être anéantis par la crise sanitaire si des programmes qui intègrent la dimension genre ne sont pas adoptés. Il est donc important de placer les femmes au centre des mesures sanitaires visant à prévenir et à lutter contre les pandémies.

Le Covid-19 nous donne l’opportunité de revoir et de redéfinir nos politiques de santé à la lumière des enseignements de cette crise en renforçant la contribution des femmes. Elles devraient être impliquées au plus haut niveau lors de la formulation de ces nouvelles politiques de santé et de la prise de décision. La prise en compte de leurs préoccupations et l’identification de mécanismes est indispensable pour atténuer les impacts spécifiques sur les femmes.

- Pour un changement d'approche -

Une nouvelle approche est nécessaire. Elle passe par une volonté individuelle et politique ainsi que par l’implication du secteur privé. Il devrait y avoir des politiques de santé avant et après le Covid-19.

Le volet sanitaire doit être complété par des mesures visant réduire la vulnérabilité financière des femmes. Parmi ces mesures, le soutien des secteurs de l’économie dans lesquelles les femmes évoluent et l’accompagnement de l’économie informelle sont essentiels.

Le renforcement de la résilience économique des femmes passe également par le mentorat des petites et moyennes entreprises dirigées par les femmes, par la facilitation des prêts à taux réduits et par des mesures d’incitation fiscale.

Face à cette pandémie sans précédent, les pays africains ont la formidable opportunité de repenser leurs politiques de développement, de procéder à une redéfinition des objectifs et des moyens pour y parvenir. Nous devons réfléchir sur une politique économique post-Covid qui met l’humain au centre de ses préoccupations. Les hommes, les femmes, les jeunes, le gouvernement, les secteurs privé et informel, les ruraux et les citadins, tous doivent contribuer à l’élaboration de cette nouvelle politique qui devra être solidaire et inclusive

Cette politique passe par le renforcement de notre autonomie pour la satisfaction de certains besoins fondamentaux. Plus que jamais, la nécessité de compter sur nos propres forces pour la production de notre alimentation et pour la maîtrise de notre système sanitaire notamment les médicaments essentiels et le matériel médical. Pour y parvenir, la transformation de nos produits agricoles, halieutiques, d’élevage et miniers est une condition sine qua non. Les nombreux discours et engagements sur cette question ont été, à ce jour, très peu suivis d’actions concrètes.

Au vu des conséquences dramatiques du changement climatique sur nos économies, la protection de notre environnement est l’une des questions qui doit être inscrite au titre des priorités de cette nouvelle vision.

Le numérique s’est imposé comme incontournable durant cette pandémie. Le Covid 19 a eu des répercussions inégales sur les travailleurs et les entreprises. Certains secteurs se prêtent moins au télétravail soit par leur nature soit par manque personnel ayant une bonne maîtrise de l’outil informatique. Seules les sociétés connectées et dotées d’infrastructures et de technologies numériques ont pu continuer à opérer sans trop de dommages. La pandémie a accentué le problème de la fracture numérique. Sans une technologie numérique de pointe, les défis liés au développement et à la croissance économique ne pourront être relevés. Cet élément doit être intégré dans toute nouvelle politique de développement.

Cette pandémie a révélé l’immense potentiel de créativité des Sénégalais, prouvant à suffisance qu’elle ne demande qu’à être stimulée pour éclore. Le potentiel d’innovation des Sénégalais dans les domaines artistique, sanitaire, économique et industriel est immense. L’État a le devoir, par la création d’un environnement favorable à l’innovation et l’esprit d’entreprise, de faire révéler l’ingéniosité, le génie créateur et salvateur présent dans l’imaginaire des citoyens.

Une redéfinition de notre coopération basée un partenariat réellement « gagnant-gagnant » en misant davantage sur nos propres ressources que sur l’assistance étrangère.

L’augmentation des budgets relatifs à la santé, l’éducation, les affaires sociales, l’agriculture et l’infrastructure numérique contribuerait au renforcement de la résilience des populations.

Paradoxalement, cette tragédie que constitue le Covid-19, est une incroyable opportunité à saisir par nos gouvernants pour revisiter notre trajectoire de développement, lui donner une nouvelle direction qui permettrait l’avènement d’une société prospère, solidaire, équitable, inclusive et respectueuse de son environnement.

Adrienne Diop est une journaliste qui a fait ses gammes à la RTS et au magazine Démocratie locale entre autres. Docteure en Sciences de l’information, elle a enseigné au Cesti et à l’IFP Dakar avant d’être nommée ambassadrice du Sénégal en Malaisie entre 2015 et 2018.

SANTE PUBLIQUE : J’ACCUSE MÉDECINS ET POLITIQUES

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J’ACCUSE MÉDECINS ET POLITIQUES

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EXCLUSIF SENEPLUS - J'ai toujours pensé que ceux qui ont prêté le serment d’Hippocrate n’enverront jamais volontairement un patient à la mort. C'est pourtant ce qui est arrivé avec MB qui pouvait être sauvée si les médecins s’étaient bien occupés d'elle

Serigne Saliou Guèye de SenePlus | Publication 28/07/2021

Nous sommes le vendredi 16 juillet 2021 vers 15 h, la dame MB, habitant à Ouest Foire, ressent des douleurs au niveau de la poitrine. Direction Samu municipale où on fait savoir à ses accompagnantes qu’elle a les poumons bouchés. Elle souffre d’une détresse respiratoire selon le diagnostic établi. Souffrait-elle d’une embolie pulmonaire ? Tout laissait croire après les déclarations de la patiente qu’elle souffrait d’un infarctus du myocarde ou d’une angine de la poitrine. Cela nécessite une hospitalisation d’urgence afin de pallier la déficience d’oxygène. Pourtant, pour traiter cette détresse respiratoire, il lui faut un apport supplémentaire d'oxygène inhalé par l’utilisation des lunettes à oxygène, d’un système d'oxygénothérapie nasale à haut débit, ou d’un masque naso-buccal apportant de l'air sous pression au patient. Mais rien de tout cela. Malgré cette détresse respiratoire, le médecin trouvé sur place lui a administré une perfusion qu’elle ne supportait pas. Nonobstant les interpellations de la patiente qui déclare insupporter la perfusion, on lui administre deux bouteilles avant de la laisser partir avec sa douleur qui s’est intensifiée du fait des bouteilles de liquides insupportables.

Le lendemain samedi 17 juillet, MB se plaint à nouveau de la même douleur vers 19h. On constate le début d’une hémiplégie au côté gauche assortie d’une déformation de la bouche. Ce sont là les signes d’un AVC.

Direction toujours Samu qui, cette fois-ci, se rendant compte de la gravité du mal qui consume la stoïque MB, indique à ses accompagnants de l’acheminer dare-dare à l’hôpital Fann sans aucun soin préalable. C’est en ce moment, informé de la douleur de MB, que je me dirige vers Fann. Au Service d’Accueil des Urgences (SAU) de Fann, la dame en souffrance est consultée après plusieurs minutes d’attente. On lui demande de faire un scanner thoracique. Puisqu’elle est en crise convulsive du fait de sa respiration quasi-bloquée, il lui est impossible de faire le scanner. Faut-il l’endormir pour la passer au scanner faut-il la laisser avec ses convulsions ? Les médecins sont divisés sur la question. Finalement, elle a été perfusée dans les couloirs du SAU avec une dose de valium. Mais l’intensité de la douleur à la poitrine ponctuée par des convulsions répétitives empêche la patiente de dormir en dépit de la dose de valium. L’espace du SAU est bondé de patients perfusés qui n’ont pas de place dans les salles d’hospitalisation. La situation est intenable et les images insoutenables. Les malades se tordent de douleur devant l’impuissance de leurs accompagnants et les médecins en sous-nombre sont débordés. En dépit de leur nombre insuffisant, ils se transbahutent d’un malade à un autre pour les soulager du mal qui les consume. On nous dit que plusieurs de ces patients souffrent de la grippe. Mais cette grippe qui ravage les familles n’est-elle pas une manifestation du Covid-19 version Delta ? Le docteur Mamadou Mansour Diouf, médecin anesthésiste réanimateur au CHU de Bordeaux, a confirmé que cette grippe en réalité est une manifestation du Covid.

Revenant à ma patiente, je l’ai quittée vers une heure du matin, la laissant avec mon neveu qui, depuis la veille, ne la quitte pas d’une semelle. Le dimanche 19 juillet vers 4h du matin, je m’enquiers de l’état de santé de MB. On vient de lui ingérer une forte dose de Bialminal (six comprimés de 100 mg) connu pour ses propriétés anticonvulsivantes et sédatives-hypnotiques et un demi-comprimé de Rivotril pour l’endormir. Pourtant, il est indiqué que Bialminal ne doit pas être administré aux patients présentant une dépression respiratoire sévère.

Le site https://medikamio.com/pt-pt/medicamentos/bialminal/pil indique ceci sur le Bialminal : « En tant que sédatif : chez l'adulte, la dose usuelle est de 30 à 120 mg par jour, à répartir en 2 ou 3 prises, mais il n'y a pas d'intérêt à diviser la dose journalière. Chez les patients âgés et affaiblis, il peut être nécessaire d'utiliser des doses plus faibles. Chez l'enfant, la dose habituelle est de 2 mg/kg de poids corporel ou de 60 mg/m2 de surface corporelle, 3 fois par jour. Lorsqu'il est utilisé chez l'enfant avant la chirurgie, la dose habituelle est de 1 à 3 mg/kg de poids corporel. En tant qu'hypnotique : chez l'adulte, la dose hypnotique est de 100 à 200 mg. La dose maximale de Bialminal ne doit pas dépasser 600 mg sur une période de 24 heures. Une surdose ou une intoxication peut provoquer une dépression du système nerveux central (SNC), allant du sommeil au coma profond. Dans les intoxications graves, les complications pulmonaires et l'insuffisance rénale peuvent entraîner la mort. »

Pourtant, c’est une patiente âgée de 45 ans affaiblie souffrant depuis plus de 24 heures de dépression respiratoire à qui on a fait ingérer 600 mg de Bialminal et la moitié d’un Rivotril pour l’endormir. L’overdose est atteinte et malheureusement, MB est plongée dans la voie de la mort. Le dimanche 18 juillet vers 9h, on notifie à mon neveu l’accompagnant de faire le scanner dans son état de veille. Il fallait justifier les 90 000 francs payés la veille pour faire le scanner. Cela fait, aucune maladie n’a été notifiée par les médecins à mon neveu sinon que la patiente a un besoin d’oxygène parce que l’hôpital Fann n’en a pas. Ce qui veut dire qu’il faut sortir rapidement la patiente cliniquement morte de cet hôpital avant qu’on ne le lui impute la responsabilité.

Malgré l’interpellation de mon neveu sur l’état d’inertie de la patiente, on lui fait savoir qu’elle dort et qu’elle ne tarderait pas à se réveiller après l’effet des médicaments combinés. Vers midi, mon neveu me fait savoir qu’il se dirige vers la clinique Casahous à la recherche désespérée d’oxygène parce qu’il n’y en a point dans l’hôpital Fann d’après les médecins. Immédiatement, j’appelle à la Clinique Médic’Kane pour une prise en charge immédiate, mais c’est saturé. SOS Médecins : on me fait savoir que la structure réanime, mais n’hospitalise pas. Suma injoignable. Je tente avec Casahous. Même réponse : clinique archi-pleine. Mon neveu y est déjà, mais tout en étant convaincu que la patiente n’est plus de ce monde. Et c’est vers 12h30 qu’il m’appelle pour me dire que MB a tiré sa révérence. Ce que je refuse. Je refuse de penser que cette dame que j’ai connue pétillante de vie quitte ce monde de cette façon injuste. Et je lui demande de requérir l’avis d’un médecin. Hélas, ce dernier confirme ce que je ne veux pas entendre. C’est en ce moment que je réalise toute l’injustice dont ma parente a été victime du début de son mal jusqu’à sa mort.

J’ai l’habitude d’entendre des gens se plaindre de la mort d’un proche pour négligence médicale, mais je me dis toujours et à tort qu’il y a de l’exagération dans leurs plaintes parce que, pour moi, ceux qui ont prêté le serment d’Hippocrate n’enverront jamais volontairement un patient à la mort. Pourtant c’est ce qui est arrivé avec MB qui pouvait bien être sauvée si les médecins s’étaient bien occupés d'elle depuis le Samu jusqu’à Fann. Vers 13h30, MB est retournée à Fann, mais cette fois-là pour être déposée à la morgue. Aucune mention sur le certificat de décès délivré par le médecin n’indique la ou les cause(s) du décès de MB. Et c’est le lendemain lundi 19 juillet que nous sommes passés à Fann récupérer dans la colère et la tristesse le corps de notre chère MB pour les besoins de l’inhumation à Yoff et l’organisation des obsèques.  

Ainsi, j’accuse les services de la santé du Samu et du SAU de Fann d’être responsables de la mort de MB même si je réalise que les conditions dans lesquelles ces médecins en sous-effectifs travaillent sont insupportables. Mais la vie précieuse et Hippocrate excluent toute discrimination ou favoristime dans le traitement des patients.

J’accuse les services de la santé du Samu et du SAU de Fann de n’avoir pas livré à ce jour les véritables causes de la mort de la patiente MB.

J’accuse les services de la santé du Samu et du SAU de Fann d’avoir prodigué des soins négligents à MB qui ont fini par un empoisonnement létal.

J’accuse le président de la République et le ministre de la Santé de n’avoir pas suffisamment doté nos structures de santé de lits et d’oxygène en quantité suffisante alors les citoyens s’acquittent de leurs impôts pour bénéficier de soins de qualité. 

J’accuse le ministre le président de la République et le ministre de la Santé de condamner à mort tous les patients qui n’ont pas de relations avec des personnalités influentes pour bénéficier de certains passe-droits dans les structures de santé.

Pour finir, j’invite les médecins du SAU de Fann et du Samu à qui je voue un respect profond à revisiter ces passages du serment d’Hippocrate :

« Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions.

Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. »

sgueye@seneplus.com

LES TIRAILLEURS , CES OUBLIES DE L'HISTOIRE COLONIALE

Tirailleurs sénégalais en faction dans le maquis algérien pendant la guerre d'Algérie. © ECPAD

Tirailleurs sénégalais en faction dans le maquis algérien pendant la guerre d'Algérie. © ECPAD

Liens sur Le Point Afrique :

https://www.lepoint.fr/afrique/docu-tele-france-5-les-derniers-tirailleurs-racontent-25-09-2020-2393653_3826.php

https://www.lepoint.fr/afrique/tierno-monenembo-tirailleurs-le-grand-reveil-de-l-histoire-africaine-de-la-france-09-09-2019-2334381_3826.php

https://www.lepoint.fr/afrique/un-heros-sort-de-l-ombre-charles-n-tchorere-venu-du-gabon-mort-pour-la-france-19-08-2014-1859196_3826.php

https://www.lepoint.fr/afrique/histoire-tirailleurs-une-memoire-vivante-13-11-2017-2172088_3826.php

Docu télé – France 5 : « Les Derniers Tirailleurs » racontent

À partir de témoignages d'anciens tirailleurs sénégalais, ce film jette une lumière crue sur une page sombre de l'histoire de France.

Par Le Point Afrique Publié le 25/09/2020

Les tirailleurs sénégalais sont au cœur de l'histoire de France depuis 1857. C'est cette année-là que les généraux Faidherbe et Mangin créent à Saint-Louis du Sénégal la Force noire. Ils ont participé à toutes les phases de la conquête coloniale en Afrique, puis à celle de Madagascar, vers 1890, et à ce qu'on a appelé la « pacification » du Maroc, à partir de la fin du XIXe siècle.

D'un effectif de 15 000 personnes, en 1914, ils étaient déjà 200 000 personnes et ne venaient plus seulement du Sénégal mais de toutes les nations africaines dépendant alors de l'Empire français. Ces tirailleurs ont été de tous les combats, des tranchées de 14-18 au débarquement de Provence en passant par les rizières d'Indochine et les montagnes d'Algérie.

Ils ont servi l'armée française dans ses pages les plus glorieuses : la libération de Toulon, le débarquement de Provence. Mais aussi dans des moments plus sombres, comme la répression du soulèvement du Constantinois en Algérie en mai 1945 ou la répression à Madagascar en 1947.

Ils se firent particulièrement remarquer à la prise du fort de Douaumont, en 1916. Trente mille d'entre eux moururent au champ d'honneur. En 1939, 140 000 furent engagés dans la bataille et 24 000 furent faits prisonniers ou tués. Sans eux, il n'y aurait eu ni Bir Hakeim, ni la Marne, ni la conquête de l'île d'Elbe, ni la prise de Toulon.

Durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands choisissent de maintenir leurs prisonniers africains en France pour des questions de « pureté raciale ». Les tirailleurs ont donc été envoyés dans des fermes, des usines, des exploitations forestières, vivant quasiment au sein de la société française.

Lire aussi Aïssata Seck : « Il y a une forte méconnaissance de l'histoire coloniale »

Un travail de mémoire salutaire

Mais durant la chute de l'Empire colonial, tout change. Les derniers tirailleurs d'origine guinéenne, qui pourtant se sont battus sous les couleurs tricolores, sont rejetés par la France et par leur pays d'origine, qui les voit comme des traîtres, des mercenaires au service du colonisateur. Internés au camp de Rivesaltes en 1964, ces soldats guinéens, derniers tirailleurs, racontent la triste fin de la force noire.

À partir des années 2000, les Africains ont commencé à se réapproprier cette histoire, et surtout à voir ces tirailleurs différemment de leurs aînés qui ont pu les considérer, aux indépendances, comme des collaborateurs de l'État colonial.

Par exemple, dès 2004, le rond-point situé face à la gare ferroviaire de Dakar a été rebaptisé « Place du Tirailleur ». Au milieu trône une statue d'un poilu et d'un combattant sénégalais, côte à côte. Depuis lors, une journée d'hommage aux soldats africains des deux guerres mondiales est célébrée chaque année.

De l'autre côté, il faudra attendre plusieurs décennies et la sortie du film Indigènes en 2006 pour que la République française leur rende enfin justice. Comme leurs frères d'armes français, ils touchent désormais 336 euros tous les six mois.

Depuis, que sait-on de leur histoire ? Que reste-t-il de leurs récits ? Pour la première fois, un documentaire leur donne la parole.

Âgés de 86 à 89 ans, ils s'appellent Yao, Manoula, Keïta ou Abdoulaye, et ont sorti pour l'occasion leurs calots et leurs médailles qu'ils ont accrochés au revers de leurs vestes. Dignes et silencieux, ils racontent leurs souvenirs, intacts de leurs années de guerre, mais aussi la triste fin de la force noire. Jean-Yves Le Naour et le réalisateur Cédric Condon ont fait le choix d'aller à la rencontre de ces anciens combattants africains obligés de résider six mois par an en foyer Sonacotra en France pour toucher l'intégralité de leur pension.

Tierno Monénembo - Tirailleurs : le grand réveil de l'histoire africaine de la France

CHRONIQUE. Tout donne à penser qu'il y aura un avant et un après-discours de Saint-Raphaël à propos de ces héros de l'ombre, « ces dogues noirs de l'Empire… que personne ne nomme » pour paraphraser Senghor.

Par Tierno Monénembo Publié le 09/09/2019 à 10:49 | Le Point.fr

Le discours fait à Saint-Raphaël sera-t-il suivi de concret ou restera-t-il un simple effet d'annonce ? Croisons les doigts. Les promesses sont rarement tenues quand il s'agit de l'Afrique. Il reste que le geste de Macron est sans précédent. Jamais un président français n'avait été aussi loin dans le souci de la vérité historique : après avoir assimilé la colonisation à un crime contre l'humanité, voilà qu'il exhorte les maires à donner aux tirailleurs sénégalais les noms de leurs rues et de leurs places. Une occasion pour nous de pousser un « ouf » de soulagement et, pour la France, de réparer une cruelle injustice

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La réparation d'une injustice flagrante

En effet, les tirailleurs sénégalais lui ont beaucoup donné et rien, sinon très peu, reçu en retour. Alors qu'ils se trouvaient souvent aux avant-postes et effectuaient les missions les plus périlleuses, ces « chairs à canon » comme on les surnommait dans les tranchées furent jetées comme des pneus crevés dès que sonna le clairon de l'armistice. Pensez donc ! Jusqu'en 2007, leurs prestations valaient à peine la moitié de celles de leurs collègues blancs. Les métropolitains touchaient alors 400 euros, eux 190 ; les Algériens 90 et les Vietnamiens, à peine 40. Et si ces prestations ont été revalorisées depuis lors, elles ne concernaient que la pension du feu, à savoir la retraite du combattant et la pension militaire d'invalidité. Et si elles ont été revalorisées depuis, il a fallu attendre 2010 pour que la mesure soit étendue à la pension de retraite et indexée sur les prestations de leurs collègues français. En bref, une ségrégation parfaitement légale sous le toit d'une République connue pour ses intarissables leçons sur la liberté, l'égalité, la fraternité, les droits inaliénables de l'homme et tutti quanti.

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Retrouver leur vraie place...

Pourtant, la réalité est là, aussi irréfutable que l'éléphant d'Alexandre Vialatte : les tirailleurs sénégalais sont au cœur de l'histoire de France, et ce, depuis 1857. C'est cette année-là que les généraux Faidherbe et Mangin créèrent à Saint-Louis du Sénégal la Force noire, un effectif de 15 000 personnes qui participa à la conquête de Madagascar et à la « pacification » du Maroc. En 1914, ils étaient déjà 200 000 personnes et ne venaient plus seulement du Sénégal mais de toutes les colonies d'Afrique noire. Ils se firent particulièrement remarquer à la prise du fort de Douarmont, en 1916. 30 000 d'entre eux moururent au champ d'honneur. En 1939, 140 000 furent engagés dans la bataille et 24 000 furent faits prisonniers ou tués. Sans eux, il n'y aurait eu ni Bir-Hakeim, ni la Marne, ni la conquête de l'île d'Elbe, ni la prise de Toulon.

Lire aussi : Débarquement de Provence : l'Armée d'Afrique y a été déterminante

... dans l'histoire de France

Ces soldats sans peur et sans reproche que le maréchal Foch appréciait particulièrement méritent d'occuper la place qui leur revient dans l'histoire de France. En ce sens, le discours fait à Saint-Raphaël ne se perçoit pas comme un geste de générosité, mais comme la reconnaissance d'un dû. Quoi de plus normal que dès demain – pourquoi pas dès ce soir ? - les petits Français découvrent une place, un pont, une rue baptisé du nom d'un Africain et d'interrogent. On pourra par exemple leur répondre que le capitaine N'Tchoréré fut un illustre officier d'origine gabonaise tué à la bataille d'Airennes en 1940 après avoir tenu compte avec sa compagnie à une colonne de chars allemands, que Yorgui Koli était un tirailleur originaire du Tchad qui s'est illustré dans les batailles de Giromagny et de Belfort en novembre 1944, qu'Addî Bâ, d'origine guinéenne, a fondé le maquis de la Délivrance dans les Vosges et a été fusillé par les Allemands en 1943. Seulement, les rues et les ponts ne suffiront pas, président Macron. Il faudra aussi – j'allais dire surtout – une bonne dose de pédagogie. Il est grand temps que la France raconte à ses enfants son histoire africaine sans autre souci que celui de rétablir les faits tels qu'ils se sont déroulés.

Le capitaine Charles N'Tchoréré (1896-1940) a donné son nom à une rue à Airennes mais aussi au Prytanée militaire de Saint-Louis du Sénégal. © DR

Le capitaine Charles N'Tchoréré (1896-1940) a donné son nom à une rue à Airennes mais aussi au Prytanée militaire de Saint-Louis du Sénégal. © DR

Charles N'Tchoréré, ce héros français d'Airaines venu du Gabon 

SOUVENIR. Mort le 7 juin 1940, ce capitaine a donné son nom au prestigieux Prytanée militaire de Saint-Louis, au Sénégal, dont la devise est « Savoir pour mieux servir ».

Par Le Point Afrique Publié le 19/08/2014 à 17:10 | Le Point.fr

Le capitaine Charles N'Tchoréré a été tué à Airaines par un  soldat de la division Panzer de Rommel qui n'a pas accepté de traiter l'Africain qu'il était comme un officier violant ainsi les lois de la guerre.  © DR

C'est le 15 novembre 1896 que Charles N'Tchoréré naît au Gabon, à l'époque une colonie française de l'Afrique-Équatoriale française (AEF). Son parcours de vie s'achèvera au champ d'honneur le 7 juin 1940 à Airaines du fait d'un acte anti-militaire d'un soldat de la division de panzers de Rommel qui ne supportait pas de voir ce capitaine noir de l'armée française revendiquer un traitement d'officier alors que sa compagnie se rendait faute de munitions. D'ailleurs, tuer Charles N'Tchoréré n'aura pas suffi. Un char allemand lui roulera dessus pour le broyer. Qu'importe, son honneur était sauf et c'est bien là l'essentiel. En ces temps de commémoration du Débarquement de Normandie, prélude à des victoires décisives contre toutes les barbaries dont le racisme actuellement au coeur de l'actualité, il convient de réveiller la mémoire d'un homme qui a fait son devoir et tenu à défendre son honneur de soldat jusqu'au bout .

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N'Tchoréré est engagé dès la Grande Guerre

Charles N'Tchoréré se trouve au Cameroun quand la guerre éclate en 1914. Employé dans une entreprise tenue par des Allemands, il retourne dans son pays d'origine, le Gabon, une colonie de l'Afrique-Équatoriale française, pour échapper à d'éventuelles représailles. Les combats font rage et s'éternisent. La France a besoin de bras valides. Elle fait donc appel à ses "indigènes". Avec l'accord de son père, Charles s'engage en 1916. À la fin de la guerre, il sera élevé au grade de sergent. Il décide par la suite de faire carrière dans l'armée française. Pour sa première mission, il est envoyé au Maroc, où un certain Abdel el-Krim et ses hommes ont pris les armes pour réclamer une République sécessionniste. Nous sommes en 1919.

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Il passe par l'École des officiers d'outre-mer de Fréjus

Dès son retour en France, Charles N'Tchoréré intègre l'École des officiers d'outre-mer de Fréjus. Il en sort major en 1922. Puis il part de nouveau en mission. Direction la Syrie. Charles N'Tchoréré n'aura pas de chance cette fois. Il est grièvement blessé à la mâchoire au cours des combats. On lui décerne la croix de guerre avec étoile d'argent pour son courage exemplaire. Remis de sa blessure, il est affecté dans l'administration. Il rédige des articles pour La Revue des troupes coloniales et un rapport sur la promotion sociale des sous-officiers indigènes. Il demande ensuite sa mutation au Soudan, où il prend le commandement de la compagnie hors rang du 2e régiment des tirailleurs sénégalais à Kati. Il dirige parallèlement une école des pupilles de l'armée. En 1933, Charles N'Tchoréré est nommé capitaine. Une belle fin de carrière en perspective l'attend au Sénégal à la tête du 1er régiment des tirailleurs sénégalais.

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La Seconde guerre mondiale déclarée, il revient en métropole pour combattre

Mais lorsque la France et l'Allemagne entrent en guerre en septembre 1939, il abandonne tout et vole au secours de la métropole. Il prend le commandement de la 5e compagnie du 53e régiment d'infanterie colonial mixte sénégalais. Ses hommes et lui ont pour mission de défendre la commune d'Airaines, près d'Amiens, de la menace nazie, ce qu'ils vont faire avec bravoure malgré les difficultés de communication. Quelques éléments de sa troupe, des Africains, ne parlent pas français. Mais Charles N'Tchoréré sait les galvaniser. Et quand, le 5 juin 1940, les Allemands commencent à bombarder la bourgade, le bataillon ne plie pas. Il résiste et tient tête à l'armée d'Hitler, qui perd huit de ses chars. Une soixantaine d'Allemands sont faits prisonniers.

Malheureusement, les Français sont à court de munitions. Ils tentent donc un repli vers le sud. Pour couvrir leur fuite, Charles N'Tchoréré reste à Airaines avec une poignée de soldats. Après soixante-douze heures de combat, le natif de Libreville et quinze de ses hommes rendent les armes. Les Allemands sont en admiration. Ils ne s'attendaient pas à une telle résistance et leur surprise est grande de devoir traiter avec un capitaine des colonies. Mais contrairement au règlement militaire, certains d'entre eux veulent le séparer des officiers blancs. Charles N'Tchoréré proteste et revendique, en allemand, son statut d'officier. Un soldat sort son arme et l'abat froidement, malgré les protestations des prisonniers allemands qui venaient d'être libérés.

La stèle en mémoire de Charles N'Tchoréré et des combattants d'Afrique noire, à Airaines, près d'Amiens. © DR

La stèle en mémoire de Charles N'Tchoréré et des combattants d'Afrique noire, à Airaines, près d'Amiens. © DR

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"Nos neveux seront fiers d'être français et pourront lever la tête sans honte"

Peu avant sa mort, Charles N'Tchoréré avait écrit à son fils Jean-Baptiste, qui mourra, lui aussi, au combat, quelques jours avant la défaite des troupes françaises et l'armistice de juin 1940. Il lui dit : "Mon fils, j'ai là sous les yeux ta dernière lettre. Comme je suis fier d'y trouver cette phrase : Quoi qu'il en arrive, papa, je serai toujours prêt à défendre notre chère patrie, la France. Merci, mon enfant, de m'exprimer ainsi ces sentiments qui m'honorent en toi... La vie, vois-tu, mon fils, est quelque chose de cher. Cependant, servir sa patrie, même au péril de sa vie, doit l'emporter toujours !" Et d'ajouter : "J'ai une foi inébranlable en la destinée de notre chère France. Rien ne la fera succomber et, s'il le faut pour qu'elle reste grande et fière de nos vies, eh bien, qu'elle les prenne ! Du moins, plus tard, nos jeunes frères et nos neveux seront fiers d'être français et ils pourront lever la tête sans honte en pensant à nous." Au-delà de cette citation, c'est bien l'histoire de l'Afrique et de la France qui se mêle. Pour l'honneur et la liberté. Contre la barbarie et le racisme. 

Histoire : tirailleurs, une mémoire vivante

VIDÉO. Après l'inauguration en novembre 2018 du Monument aux héros de l'Armée noire à Reims, hommage est à nouveau rendu aux combattants des Armées d'Afrique à l'occasion du 75e anniversaire du débarquement de Provence. Témoignages.

Par Esther Thwadi-YimbuModifié le 15/08/2019 à 11:38 - Publié le 13/11/2017 à 18:48 | Le Point.fr

Le 15 avril 2017, on a reparlé à nouveau des tirailleurs... ces anciens soldats africains ayant combattu sous le drapeau français. Car à la suite d'une pétition lancée par Aïssata Seck, petite fille de tirailleur sénégalais, réclamant l'attribution de la nationalité française pour ces anciens combattants, le désormais ex-président François Hollande décidait de « réintégrer » ces vétérans en leur accordant des titres officiels français. Et ce, près de soixante ans après la fin de leur enrôlement au sein de l'armée française... Que reste-t-il de leurs récits d'Indochine, de leurs nuits froides dans les montagnes d'Algérie ? Âgés de 86 et 89 ans, cette troisième génération de tirailleurs présente des souvenirs, intacts de leurs années de guerre.

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Une histoire chevillée au corps

Yoro Diao, 89 ans, nous reçoit dans sa coquette chambre du foyer Adoma. Le « doyen » des tirailleurs, à la voix claire, est rompu à l'exercice depuis sa récente médiatisation. Le vétéran commence, naturellement, à évoquer son enfance au Sénégal, à l'école française. Une scolarisation, interrompue par la Seconde Guerre mondiale, qui a vu ses enseignants français mobilisés dans l'Hexagone. À la fin de la guerre, le jeune garçon reprend ses études et enchaîne quelques petits boulots jusqu'au mois de mai 1951. Année décisive.

À tout juste 22 ans, Yoro Diao entre dans l'armée française par volontariat. Il intègre le 24e RTS, Régiment des tirailleurs du Sénégal. Après un stage en France, le jeune appelé fera ses premières armes en Indochine, en rejoignant le 24e régiment de marche en tant qu'infirmier-brancardier à Tonkin. Trente-six mois durant (au lieu de 24), il est éloigné de ses terres sénégalaises et de son Dagana natal. À peine cinq mois de congé plus tard que le sergent-chef prend de nouveau le bateau, direction : l'Algérie, au sein du 22e RIC, Régiment d'infanterie coloniale.

Au service des armées française et sénégalaise

À l'indépendance du Sénégal, Yoro Diao rejoint l'armée nationale durant vingt-six ans, après avoir servi la France durant dix ans. Sous la cadence des aiguilles de son horloge, Yoro Diao rythme ses souvenirs de guerre en faisant, par moments, quelques pauses, les yeux brillants. En évoquant l'Indochine, et ses allers-retours effectués sous le fracas des armes lourdes pour ramener les blessés et les morts, Yoro Diao répétera, par quatre fois, lors de son deuxième « baptême de feu », la centaine d'hommes tombés durant cette sombre année 1954. Comme une manière de ne pas oublier ses anciens compagnons...

Plusieurs fois décoré, par deux croix de guerre notamment, Yoro Diao a reçu la Légion d'honneur le 3 avril 2017. Une reconnaissance bienvenue pour l'ancien combattant, lui-même fils de tirailleur qui s'était engagé sous le drapeau français lors de la guerre 14-18.

JEUNE AFRIQUE - SPECIAL 60 ANS D'INDEPENDANCE

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En ce soixantième anniversaire de la décolonisation en Afrique subsaharienne, retour sur cette histoire riche, multiple et parfois oubliée.

Entre le 1er janvier (au Cameroun) et le 28 novembre 1960 (en Mauritanie), dix-sept pays africains, parmi lesquels une grande majorité d’anciennes colonies françaises, ont accédé à l’indépendance.

Soixante ans plus tard, il est difficile pour ceux qui n’ont pas vécu ces événements de mesurer la joie, l’émotion, l’enthousiasme et l’espoir gigantesque qu’ont pu susciter l’accession à l’indépendance, l’accès à la souveraineté et, pour reprendre les mots employés par le premier président tchadien, François Tombalbaye, « le droit de choisir sa propre voie, de figurer parmi le concert des nations, égal en dignité aux plus grandes ».

Derrière cette communauté de destins pourtant, les chemins empruntés ont été très différents, parfois même divergents. Quoi de commun, en effet, entre un Cameroun arrachant sa liberté les armes à la main et un Gabon dont le chef du gouvernement tenta jusqu’au bout de négocier pour son pays le statut de département français ? Entre une indépendance ivoirienne que Houphouët-Boigny voulut « exemplaire » et apaisée, une émancipation sénégalaise où les jeunes radicaux s’opposaient à leurs aînés, plus conciliants, et une accession congolaise à la souveraineté indissociable de la figure historique de Patrice Lumumba ? C’est cette histoire riche, multiple et parfois oubliée que Jeune Afrique vous raconte ici.

INDEPENDANCES AFRICAINES ET DECOLONISATION DES ESPRITS

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Indépendances africaines: où en est la décolonisation des esprits?

Publié le : 24/10/2020 - 07:08

Françoise Vergès est historienne et Antoine Glaser est politologue. Montage RFI

Texte par :Tirthankar ChandaSuivre

19 mn

Françoise Vergès (1) est historienne, chercheuse, titulaire de la chaire « Global South » à la Fondation Maison des sciences de l’homme, à Paris. Antoine Glaser (2) est politologue, journaliste spécialiste de l’Afrique. Ils sont auteurs de plusieurs ouvrages consacrés à des thèmes qui vont de la politique en Afrique aux questions liées à l’esclavage et la colonisation, en passant par les relations France-Afrique. Interrogé à l'occasion du 60e anniversaire des indépendances africaines, le duo évoque au micro de RFI les heurs et malheurs de l'Afrique postcoloniale ainsi que le bilan du processus de décolonisation qui reste un «  work in progress » (« travail évolutif  »). Entretiens croisés.

RFI : Les indépendances furent un moment de joie et de fête pour les populations africaines. Que sait-on de leurs attentes et de leurs espérances ?

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Antoine Glaser : Seuls les historiens qui ont travaillé sur cette période peuvent répondre à cette question. Et encore ! Peu de choses ont été écrites. Cela dit, il faut se resituer dans la démographie de l’époque, avec 3,5 millions d’habitants en Côte d’Ivoire (plus de 30 millions aujourd’hui, NDLR), 3,2 millions au Sénégal, 5,1 millions au Cameroun, pas plus de 500 000 habitants au Gabon… Dans tous ces pays avec une très faible urbanisation, la proclamation d’indépendance n’a souvent concerné que les cercles de l’administration, à l’exception des pays où des mouvements d’indépendance anticolonialistes étaient déjà structurés. Il semble toutefois qu’il y ait eu plus d’enthousiasme à cette indépendance dans les anciennes colonies britanniques et portugaises que dans les anciennes colonies françaises. Il suffit de lire les proclamations des chefs d’État du « pré carré » français en 1960 pour s’en convaincre. La plupart remercie la République française de sa générosité. Le plus caricatural est le président gabonais Léon Mba, qui exprime sa gratitude profonde au général de Gaulle, « champion de l’Homme noir et de la Communauté franco-africaine », dit-il. Une déclaration qui tranche avec celle du Congolais Patrice Lumumba, qui relève qu’il ne faudra jamais oublier que l’indépendance du Congo a été conquise par la lutte. Cette différence dans les réactions s’explique en grande partie par l’approche assimilationniste de la colonisation française qui avait fait miroiter l’idée d’une communauté de destins entre l’Afrique et la France. Cette idée avait été confortée par l’intégration de leaders africains dans la structure de pouvoir en France, avec notamment Senghor et Houphouët-Boigny siégeant dans le gouvernement français.

Patrice Lumumba, président du Conseil de la République du Congo, quitte l'aéroport d'Idlewild à New York le 24 juillet 1960, escorté par des policiers américains. L'indépendance du Congo a été proclamée le 30 juin 1960. AFP

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Françoise Vergès : Pour les populations africaines, l’indépendance marque la fin d’un système qui les réduisait à des êtres sous-humains, des sous-citoyens. Cette souveraineté durement acquise leur permet de se retrouver pleinement dans leur existence. On assiste, avec ces indépendances, à un renversement de la perspective selon laquelle il y aurait, d’une part, une humanité qui compte et, d’autre part, une humanité composée de sous-hommes qui ne compte pas, qu’on peut trafiquer, qu’on peut vendre, qu’on peut acheter. « Et maintenant, nous sommes là », proclamait Patrice Lumumba dans son discours lors de la cérémonie de l’accession du Congo à l’indépendance, le 30 juin 1960. C’est sans doute cette présence réaffirmée de l’Afrique qu’on avait si longtemps reniée et qu’on ne peut plus désormais effacer malgré le sang qui va couler et les turbulences postcoloniales qui donne sens au combat historique pour l’indépendance dans les pays colonisés.

La crise du Congo, qui a éclaté en 1960 dans la foulée de l'accession à l’indépendance de cette ancienne colonie belge, n’a-t-elle pas d’emblée démontré que cette décolonisation était tout sauf une libération ?

F.V. : Je distinguerais l’indépendance de la décolonisation, qui est un processus dont les débuts remontent aux premières luttes anticoloniales et à la prise de conscience qu’il faut en finir avec le colonialisme et le statut colonial. La décolonisation est un très long processus historique, culturel, qui touche la politique, mais aussi les domaines de l’économie, l’art, les langues... En Afrique, ce processus de la décolonisation est passé par des phases successives, notamment les conférences nationales, l’émergence des mouvements de la jeunesse et de la société civile. Le processus se poursuit aujourd’hui avec les revendications pour la décolonisation des esprits, des enseignements, des institutions et la demande d’une indépendance réelle.

A.G. : Chaque indépendance a eu sa particularité. Avec ses ressources minières exceptionnelles, l’ancien Congo belge a tout de suite été l’un des enjeux majeurs de la rivalité entre les États-Unis et l’Union soviétique. Sans vrais moyens, la Belgique a très vite été hors-jeu, en particulier après la sécession de la riche province du Katanga par Moïse Tshombe et l’assassinat de Patrice Lumumba le 17 janvier 1961. Après l’arrivée au pouvoir de Joseph-Désiré Mobutu, c’est la CIA américaine qui est à la manœuvre. L’opération franco-marocaine de Kolwezi en mai 1978 contre les « Katangais » soutenue par les Cubains était déjà une opération de «  guerre froide » pour empêcher les soviétiques d’avoir accès au cobalt congolais. Ceci dit, le maréchal Mobutu avait une certaine marge de manœuvre pour gérer le pays à sa guise. À la fin des années 1970, il a même laissé croire aux Zaïrois qu’ils étaient désormais totalement «  décolonisés » en lançant une opération de « zaïrianisation » : le franc congolais est remplacé par le « zaïre  », Léopoldville devient Kinshasa, suppression des noms chrétiens, l’abacost (« à bas le costume ») remplace le costume occidental, certaines mines sont nationalisées au profit du premier cercle du «  maréchal ». Au début des années 1980, Mobutu Sese Seko (Mobutu le guerrier) est l’un des hommes les plus riches de la planète.

Quels sont les principaux acquis des indépendances africaines ?

A.G. : Le premier acquis des indépendances africaines des années 1960 a été l’accès pour un certain nombre de pays à la gestion de leurs États. Mais c’est une indépendance limitée car, à peine sortie de la colonisation, l’Afrique est devenue un enjeu géostratégique entre les deux blocs : l’Est et l’Ouest. Les indépendances africaines ont été en grande partie octroyées sous la pression des deux vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis et l’Union soviétique. Au sortir de la guerre, les Américains et les Soviétiques ont fait pression sur les colonisateurs afin de pouvoir remplacer l’ordre colonial et installer rapidement un nouvel ordre mondial. Les Africains ont donc dû rapidement choisir leur camp entre puissances coloniales et poursuite d’une politique postcoloniale comme dans le « pré carré » français ou soutien soviétique à des mouvements de libération en contrepartie d’une zone d’influence. Dans un deuxième temps, l’acquis des indépendances africaines a été la solidarité entre mouvements de libération, comme entre l’Algérie et l’Afrique du Sud.

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F.V. : Les indépendances ont quand même transformé la carte du monde. Tout d’un coup, on a vu les pays africains prendre leur place à l’Assemblée générale de l’ONU. Ils ont fait entendre la voix de l’Afrique à la tribune du monde. Rétrospectivement, cela peut paraître un développement mineur, mais il ne l’est pas totalement, même si les voix des pays africains sont souvent instrumentalisées par les grandes puissances. Il n’en reste pas moins que la présence des États africains à l’ONU leur a donné une marge de manœuvre qu’ils n’avaient pas auparavant. Par ailleurs, sans les indépendances, il n’y aurait eu ni l’Organisation de l’Union africaine, devenue l’Union africaine depuis 2002, ni les organisations régionales qui, de l’aveu même des pays membres, jouent un rôle majeur dans l’évolution démocratique de l’Afrique. Et bien sûr, tout le travail autour de l’unité du continent, de l’abolition des frontières héritées du colonialisme, les solidarités Sud-Sud, n'aurait pas été possible sans la fin de la mainmise politique de l'Europe sur le continent.

On assiste aujourd’hui à la prise de conscience que la libération promise par les indépendances ne peut être effective sans la décolonisation des imaginaires, des savoirs et des cultures. Où en est-on dans ce combat ?

F.V. : On est plein dedans. Ce combat pour la décolonisation des esprits a gagné en ampleur ces dernières années grâce aux réseaux sociaux, des mouvements de jeunesse et de femmes qui favorisent la circulation des idées et des débats. Mais cette réflexion a commencé avec Aimé Césaire, Amilcar Cabral, Ngugi wa Thiong’o ou encore Frantz Fanon, qui ont lumineusement écrit sur ce sujet. Fanon a expliqué que le colonialisme ne se contente pas d’exploiter les corps, mais qu'il a aussi des effets psychiques sur les colonisé(e)s. Dans Peau noire, masque blanc, son livre incontournable sur cette thématique, Fanon rappelle qu’on ne peut se libérer de la dépendance coloniale uniquement en construisant une économie forte ou un État fort. Pour lui, le processus de libération coloniale passe aussi par la décolonisation de soi, c’est-à-dire le travail sur soi qui consiste à se débarrasser des complexes que l’Occident a mis dans la tête et les imaginaires des colonisé(e)s. Des féministes africaines, noires ou du Sud global, ont poussé plus loin cette réflexion en appelant à la décolonisation épistémologique ou des structures du savoir. Je cite souvent la fameuse phrase de la « queer » féministe noire états-unienne, Audre Lorde : « On ne détruit pas la maison du maître avec les outils du maître », qui résume bien cet effort qu'il nous faut faire. On a vu ce mouvement de décolonisation de l'esprit à l'œuvre dans les immenses manifestations d’étudiant(e)s en Afrique du Sud, mais aussi en Angleterre, autour de la campagne « Rhodes Must Fall », appelant à déboulonner la statue du colonialiste Cecil Rhodes. Ces questions occupent aussi une large place dans les romans, les films et les œuvres artistiques issues du continent.

A.G. : Il me semble que cette question de la décolonisation des esprits n’est encore d’actualité que dans les anciennes colonies françaises où une politique «  de dépendance dans l’interdépendance », selon la formule d’Edgar Faure, s’est poursuivie pendant toute la période postcoloniale, en particulier pour toute une génération qui a baigné dans la «  Françafrique  ». Au Nigeria, pays du Nollywood, bien loin d’une «  britannico-Afrique », la question ne se pose même pas. En Afrique du Sud, c’est surtout la décolonisation économique qui est en débat, pas celle des esprits et des cultures. Pour les intellectuels des pays francophones, tels que Felwine Sarr ou Achille Mbembe, l’enjeu consiste à sortir du dialogue étroit Afrique-France dans lequel l’évolution postcoloniale de leurs pays les ont enfermés. Ce qui les intéresse, c’est la perspective Afrique-Monde et pas France-Afrique.

Ils appellent à «  provincialiser l’Europe ». Comment comprenez-vous cette formule ?

A.G. : « Provincialiser l’Europe », c’est signifier que l’Europe n’est plus au centre du monde et surtout qu’elle n’incarne plus cette histoire universelle qui engloberait celle des Africains. D’où la création de mouvements intellectuels africains endogènes autour des Ateliers de la pensée à Dakar justement pour écrire «  l’Afrique-monde ». « Les Africains doivent se purger du désir d’Europe », insiste Achille Mbembe, fondateur de ces Ateliers avec l’écrivain Felwine Sarr. C’est intéressant de voir qu'Achille Mbembe et Felwine Sarr, tous les deux pensent trouver dans les universités américaines, au-delà des moyens matériels, une autonomie de travail qu’ils n’ont pas trouvée en Europe.

F.V. : Je comprends cette expression comme un appel à se constituer une autre épistémologie, une autre manière de voir le monde à partir du Sud et à partir de cette longue histoire qui précède l’histoire coloniale. Si l’esclavage et le colonialisme occidental font bel et bien partie de l’histoire africaine, ce n’est pas toute l’histoire. L’histoire de l’Afrique est faite d’échanges millénaires entre les villes de la côte est et l’Asie et le Moyen-Orient, elle est faite de circulation de textes et d’idées qui passent par Tombouctou et Al-Azhar, de relations géopolitiques Sud-Sud illustrées par les conférences de Bandung et la rencontre tricontinentale au XXe siècle. Tout cela définit d’autres cartographies dans lesquelles l’Europe est périphérique, voire  « provinciale ». Même si l’Europe se targue encore de posséder des forces militaires qui sont capables d’entraver la montée d’autres puissances, on ne peut pas ne pas noter que la centralité de l’Europe comme force épistémique est en train de s’amenuiser.

L’universalisme occidental semble être le principal ennemi à abattre dans ce combat pour la décolonisation des imaginaires. N’est-ce pas plutôt paradoxal de vouloir rejeter l’humanisme universel occidental, alors que les combats contre l’oppression coloniale ont été inspirés justement par la pensée universaliste des Lumières ?

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F.V : L’universalisme énoncé par les penseurs occidentaux n’a jamais existé en pratique à cause de la séparation de l’humanité entre Blancs et Noirs, entre ce que je qualifiais de « ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas ». L’Europe a bâti sa supériorité sur un « privilège blanc » fondé sur l’exploitation des hommes et femmes des autres continents, sur le pillage de leurs ressources et leurs imaginaires. L’universalité à laquelle aspirent aujourd’hui les intellectuels non occidentaux passe par la suppression de ce privilège blanc et l’égalité réelle de tous les êtres humains. Ces promesses d’égalité et d’universalité faisaient déjà partie des idéaux qui animaient les révolutionnaires haïtiens du XVIIIe siècle. On a oublié que la révolution haïtienne fut une des plus grandes révolutions du monde, parce qu’elle fut anticoloniale, antiraciale et anti-esclavagiste. Elle fut aussi la seule révolution à tenir ses promesses en instituant une citoyenneté ouverte fondée sur des valeurs modernes d’intégration et non d’exclusion. Ni les révolutionnaires français, ni les Américains ni les Anglais ne réussirent à tenir leurs promesses de l’universalité.

A.G. : Force est de reconnaître qu’il y a souvent eu un décalage entre la proclamation de l’universel par l’Occident et sa défense des intérêts nationaux, patriotiques. La pensée universaliste des Lumières a été très largement dénaturée par les actions politiques sur le terrain qui avaient pour but de perpétuer la domination coloniale et postcoloniale.

On a assisté, ces dernières années, à l’intensification des campagnes demandant que les statues des anciens esclavagistes et coloniaux honorés soient déboulonnées et que les œuvres d’art pillées dans les pays colonisés soient rendues. Au-delà de leur valeur symbolique, ces actions permettraient-elles de réparer l’Histoire ?

A.G. : Selon moi, le renversement de la statue de Cecil Rhodes, colonialiste anglais qui a donné son nom à la Rhodésie avant qu’elle ne soit rebaptisée Zimbabwe en 1980, n’a de sens que s’il s’accompagne d’un véritable travail des historiens de ce pays sur la décolonisation. Quant à la restitution des œuvres d’art pillées, elle demeure à ce jour largement une affaire symbolique franco-africaine. Aucun dirigeant africain n’en a vraiment fait jusqu’à présent son cheval de bataille au nom d’une Afrique soucieuse de retrouver ses racines et sa culture. Ainsi, le futur musée d’Abomey, qui doit accueillir les 26 œuvres qui seront retournées au Bénin, sera largement financé par le contribuable français via l’Agence française de développement (AFD). Il me semble que pour les jeunes Africains, la démarche serait plus crédible si leurs pays respectifs s’emparaient de la question plutôt que de laisser l’initiative aux anciennes puissances coloniales comme la France.

F.V.: Le déboulonnement des statues et la restitution des œuvres d’art pillées ne sont pas seulement des démarches symboliques. Ils sont en effet liés à une politique de réparation de l'Histoire qui a été à peine entamée et à laquelle l’Occident résiste avec toute sa force. Le pillage du continent africain, que ce soit dans le domaine des artefacts ou des matières premières, a été absolument massif. Les arguments avancés par les puissances occidentales pour refuser la restitution des œuvres d’art font preuve d’une mauvaise foi flagrante, empreinte de racisme. Or, c’est d'une part en déboulonnant des statues des chefs coloniaux qui ont torturé, massacré, humilié les colonisés qui s'étaient opposés à leur force brutale, et d’autre part en rendant aux pays d’origine les œuvres d’art qui leur reviennent de plein droit, qu’on peut réellement exorciser le passé esclavagiste et colonialiste des pays européens et faire progresser cette décolonisation des imaginaires à laquelle appelait Frantz Fanon.

Dans vos parcours personnels, à quel moment êtes-vous devenus sensibles à cette indispensable décolonisation des imaginaires et de l’esprit ?

A.G. :  Au cours de mes études de sociologie et d’ethnologie, il m’est très vite apparu que la réalité sociale et l’extraordinaire richesse de l’imaginaire sur ce continent étaient totalement niées ou ignorées. La complexité des systèmes de parenté et de valeurs communautaires m’a très vite intrigué et passionné. Un intérêt pour ce qui se passait de l’autre côté du miroir qui m’a beaucoup aidé plus tard dans mon travail de journaliste.

F.V. : Ce sont sans doute les injustices incroyables perpétrées sur fond de racisme et d’affirmation de supériorité que j’ai pu voir de mes propres yeux en grandissant à La Réunion dans les années 1950-1960 qui m’ont rendu sensible à cette question. La Réunion était une ancienne colonie esclavagiste et ce passé se sentait dans les rapports de force entre l'État et la population, cela se sent encore. Quand l’esclavage a été aboli, le pouvoir colonial a fait venir de Madagascar, de la côte est de l’Afrique, du sud de l’Inde et de la Chine, une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci. Le pouvoir économique et de l’État était aux mains d’une petite élite blanche. Celle-ci avait institutionnalisé l’exploitation et le racisme sur lesquels était fondée la prospérité de l’île. Mes parents, qui étaient des militants anticolonialistes, nous autorisaient à passer de temps en temps quelques jours avec des familles de la classe populaire qu’ils connaissaient ou dont ils étaient devenus amis. C’étaient ces expériences de vie qui m’ont sensibilisée à la condition coloniale et raciale, même si à l’époque, comme j'étais encore très jeune, je ne comprenais pas tous les enjeux. Plus tard, chemin faisant, les lectures, le cinéma, les rencontres m’ont permis de faire sens de ce vécu. C’est à La Réunion que j’ai compris qu’il fallait toujours écouter les plus vulnérables, les plus fragilisés, qu’il fallait combattre racisme et colonialisme sous toutes leurs formes.

 

(1) Féministe et spécialiste des questions liées à la traite négrière, Françoise Vergés est auteure de plusieurs livres. Son dernier ouvrage s’intitule Le Ventre des femmes (Albin Michel, 2017).

(2) Antoine Glaser est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les relations franco-africaines. Il a publié en 2017 Africa France : quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu (Pluriel).

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Achille Mbembe : « Emmanuel Macron a-t-il mesuré la perte d’influence de la France en Afrique ? »

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Jeune Afrique - 27 novembre 2020

Par  Achille Mbembe

Historien et politologue camerounais.

Des intellectuels africains répondent à Emmanuel Macron (1/3). Suite à l’interview accordée par le chef de l’État français à Jeune Afrique, le 20 novembre, plusieurs intellectuels ont souhaité lui répondre. Jeune Afrique a choisi de publier trois de leurs contributions.

Celles et ceux qui ont eu l’opportunité d’échanger avec le président Emmanuel Macron au sujet de la politique française en Afrique auront été frappés par sa pugnacité et sa vivacité d’esprit. Sa longue interview accordée à Jeune Afrique en aura cependant laissé perplexe plus d’un, en particulier celles et ceux qui étaient disposés à lui accorder le bénéfice du doute. Les sceptiques, en revanche, crient victoire. Dès le début, ils ont dénoncé l’effort consistant à faire passer une révision en profondeur des rapports franco-africains ce qui, à leurs yeux, n’était qu’une simple opération marketing.

À LIRE Exclusif – Emmanuel Macron : « Entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour »

Comment leur donner entièrement tort ? Flagrante absence d’imagination historique en effet. Aucune parole politique de poids. Pas un seul concept. À parcourir rapidement ces pages, l’on en ressort avec la ferme impression que la France n’aspire qu’à une chose, sur un continent dont elle s’accorde pourtant à reconnaître le rôle vital au cours de ce siècle. Faire de l’argent.

Cynisme et raison d’État

Mieux, faire de l’argent à la manière de la Chine et de son impérialisme froidement prédateur. La Chine, ce nouveau venu que l’on présente volontiers comme un repoussoir de jour, mais que l’on ne peut s’empêcher d’admirer à la nuit tombée, le dragon qui pille gaiement, et qui, sans s’encombrer d’on ne sait quelle mission civilisatrice, oblige les Africains à gager leurs sols, sous-sol et autres biens et à tout vendre, dans l’espoir de s’acquitter de colossales dettes dont le gros des montants aura été détourné par des élites vénales.

À LIRE « À bas la France ! » : enquête sur le sentiment anti-français en Afrique

Caricature ? À peine. Étonnement? Pas davantage. En maints endroits du monde, le libéralisme se conjugue désormais au nationalisme et à l’autoritarisme. Très peu d’États ou de régimes peuvent aujourd’hui mettre le poids d’une conduite exemplaire dans les remontrances qu’aux autres ils veulent faire. Pourquoi, dans la nouvelle course pour le continent, la France se priverait-elle d’avantages auxquels ses concurrents n’ont guère renoncé ?

IL SOUHAITE QUE SON PAYS FASSE PREUVE DU MÊME VIRILISME SANS QUE NE LUI SOIT RENVOYÉ À LA FIGURE SON PASSÉ COLONIAL

Emmanuel Macron souhaite que le France fasse preuve du même virilisme sans qu’à tout bout de champ ne lui soit renvoyé à la figure son passé colonial. Ou que lui soient chaque fois rappelés ses hypothétiques devoirs en matière de défense de la démocratie, des droits humains et des libertés fondamentales. Après tout, si les Africains veulent la démocratie, pourquoi n’en paient-ils pas eux-mêmes le prix ?

Prenons donc acte du fait que, constamment, le rapport des chefs d’État de la Ve République avec l’Afrique aura été avant tout motivé par des intérêts militaro-commerciaux. Dans ce domaine, ni l’âge ni l’écart générationnel ne jouent aucun rôle, sauf peut-être idéologique, comme aujourd’hui. Les sentiments non plus, qu’ils soient d’amour, de haine ou de mépris. Seule compte la raison d’État, c’est-à-dire un ou deux juteux contrats grappillés ici et là.

Vertigineuse perte d’influence

Si, dans ce monde de larcins, calcul froid et cynisme prévalent, qu’est-ce qui distingue donc Emmanuel Macron de ses prédécesseurs ? A-t-il, mieux qu’eux, pris l’exacte mesure de ce qui se joue effectivement, à savoir la vertigineuse perte d’influence de la France en Afrique depuis le milieu des années 1990 ? Que certains s’en désolent tandis que d’autres s’en réjouissent importe peu. Dans un cas comme dans l’autre, l’on a bel et bien atteint la fin d’un cycle historique.

La France ne dispose plus des moyens de ses ambitions africaines, à supposer qu’elle sache encore clairement en quoi celles-ci consistent. Étrangement, tant du côté africain que du côté français, le fantasme de la puissance persiste. Les uns et les autres continuent de penser et d’agir comme si la France pouvait encore tout se permettre sur un continent lui-même affaibli par plus d’un demi-siècle de gérontocratie et de tyrannie.

LE FRANC CFA N’EST TOUJOURS PAS ABOLI. LES RÉGIMES CORROMPUS NE CESSENT D’ÊTRE PLACÉS SOUS RESPIRATION ARTIFICIELLE

À sa manière, le président français a tenté d’infléchir le cours des choses. Mais il s’est bien gardé de débusquer le fantasme alors que c’est le fantasme qu’il faut liquider. Cherchant à relever le niveau d’attractivité de son pays, il s’est attaqué en priorité aux perceptions et a ouvert quelques chantiers peu coûteux, mais susceptibles de rapporter de beaux dividendes symboliques. Ainsi du projet de restitution des objets d’art conservés dans les musées français. Ainsi également de la Saison Africa 2020, dont plus de 50 % du budget provient de fonds publics, mais qu’il se gardera curieusement d’inaugurer lui-même tel que l’aurait voulu la tradition.

Entretemps, le Franc CFA n’est toujours pas aboli. Bien qu’usés, les régimes violents et corrompus ne cessent d’être placés sous respiration artificielle. Les opérations militaires se succèdent, même si, pour l’heure, elles se soldent surtout par une interminable métastase des groupes jihadistes et autres cartels de trafiquants et caravaniers.

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Avec ses milliers de soldats présents sur divers théâtres africains, l’armée est devenue, avec l’Agence française de développement, le principal pourvoyeur et consommateur de discours et de récits que des représentations françaises concernant le continent. Pour le reste, gestion des risques, notamment migratoires, et management à distance suffiront, pense-t-on.

A-t-on véritablement pris la mesure des contradictions qui ne cessent de s’accumuler ? Comment peut-on vider un contentieux dont on s’évertue à nier l’existence ou à minimiser l’importance ? A-t-on compris que loin d’être transitoire, le discrédit dans lequel la France est tombée est un phénomène structurel et multi-générationnel et non point le résultat de l’envoûtement victimaire de quelques ex-colonisés ?

Thèses anti-décoloniales

Aucun de ces défis n’étant pris à bras le corps, il n’est guère surprenant que les gestes qu’Emmanuel Macron prend pour de franches ouvertures dans un débat qu’il voudrait dénué de tabous, ouvert et « décomplexé » ne suscitent que peu d’intérêt chez celles et ceux auxquels il aimerait s’adresser.

Que sur des questions pourtant essentielles il se trompe souvent de diagnostic ne fait qu’aggraver les incompréhensions. Que gagne-t-on, par exemple, à plaquer des querelles franco-turco-russes sur le différend franco-africain ? Que dire des propos concernant la colonisation, cet autre aspect du litige ? Se méprendrait-on tant sur la nature exacte des rapports entre l’histoire et la mémoire, au point de prendre l’une pour l’autre, si le nécessaire travail de réflexion en amont avait été accompli et l’expertise en la matière mise à contribution ? Affirmer au Nord que la colonisation fut un « crime contre l’humanité » et au Sud qu’il s’agissait avant tout d’une « faute », c’est faire un pas en avant afin de mieux en faire deux en arrière.

ON PRÉFÈRE S’APPUYER SUR UNE MOUVANCE IDÉOLOGIQUE QUI A FAIT DE LA PEUR DE L’ISLAM SON FONDS DE COMMERCE

L’on serait tenté de passer outre de telles vétilles si elles ne révélaient pas la structure d’une pensée de l’Afrique dont les ressorts profonds sont à chercher du côté des thèses anti-décoloniales en vogue dans les milieux laïcistes et de la droite conservatrice. Alors que la France compte des experts de l’Afrique parmi les plus réputés au monde, l’on préfère s’appuyer sur une mouvance idéologique qui a fait de la peur de l’islam son fonds de commerce et du spectre du « communautarisme » sa vache à lait.

Comment comprendre autrement la démarche qui consiste à rabattre tous les déboires de la France en Afrique sur un prétendu panafricanisme de mauvais aloi dont on ne nous explique pas pourquoi il serait davantage dirigé contre cet ancien colonisateur plutôt que contre tous les autres ?

À LIRE [Tribune] Emmanuel Macron, l’islam et les risques d’amalgames

Prétendre en outre que la critique du racisme fait le lit du « séparatisme » vise peut-être à donner quelques gages aux idéologues de la droite conservatrice, voire de l’extrême-droite et aux nationalistes de tous bords. Mais hors-l’Hexagone, de telles affirmations ne sont pas seulement incompréhensibles. Elles font fi de l’apport intellectuel des Africains et de leurs diasporas au discours universel sur l’émancipation humaine et n’aident en rien à l’analyse et la compréhension des enjeux franco-africains contemporains.

Une parole à peine audible

En réalité, la France et les tyrans africains qu’elle aura soutenu à bout de bras depuis 1960 sont les premiers responsables de son discrédit auprès des nouvelles générations. Le cycle néocolonial ouvert par le Général de Gaulle lors de la Conférence de Brazzaville en 1944 aura fait long feu. Mis en pratique dans la foulée des décolonisations formelles, il est à bout de course. Il a perdu ses principaux ressorts au sortir de la guerre froide, lorsque la France a livré ses « provinces africaines » pieds et poings liés aux diktats des institutions de Bretton-Woods et a entamé son propre tournant néolibéral.

Sans nécessairement brûler les vaisseaux, l’ancienne puissance tutrice n’a eu de cesse, depuis lors, de se dessaisir elle-même de ses principaux atouts sur le continent, libérant au passage des dynamiques de désapparentement qu’elle ne parvient plus à juguler. La hausse des frais universitaires pour les étudiants étrangers, dont près de 45 % venaient d’Afrique, en est une frappante illustration. Au même moment, la Chine en accueille près de 80 000.

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Rien, pour le moment, n’indique que l’hémorragie ait été stoppée au cours des quatre dernières années. Au contraire, le tableau est plus que jamais contrasté. Si parole politique il y a, elle est à peine audible. Analyse et prévision sont tombées dans la besace des corps expéditionnaires. Le Conseil présidentiel pour l’Afrique agit davantage comme une organisation non gouvernementale que comme un foyer de réflexion prospective.

Le choix des diasporas comme bras civil d’une croisade pro-entreprise ne semble reposer sur aucune réalité sociologique avérée. Au contraire, il risque d’aviver la course aux rentes et les penchants affairistes là où la priorité devrait être au renforcement des capacités culturelles et sociales des communautés et à la protection des libertés fondamentales.

Transformer l’imaginaire africain

Il se pourrait qu’aux générations d’aujourd’hui et de demain, la France n’ait finalement rien d’autre à proposer qu’un bon vieux pacte. Les Africains s’engageraient à oublier volontairement le passé colonial. À la place, ils cultiveraient assidûment un nouvel ethos, l’amour des affaires et une passion du lucre prestement rebaptisées au fronton de l’« entreprenariat » et du militarisme.

LE CAPITAL SOCIAL, INTELLECTUEL ET ÉCONOMIQUE DE LA FRANCE EN MATIÈRE AFRICAINE EST EN PASSE D’ÊTRE DILAPIDÉ

Tel n’est toutefois pas le seul chemin possible. Emmanuel Macron en est lui-même persuadé, pour que change le paradigme, il ne suffit pas de modifier le style. Il faudra reconstituer de véritables capacités d’analyse historique et prospective. Il faudra surtout, alors qu’ils sont tentés de se recroqueviller sur eux-mêmes, transformer en profondeur l’imaginaire africain des Français. Un tel travail politique et culturel de long terme ne peut se faire qu’indépendamment des contraintes du calendrier électoral.

De tous les pays européens, la France dispose du capital social, diplomatique, intellectuel, artistique, économique et scientifique le plus riche en matière africaine. De mille et une bonnes volontés également. Que l’on en arrive à un point où le mirage chinois, affairisme mâtiné d’autoritarisme et de militarisme, constitue la seule alternative offerte aux générations africaines montantes montre avec quelle force ce capital multiforme est en passe d’être dilapidé, et l’imagination historique émasculée.

ISLAM, TERRORISME, BLASPHEME ET LIBERTE D'EXPRESSION

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Pourquoi l'islam interdit les attentats

INTERVIEW. Comme le rappelle le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, d'après le Coran, le musulman est détruit par le mal qu'il commet.

Propos recueillis par Catherine Golliau - Publié le 22/12/2016 à 06:37 | Le Point.fr

Souleymane Bachir Diagne est philosophe et professeur à l’université de Columbia, auteur, entre autres, de Comment philosopher en islam (Éditions du Panama, 2008). © Photo Antoine Tempé

Le Point.fr : « Musulman » signifie en arabe « soumis » : le croyant se soumet au Dieu unique et tout-puissant. Comment peut-il disposer d'un libre arbitre ?

Souleymane Bachir Diagne : La sourate 2 du Coran est claire à ce sujet : l'humain est le seul être capable de troubler l'ordre établi, parce que Dieu a voulu le créer libre. Le récit de la création en islam est en effet très différent de celui que nous livre la Genèse dans la Bible. Dans cette sourate, Dieu prévient les anges qu'il va se donner un représentant sur terre. Ces derniers s'inquiètent qu'il veuille établir sur terre un lieutenant, un calife. Ne va-t-il pas faire advenir le mal et le sang ? Mais Dieu leur répond : « Je sais que vous ne savez pas. » Et il passe outre. En fait, il crée un fauteur de troubles. Il le fait libre, et cette liberté fait advenir le mal. La conséquence de cette création sera notamment la rébellion d'Iblis, un ange qui refuse de se prosterner devant l'homme et qui dit à Dieu : « Je suis meilleur que lui. Tu m'as fait de feu, et lui d'argile. » Il est le Satan de l'islam, celui qui n'aura de cesse de tenter l'humain pour le faire chuter.

Mais comment se définit le mal en islam ? Est-ce, comme dans le cas d'Iblis, se révolter contre la volonté de Dieu ?

Si l'on se fonde sur le Coran, faire le mal, c'est se faire du tort à soi-même. En arabe, on dit dhulm nafs, faire du tort à son âme. Quand Adam et Ève ont désobéi à Dieu et sont chassés du paradis, ils se repentent et disent : « Seigneur, nous nous sommes fait du tort à nous-mêmes. » En islam, le mal que l'on fait à l'autre nous détruit parce qu'il annihile l'humanité que nous portons en nous. Pour le sage soufi Tierno Bokar, « toute chose retourne à sa source ». Le mal se retourne toujours contre celui qui l'a commis. L'analyse philosophique que j'en fais, et je me place pour cela dans la lignée du grand penseur indien Mohammed Iqbal, est que le mal nous fait oublier qui on est, et donc oublier notre relation à Dieu. De fait, être musulman peut se résumer par trois dimensions : d'abord avoir la foi, iman, en Dieu, son message – le Coran –, et son œuvre – la création. Ensuite, avoir le respect de ce qui fait de soi un musulman. Enfin, l'excellence de caractère, ihsan, en arabe. Dans un hadith célèbre, Mohammed dit : « Adorer Dieu comme si on le voyait en sachant que si on ne le voit pas, lui nous voit. » Il faut agir en ayant constamment la conviction que l'on est en face ou sous le regard de Dieu. Ce qui implique que si l'on vit pleinement sa foi en l'islam, il y a des choses que l'on ne fait pas.

Quel est le rôle de la Loi, la charia ?

Elle définit les bonnes pratiques. Mais c'est un mot valise au sens très étendu. Le Coran ne le cite même pas. Aujourd'hui, elle désigne le comportement que doit suivre le bon musulman tel que l'ont défini au cours des siècles des juristes en se fondant sur le Coran, les hadiths, c'est-à-dire les mots et les gestes du prophète Mohammed et de ses compagnons les plus proches. Ce n'est pas elle qui définit les valeurs éthiques. Celles-ci relèvent d'un humanisme fondé sur la dignité de l'homme, dont le Coran est la base. Comme le dit le verset 30 de la sourate de la Vache, Dieu a créé l'homme pour qu'il soit son « calife », c'est-à-dire son lieutenant sur terre. Le mot « calife » est très fort. Et c'est d'ailleurs la seule référence au califat qui soit présente dans le Coran. L'humain est le lieutenant de Dieu, il tient la terre pour lui. Il est responsable de la création de Dieu. C'est là sa dignité et une responsabilité énorme. C'est donc à partir de cette responsabilité que l'on définit le bien et le mal. Je conseille à tous la lecture du philosophe autodidacte andalou (Hayy Ibn Yaqdhan) d'Ibn Tufayl, du XIIe siècle, qui aurait, dit-on, inspiré Daniel Defoe pour son Robinson Crusoé.

L'histoire d'un enfant sauvage ?

Oui, C'est l'histoire d'un jeune garçon qui, seul sur une île déserte, doit découvrir le monde par lui-même. Il va pour cela développer sa capacité de déduction de manière quasiment scientifique. Mais pour survivre, il doit manger des plantes et des animaux et donc détruire la nature. C'est l'occasion pour lui de prendre conscience non seulement de la grandeur et de la beauté de cette nature, mais aussi de sa responsabilité vis-à-vis de la création voulue par Dieu. Ce qu'il prend, il doit le rendre, d'une manière ou d'une autre. L'homme ne fait que participer à la création, dont il est le gardien.

Les actes du musulman ne sont-ils pas divisés entre ce qui est haram, autorisé, et halal, interdit ?

Contrairement à ce que l'on pense trop souvent, l'islam n'est pas un code, ce n'est pas une religion qui se définit par des pratiques autorisées ou non. Il suffit de lire Le Livre du licite et de l'illicite, le fameux ouvrage d'Al Ghazali, l'un des plus grands théologiens de l'islam, pour se rendre compte que le sujet est beaucoup plus compliqué que l'établissement d'une simple liste de pratiques. Aujourd'hui que sévit une vision rétrécie de l'islam, motivée par une affirmation identitaire et tribaliste, ces notions de licite et d'illicite s'appliquent à tout et n'importe quoi. Or cela ne repose sur rien. Certes, le Coran parle de « licite », mais c'est uniquement pour la nourriture. Et sont considérés comme « licites » les mets sur lesquels le nom de Dieu a été prononcé. Il ne dit rien de plus. Longtemps, les musulmans qui vivaient en Europe ont mangé de la viande « cachère » faute de pouvoir manger de la viande « hallal ». Et le grand mufti égyptien Mohammed Abduh, au début du XXe siècle, n'a pas hésité à considérer comme licite la nourriture tuée dans le monde chrétien selon les rites chrétiens. Le fondamentalisme, notamment salafiste, nie la fluidité juridique de l'islam telle qu'elle a été élaborée au cours des siècles par ses écoles juridiques. Les fondamentalistes veulent aujourd'hui figer cette jurisprudence au mépris des intérêts de l'homme. Or, comme le rapporte un hadith, Dieu a dit : « Nous avons ennobli les enfants d'Adam. » Cette idée de la noblesse de l'être humain, qu'il soit homme ou femme, est essentielle en islam. Celui qui sauve une vie sauve l'humanité. L'homme est au centre de la création, tout doit être fait pour son bien. Ceux qui réduisent l'islam à des pratiques qui nient l'humain ne font que l'instrumentaliser.

S'il fallait définir l'islam par un mot, pourrait-on dire que c'est la religion de la responsabilité, quand le christianisme, par exemple, se définit par l'amour du prochain ?

L'islam n'est pas moins une religion de l'amour qu'une autre. Le grand mystique Rûmi, à l'origine des derviches tourneurs, a dit : « Ma religion, c'est l'amour. » Mais vous avez raison en disant que c'est une religion de la responsabilité par rapport à la création de Dieu. Et c'est même une responsabilité très grande, qui n'a vraiment rien à voir avec l'islam d'Internet.

Le Point Références "Le bien et le mal" est vente en kiosque pendant deux mois, ou disponible dans notre boutique. 7,50 euros.

Souleymane Bachir Diagne est philosophe et professeur à l'université de Columbia, auteur, entre autres, de Comment philosopher en islam (Éditions du Panama, 2008), L'Encre des savants : réflexion sur la philosophie en Afrique (Présence africaine, 2013) et, avec Philippe Capelle-Dumont, de Philosopher en islam et christianisme (Cerf, 2016).


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Caricaturer le prophète ? Ce qu’en dit le Coran, ce qu’en font les hommes ...

L’historienne et anthropologue Jacqueline Chabbi, grande spécialiste des origines de l’islam, explique comment la figure de Mahomet est piégée entre caricatures et images saintes.

Par Jacqueline Chabbi (Historienne)

Publié le 14 novembre 2020 à 18h00

Temps de lecture 6 min

Représentation de la monture miraculeuse qui permet à Muhammad de visiter les cieux lors du Mi’râdj, le voyage céleste. Ce voyage est inventé dans la tradition musulmane postérieure au Coran mais connaît un grand succès jusqu’à l’époque moderne. Cette image a été publiée à Tunis par la librairie al-Manâr, probablement au début du XXe siècle.

En tant qu’homme, celui que le monde musulman considère comme un prophète est mort en 632 de l’ère commune soit au début de l’an 11 de l’hégire. Alors, face à ceux qui prétendent défendre une figure qu’ils sacralisent et qui se clament choqués lorsqu’ils sont mis en présence d’un dessin de presse, il peut être important de revenir au cadre de vie historique de celui qu’ils veulent venger.

Peut-on comparer Yahvé et Allah ?

Le Coran connaît effectivement une notion que l’on pourrait, à première vue, assimiler à « l’offense ». Ainsi est-il question de ceux qui s’en prennent (verbalement), yu’dhûn, à celui que le Coran nomme soit le Prophète (al-nabî) soit le Messager d’Allâh (rasûl Allâh), comme dans la sourate IX, verset 61 et la sourate XXXIII, verset 57. Il s’agit donc bien de Muhammad. A ceux qui font cela, donc aux contemporains de Muhammad qui le contestent, le Coran promet un « tourment douloureux », ’adhâb alîm.

Le châtiment dans les seules mains d’Allah

Certains, aujourd’hui, croient manifestement qu’un tel passage peut les conduire à armer leur bras pour appliquer eux-mêmes le châtiment promis. Il n’en est évidemment rien. C’est un total contresens sur le texte sacré dont ils se réclament. Dans le Coran, le tourment désigné par le terme ’adhâb est dans la main du divin et de lui seul. Il n’y aucune ambiguïté à cet égard. Aucun homme n’est en mesure de s’en attribuer l’exécution. Il s’agit en outre d’une menace qui est le plus souvent de type eschatologique, comme dans les versets signalés, ou alors il est question des légendes de peuples disparus ou de cités détruites (sourate XVIII, v. 59), dans la disparition et la destruction desquels le Coran voit la main de son dieu, qui serait ainsi en capacité d’exercer sa vengeance en ce monde.

De la difficulté de dessiner Mahomet

Mais il y a beaucoup plus significatif encore si on interroge le Coran à partir des mots de son texte et de leur valeur d’usage dans la société de Muhammad, au VIIe siècle, en Arabie. Le mot que l’on peut comprendre aujourd’hui comme l’« offense » et qui serait passible du tribunal est représenté dans la société du Coran et dans le Coran lui-même comme un « dommage », adhâ. Mais dans la mesure où ce dommage reste dans l’ordre de la parole, même s’il s’agit d’une insulte – comme c’est le cas dans CVIII, 3 ou LXIII, 8 –, ce dommage n’entraîne aucune sanction. Dans ce cas, il est simplement conseillé de pratiquer le tawakkul, autrement dit la « remise » au divin qui saura, lui, punir comme il se doit (XXXIII, 48 ; XIV, 92). Dans la société du Coran, ce que l’on pourrait appeler le dommage moral n’était donc pas sanctionnable. Tout au plus pouvait-on répondre sur le même ton, notamment par l’intermédiaire de la poésie satirique, qui était l’un des arts les plus prisés dans la société de l’époque.

L’indifférence ou la caricature en retour

Si donc on transpose cette disposition du Coran dans les conditions d’aujourd’hui, cela reviendrait à dire qu’à la caricature jugée insultante ne peut répondre que l’indifférence ou alors une caricature en retour. En revanche, il en allait tout autrement du dommage physique qui entraînait blessure ou mort. Dans ce cas, que l’acte soit intentionnel ou non, c’était le qisâs qui s’appliquait, autrement dit la règle de compensation du dommage dite aussi loi du talion, à moins qu’un arrangement puisse être trouvé entre les parties, ce que recommande d’ailleurs le Coran (sourate II, v. 178-179 ; sourate V, v. 45). Telles étaient les règles de sagesse et de pragmatisme de cette société du passé qui était aussi celle du Coran. On tenait plus que tout à y préserver la vie.

Le Coran, les femmes et l’Arabie du VIIe siècle

Comment donc en est-on arrivé là aujourd’hui, dans le monde musulman, mais aussi en dehors de lui ? Comment, quand il est question d’islam, au fantasme des uns pouvant jusqu’à conduire au crime répond l’invective ou le jugement de valeur pontifiant des autres ? On est ici face à un problème de représentation du passé. Dans le monde musulman, du fait de contingences historiques diverses, la représentation manipulée du passé amenant à en sacraliser les figures est devenue un enjeu du présent. Mais alors qu’en dehors du monde musulman, nous ne souffrons pas du même handicap idéologique, et que ce qu’on appelle l’histoire critique des textes pourrait s’écrire, nous sommes fort loin du compte. Pour le réaliser, il suffit d’observer notre propre usage des mots qui est bien loin de ce qu’il devrait être pour se donner une vision rationnelle et objective de ce qu’on nomme islam.

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Caricature négative et positive, deux images fausses du passé

Mahomet, en arabe Muhammad, est ordinairement désigné comme « le Prophète de l’islam ». Cette désignation qui va de soi dans le discours courant, se retrouve le plus souvent de la même façon dans les écrits savants, y compris ceux qui s’inscrivent dans le registre historique. Faisant cela, on ne se rend pas compte qu’on ne fait que produire une formulation de type idéologique. Désigner d’emblée un homme du passé comme « prophète », c’est déjà le confondre avec une figure qui n’est plus tout à fait humaine en tant qu’elle est reliée à la surnature et au divin. On pourrait dire à ce compte que l’image qui attribue à un homme un surplus de sainteté ou de sacralité constitue par rapport à son statut humain une caricature positive.

Le terme caricature renvoie en effet étymologiquement à ce qui « charge » et « leste de poids ». Il s’emploie ordinairement pour désigner une charge négative. La caricature en dessin consiste en effet à exagérer les traits d’un personnage en produisant une déformation qui veut prêter à rire, voire à ridiculiser. Mais, en fait, du négatif au positif, le processus est le même, celui d’un ajout et d’une transformation du réel dans la représentation qu’on en donne. On pourrait donc faire le parallèle entre l’image caricaturale négative et celle qui, à l’inverse, cherche à représenter un surcroît de vertu et de beauté. Au lieu de prêter à rire voire à dénigrer, l’image surchargée de positivité donne à admirer voire à adorer. Elle tend à s’inscrire dans un processus de sacralisation. C’est le cas de la représentation visuelle, celle de l’image sainte comme de l’icône. Mais, d’une façon plus générale, c’est aussi le cas de la figure construite dans le discours, celle qui finit par s’imprimer dans l’imaginaire collectif pour produire une représentation commune. C’est à ce type de représentation que l’on a affaire dans le monde musulman d’aujourd’hui autour de la figure du Prophète. On se mobilise en foule autour de la représentation d’une figure positive partagée que l’on dit offensée par l’image inverse de caricatures de presse qui sont produites dans des pays où cette expression publique de dérision est permise.

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On ne peut offenser ni une figure ni une image

Pourtant, si on peut offenser un homme, on ne peut offenser ni une figure ni une image. Aujourd’hui, un homme peut en effet répondre de diverses façons à l’offense qui lui est faite. Il peut le faire en s’en prenant lui-même à celui qui l’offense ou aller devant les tribunaux pour réclamer justice. Par contre, cette action que peut mener un homme vivant, une figure ne le peut pas. Elle est de l’ordre de la représentation mentale oralisée dans un discours, ou pour l’image, de l’ordre de la représentation visuelle. L’homme vivant et la figure ne sont donc pas sur le même plan. En parlant d’offense à la figure du Prophète, aussi adulé soit-il, on est donc clairement dans l’abus de langage. J’avoue être particulièrement étonnée que l’on s’en rende aussi peu compte en tant qu’humains doués de raison et formés depuis maintenant plusieurs siècles à la lecture éclairée des textes.

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Jacqueline Chabbi, bio express

Historienne et agrégée d’arabe, Jacqueline Chabbi est professeure honoraire des universités. Elle a renouvelé l’approche des origines de l’islam par l’anthropologie historique. Elle est l’auteure des essais « le Seigneur des tribus » (CNRS, 2013), « le Coran décrypté » (Le Cerf, 2014) et « les Trois Piliers de l’islam » (Seuil, 2016). Dernier ouvrage paru : « On a perdu Adam. La création dans le Coran » (Seuil, 2019). Le 24 septembre dernier, elle a publié un livre de dialogue avec Thomas Römer : « Dieu de la Bible, Dieu du Coran », aux éditions du Seuil.Jacqueline Chabbi (Historienne)

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Le droit au blasphème et le droit au respect

Publié le 20-11-20 à 09h48 - Mis à jour le 20-11-20 à 10h26

Si le "droit au blasphème" c’est le droit de manquer de respect aux convictions de l’autre et ainsi de les humilier, cela ne conduit certainement pas à une société fraternelle.

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© AFP & D.R.

Une chronique de Charles Delhez sj.

Si, par "droit au blasphème", on entend liberté religieuse, refus de la pensée unique en matière religieuse, droit à un examen libre et donc aussi critique, pour soi personnellement ou dans le dialogue, on ne peut qu’être d’accord. Si, par contre, c’est le droit de manquer de respect aux convictions de l’autre et aux personnes elles-mêmes, sans la moindre délicatesse, et ainsi de les humilier, voilà qui ne conduit certainement pas à une société fraternelle. Selon Wikipédia, en effet, le blasphème désigne à l’origine le fait de "parler mal de quelqu’un, injurier, calomnier". Et l’on n’est pas toujours loin des origines.

Le droit au blasphème ouvre à la violence verbale ou caricaturale. Il opère comme une incitation au mépris voire à la haine qui se cache derrière, directement ou indirectement, en mettant les rieurs de son côté. C’est bel et bien de la provocation, et les conséquences le prouvent. (Je ne vise pas ici le professeur Samuel Paty décapité à Conflans-Ste-Honorine.)

Bien sûr, tuer au nom de Dieu est aussi de l’ordre du blasphème et mérite tout autant d’être condamné. Ce Dieu-là n’est d’ailleurs qu’une idole. J’espère donc que la communauté musulmane se réveillera et prendra de plus en plus conscience du caractère inacceptable de ces comportements aux yeux mêmes de leur foi. Heureusement, des voix plus nombreuses qu’il y a peu s’élèvent dans leurs rangs pour condamner ce fanatisme. Je me souviens avec émotion de la visite de trois croyants musulmans, manifestement envoyés par leur communauté pour me saluer à la fin de la messe, le dimanche de Toussaint. Ils voulaient tout simplement manifester leur sympathie aux chrétiens suite aux attentats en France.

Une "difficulté congénitale"

La "laïcité à la française" est un problème franco-français lié à l’histoire religieuse de l’Hexagone. Les événements de ces jours-ci, quant à eux, relèvent plutôt du fameux "choc des civilisations" de Samuel Huntington. Deux cultures totalement différentes sont en présence. Tentons de les harmoniser plutôt que de les exacerber. Seules les valeurs positives font grandir la fraternité, et la première d’entre elles est sans doute le respect.

Et le droit à l’expression ? Je préfère la façon outre-Atlantique. La frontière n’y est pas aussi étanche entre le privé et le public au niveau religieux. Un président peut faire allusion à sa foi dès son premier discours. En Europe, on soutient les caricatures, mais peu d’hommes politiques oseraient émettre des propos aux relents religieux.

Reconnaissons que chez nos voisins - mais aussi chez nous -, il y a une "difficulté congénitale à donner une place au fait religieux, toutes confessions confondues, comme si les religions constituaient en soi une menace contre la paix civile", ai-je pu lire sous la plume de William Marx, professeur au Collège de France. Et du coup, toutes les grossièretés sont permises. Le risque, craint l’évêque d’Albi, serait de donner l’impression que "la quintessence de l’esprit français réside dans la vulgarité et la malveillance".

Des extrémismes au dialogue public

Le frère dominicain Adrien Candiard, dans son récent Du fanatisme. Quand la religion est malade (Cerf 2020), stigmatise l’exclusion de la théologie dans nos sociétés occidentales, c’est-à-dire d’un discours raisonné et critique sur la foi et sur Dieu. Une société qui se refuse à toute réflexion publique sur la question fondamentale de l’existence de Dieu et des religions, qui exclut toute position croyante du débat public, se condamne à l’apparition d’extrémismes.

Une des solutions réside dans une information juste et bien informée, une permission d’aborder sérieusement ces questions sur la place publique, entre croyants, mais aussi avec les non-croyants, sans être traité aussitôt de ringard ou de blasphémateur. Il ne suffit pas d’alarmer, d’informer, encore faut-il se former. La question religieuse traverse les siècles. Elle est une constante anthropologique. Elle mérite plus que du mépris déguisé en liberté d’expression.


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LA FRANCE EST-ELLE COMPATIBLE AVEC L'ISLAM ?

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DÉMISSION DE L’ORDRE DE LA LÉGION D’HONNEUR FRANÇAISE

PAR AMADOU TIDIANE WONE

EXCLUSIF SENEPLUS - Aujourd’hui, je ne me sens pas honoré de partager le même ordre que Samuel Paty pour des raisons profondes et sacrées. Emmanuel Macron, vous avez cherché à transformer les outranciers en héros

Amadou Tidiane Wone | Publication 12/11/2020

Lettre ouverte à Emmanuel Macron

Contexte. Un journal presque confidentiel, Charlie hebdo ex Hara-kiri, a fait de la provocation son style et de l'outrance son gagne-pain. Tant que ces dérives restaient confinées dans l'espace hexagonal, ou le cercle limité de la francophonie, l'on aurait pu ne pas s'y intéresser outre mesure. En effet : « avant janvier 2015, Charlie Hebdo sortait tout juste d'une période financièrement difficile. Avec un tirage de 60 000 exemplaires et moins de 30 000 ventes par semaine (dont environ un tiers sur abonnement)…» Source Le Point

Ainsi donc, ce canard boiteux de la presse de caniveau cherchait désespérément le moyen de se sortir du trou dans lequel l’indifférence publique l'avait confiné. Quoi de mieux, pour faire parler de soi, que de s'attaquer à une célébrité, se sont dit les promoteurs de ce torchon. Et qui est plus célèbre que le Prophète de l’Islam ? Plagiant, sans honte, le précurseur danois en ignominie, la rédaction de Charlie Hebdo publie, à la Une, un dessin qui masque à peine l’indigence mentale de son auteur. Avec un seul objectif subliminal : créer le buzz afin d'augmenter leurs ventes et sauver leur journal de la faillite. Jusqu'ici rien de glorieux. Ni de héroïque. Rien que du pilotage, à courte vue, d'une rédaction qui tente de sauver son organe du naufrage.

Il se trouve que Charlie Hebdo n'avait pas pris la pleine mesure de l'outrage, ni de ses conséquences telluriques, sur près de deux milliards de croyants dont le Prophète Mouhammad (PSL) est le leader, la référence, la boussole.  Cet homme exceptionnel est à la tête d'une communauté humaine multiraciale, enjambant frontières administratives et étatiques, toutes conditions sociales confondues, depuis 14 siècles ! Qui dit mieux ?  Le Coran, dont il est le transmetteur, est le livre au plus fort tirage de tous les temps : plus de 3 milliards d’exemplaires, vendus ou offerts, en circulation permanente ! Rien à voir avec les plus forts tirages de Charlie Hebdo au pic de la polémique. Plutôt de la bulle médiatique, malencontreusement entretenue par quelques marginaux de la classe politique et intellectuelle française. Au mépris de toutes les valeurs fondatrices de la civilisation de l’universel, entendue comme la confluence des différences qui exhaussent et expriment ce que l’homme est de meilleur. En effet, une ambiance délétère de stigmatisation de la communauté musulmane mondiale prend forme et pourrait donner naissance, si des esprits éclairés ne se manifestent, à une tragédie universelle aux conséquences incalculables.

Monsieur le président Emmanuel Macron,

Dans ce contexte périlleux, l'on se serait attendu, de la part du dirigeant de la France, à un certain sens de la mesure ou, tout au moins, à de la retenue. En plus d'une capacité de discernement qui apprécie correctement les risques géopolitiques et stratégiques d'une confrontation avec le monde musulman. Bien au contraire ! Et depuis la republication de dessins insultants et inadmissibles pour les musulmans, vous avez pris fait et cause pour la transgression. Vous avez cherché à transformer les outranciers en héros.  Au mépris de la profondeur de la peine causée à des milliards de croyants. Les yeux rivés sur les enjeux de la politique intérieure française, notamment la récupération de l’électorat des extrêmes, vous procédez à une théâtralisation de la douleur compréhensible des familles des victimes, pour tenter d'en faire le ciment d'une légitimité populaire qui vous fait tant défaut. A l’excès. Les autorités danoises n’avaient pas emprunté ce chemin déraisonnable. Un chef d’Etat doit se tenir à équidistance des communautés qui composent la Nation qu’il dirige. Nul ne peut plus nier l'existence d'une composante musulmane de la nation française ! Héritage de l’histoire coloniale de la France, conversions de plus en plus nombreuses de citoyens français de souche. L’islam, en France, est une réalité en constante progression. N'en déplaise à ceux qui veulent réduire la France à leurs fantasmes d'un monde révolu qui a donné naissance à de nouvelles réalités humaines, démographiques et sociales.

Outre le fait qu'il est de plus en plus discutable de faire porter le chapeau systématiquement, à l’islam et aux musulmans pour tout attentat terroriste, il est temps de se demander pourquoi l’assassin de Samuel Paty a été tué au lieu d’être arrêté pour les besoins de l’enquête. C’était juste un adolescent armé d'un… couteau face à une brigade d'intervention de la police française. Des professionnels donc. Il n'est pas interdit de réfléchir non plus…

Au sujet de Samuel Paty, il serait judicieux de se demander s'il est légitime, dans une démocratie qui repose sur le triptyque : Liberté-Égalité-Fraternité, de demander à une partie des élèves de sa classe de sortir parce que le cours qu'il allait donner pourrait les choquer. Monsieur Paty savait donc, dès le départ, qu'il allait faire du mal. Ne serait-ce qu'à certains de ses élèves qui ne sont coupables de rien. Comment qualifier cette posture ? Liberté d’expression ou provocation inutile ? Ce débat de fond est noyé dans l'unanimisme de façade imposé par le rouleau compresseur médiatique qui nous empêche, même de penser.

En conséquence, au nom de quelle idée de l’honneur avez-vous décidé de porter monsieur Paty à la dignité de récipiendaire des insignes de l’ordre de la Légion d'Honneur française ? Pour un acte, au fond, indigne d'un enseignant digne de ce nom ? Chargé de porter les esprits de ses élèves à maturité,  pour les rendre aptes à vivre dans un monde multiracial et multiconfessionnel où chaque être a le droit inaliénable de vivre dans la paix, monsieur Paty est passé à côté de sa mission. Par-delà l’émotion, il faut aussi faire appel à la raison. Sans passion ni animosité. En toutes circonstances, la République doit rester équitable et équidistante. C'est cela son honneur.

Démission. Lorsque j'ai été décoré et porté à la dignité d’officier de l’ordre de la légion d'honneur française, j'en avais éprouvé une certaine fierté. Je m'honorais de rejoindre le cercle prestigieux de ceux dont la France célèbre le mérite en dépit des vicissitudes de l'Histoire. Et j'ai toujours arboré avec fierté la rosette au revers de mon veston comme un symbole de fraternité à réinventer, de liberté à célébrer et d’égalité à conquérir.

Francophone et francophile sur bien des aspects culturels et artistiques, je suis musulman, africain et noir. C'est de ce promontoire que je m'adresse à vous.

Aujourd’hui, je ne me sens pas honoré de partager le même ordre que Samuel Paty pour des raisons profondes et sacrées. La défense de l’honneur du Prophète Mouhammad (PSL) passe, pour moi, bien avant la simple vanité d'une distinction temporelle. Musulman, je répète plusieurs fois par jour l'attestation selon laquelle : « Il n'y a de Dieu Qu’Allah et Mouhammad est son Messager. » Cette conviction donne son sens à tous les actes posés, au quotidien et en toutes circonstances, par chaque musulman. Je devrais dire chacune de nos respirations, célèbre Allah et Son Messager ! Car nos regards de mortels scrutent l’horizon de la vie éternelle avec foi, certitude et confiance.

Nous ne vivons donc pas dans le même monde monsieur Macron !

Et nous sommes près de deux milliards d’êtres humains à nous tourner 5 fois par jour, au moins, dans la même direction (la Kaaba) pour affirmer notre soumission volontaire à l'Ordre divin qui nous a été transmis par le Prophète de l’Islam. De votre univers, vous nous prenez certainement pour des attardés ! Je ne vous dirai pas ce que nous pensons de vous. Car la tolérance religieuse est la marque de fabrique de la dernière religion révélée : l'Islam. Celle qui a confirmé toutes les révélations antérieures ! la Torah, l’évangile et le Coran ont jailli de la même source. Moise, Jésus et Mouhammad sont frères, Prophètes et envoyés du même Dieu : Allah ! Tels sont les principes fondateurs non négociables de l’Islam, religion de synthèse et de restauration de l'harmonie au sein de toute l’humanité.

Au nom de tout ce qui précède, et de tout ce que mon cœur contient d’inexprimable, je démissionne de l’ordre de la légion d’honneur française et tiens à la disposition de l’Ambassade de France à Dakar les insignes et l’attestation y afférents.

Pour l’honneur du Prophète Mouhammad !

(Paix et Grâces divines sur Lui et sa sainte famille)

Amadou Tidiane Wone, ancien ministre, ancien Ambassadeur

woneamadoutidiane@gmail.com

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PAR L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, SERIGNE SALIOU GUÈYE

SERIGNE SALIOU GUÈYE DE SENEPLUS | PUBLICATION 21/10/2020

DROIT AU BLASPHÈME, MON MESSAGE À MACRON

EXCLUSIF SENEPLUS - Quand on dispense un enseignement et que l’on est conscient qu’une partie de ses apprenants n’en est pas réceptive, il y a lieu de revoir le contenu de son message

Le vendredi 16 octobre dernier, vers 17h, un professeur d’histoire du nom de Samuel Paty a été décapité sur la voie publique non loin de son collège du Bois d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine, en région parisienne. Il avait montré récemment à ses élèves des dessins faisant la satire de Mahomet (PSL) lors d’un cours sur la liberté d’expression. L’indécence de sa satire ne me permet pas d’entrer dans les détails choquants. Cet assassinat a soulevé l’ire et l’indignation de l’Etat français et de toutes les forces syndicales et organisations civiles. Le dimanche 18 octobre, les Français ont battu le pavé pour défendre la liberté d’expression qui est une valeur fondamentale de la République.

Le président Emmanuel Macron, lors de son discours prononcé le 4 septembre 2020 au Panthéon, pour la célébration des 150 ans de la République, donnait encore un blanc-seing aux insulteurs du prophète de l’Islam (PSL) à travers ces propos : « C’est la liberté de conscience, et en particulier la laïcité, ce régime unique au monde qui garantit la liberté de croire ou de ne pas croire, mais qui n’est pas séparable d’une liberté d’expression allant jusqu’au droit au blasphème. Et je le dis au moment où s’ouvre le procès des attentats de janvier 2015. Être Français, c’est défendre le droit de faire rire, la liberté de railler, de moquer, de caricaturer. » Le dictionnaire Larousse définit le blasphème comme une « parole ou un discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré ».

Et voilà qu’un professeur d’histoire, Samuel Paty, au nom de cette liberté de caricaturer, de blasphémer encouragé par Macron et d’autres libres penseurs français n’a pas trouvé autre support que les caricatures de Charlie Hebdo qui avait déjà causé la mort de 12 personnes en 2015. Pourtant, connaissant la sensibilité du sujet, il a demandé précautionneusement aux élèves musulmans de sortir quelques minutes pour ne pas être choqués. Donc il était conscient que ces photos indécentes sur le prophète de l’Islam (PSL) allaient heurter ces enfants qui n’ont pas encore atteint la majorité. En faisant sortir de sa classe les élèves musulmans, il a même violé ce principe de l’égalité républicaine parce qu’il a dispensé un cours à un groupe d’élèves en dispensant un autre de le suivre. Et les faire sortir, c’est les discriminer en montrant à leurs autres camarades de classe qu’ils ne partagent pas avec eux cette fraternité qui fait qu’une même classe ne peut pas recevoir un enseignement à géométrie variable. Selon la loi de programmation et d’orientation française, « l’école doit être l’école commune de tous les élèves, les accueillir tous ensemble sans distinction en assurant l’égalité des chances en permettant à chaque élève d’accéder aux savoirs et aux compétences indispensables pour poursuivre sa scolarité et construire son avenir. Par conséquent, l’école française doit être l’école commune de tous les élèves, les accueillir tous ensemble sans distinction. » Mais Samuel Paty, en décidant de faire sortir une partie des élèves pour ne pas les choquer, a fait preuve de distinction voire de séparation entre des élèves qui appartiennent à une même communauté éducative. Il a, par son geste, brisé le vivre-ensemble scolaire et c’est cela que les autorités françaises devaient condamner. Les principes de la fraternité s’apprennent plus par les expériences du vivre-ensemble que par les leçons de civisme ex-cathedra. Quand on dispense un enseignement et que l’on est conscient qu’une partie de ses apprenants n’en est pas réceptive, il y a lieu de revoir le contenu de son message blessant.

Alors, quelle est cette morale axiologique qui, au nom de la liberté d’expression, admet de manquer consciemment de respect à la croyance d’autrui ? L’amour que chaque musulman ressent pour son Prophète (PSL) est incommensurable. Ainsi, le défendre devient une obligation qui incombe à tout musulman et musulmane au même titre que de l’aimer et de suivre ses recommandations. S’en prendre à lui, c’est s’attaquer à ces deux milliards de personnes qui ne vivent que pour lui et qui sont prêtes à perdre leurs vies pour faire face à ses blasphémateurs. Cette dimension spirituelle élevée qui consiste à se détacher de sa vie avec félicité au nom de sa croyance religieuse est difficilement appréhensible chez un peuple qui a exclu Dieu et ses prophètes de sa matrice de croyances pour épouser la franc-maçonnerie, l’agnosticisme ou l’athéisme.

La religion chrétienne n’est pas pour autant épargnée par ces provocations blasphématoires. Ainsi, par ordonnance de référé en date du 23 octobre 1984, à la requête de l’association Saint-Pie X, le tribunal a interdit l’affiche du film Ave Maria qui blasphème la mère du Christ, la meilleure des femmes de l’humanité. Quand en 1988, le film américain « The last temptation of Christ » réalisé par Martin Scorsese est sorti sur les écrans en France, un groupe fondamentaliste catholique a incendié une salle du cinéma Espace Saint-Michel à Paris pour protester contre la projection du film blasphématoire. D'autres incendies seront perpétrés à la salle du Gaumont Opéra ainsi qu'à Besançon. Un attentat du même groupe causera le décès d'un spectateur. C’est donc montrer jusqu’où les adeptes de toute religion peuvent aller pour défendre ce qu’ils ont de plus cher.

En réaction à la mort du professeur d’histoire, Samuel Paty, le président Macron a déclaré ces propos irresponsables : « L'obscurantisme et la violence qui l'accompagnent ne gagneront pas. Tous et toutes, nous ferons bloc. Ils ne passeront pas. Ils ne nous diviseront pas. C'est ce qu'ils cherchent et nous devons nous tenir tous ensemble. » Dans le même sillage d’irresponsabilité, son Premier ministre Jean Castex a déclaré sur twitter que « leurs enseignants continueront à éveiller l'esprit critique des citoyens de la République, à les émanciper de tous les totalitarismes et de tous les obscurantismes ». Mais le chef de l’Etat français, son Premier ministre et tous les Français qui pensent comme eux doivent reconnaître que l’inconsciencieux professeur d’histoire a été le premier à semer la division au sein de cette communauté d’élèves en réservant exclusivement une partie de son enseignement aux élèves non-musulmans. Une telle attitude sectaire est condamnable chez tout enseignant. L’école de la République n’attise pas les discriminations, n’encourage pas la haine communautariste mais brise les cloisons des différences.

Parler d’obscurantisme et de violence en faisant référence à l’Islam, c’est ignorer littéralement les valeurs et fondements de cette religion dont le nom symbolise la paix et la lumière comme l’avait si bien déclaré l'ancien ministre français Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe (IMA), le 15 janvier 2015 lors d’un forum consacré au renouveau du monde arabe. Aujourd’hui, Macron vante l’Europe des Lumières athée, agnostique pour dénigrer ces peuples croyants encore engoncés dans l’obscurantisme des religions. Alors que cette Europe des Lumières est celle des catégorisations humaines fondées sur la théorie de la hiérarchie des races. Et cette théorie de la suprématie raciale jaugée à l’aune des progrès scientifiques fera le lit des deux guerres les plus meurtrières de l’humanité et jeté les bases du système d’exploitation de l’homme par l’homme appelé pudiquement colonialisme. Ces guerres inspirées par les progrès des Lumières feront plus de 80 millions de morts en l’espace de trois décennies. Si dans l'Europe des Lumières, des penseurs se sont levés pour dénoncer et combattre l'esclavage, c’était laisser la place à une idéologie d’exploitation plus intelligente et moins « inhumaine » qui théorisait que les Européens étaient dans l’obligation de « civiliser » le reste du monde. Alors, quoi de plus obscurantiste qu’un peuple qui, par sa puissance armée, prétend en dominer d’autres au nom d’une pseudo-mission civilisatrice ?

La liberté d’expression se heurte aussi à des notions de responsabilité collective. Il est facile pour des mécréants de percevoir des caricatures pornographiques comme de simples dessins humoristiques provocateurs. Guido Westerwelle le ministre allemand des Affaires étrangères entre 2009 et 2013 s’était prononcé dans une interview sur la publication en 2006 de caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo en affirmant que « la liberté signifiait aussi la responsabilité ».  Il ajoutait que « parfois la question n'est pas de savoir si on a le droit de faire quelque chose mais de savoir si on doit le faire. La liberté d'opinion ne signifie pas le droit d'insulter ceux qui ont une autre religion ou une autre opinion et de troubler ainsi sciemment la paix publique ». Malheureusement, cette société française où l’irréligion monte en flèche (70% ne se réclament d’aucune religion) ne comprend pas encore que la liberté d’expression n’est pas un imprimatur pour insulter la croyance d’autrui. D’ailleurs cette liberté de blasphémer sonne comme une exception française dans une Europe où plusieurs pays répriment toujours le délit en la matière. En Allemagne, le code pénal sanctionne « l’insulte aux croyances religieuses ». En Pologne, il interdit l’injure au sentiment religieux « par le recours à la calomnie publique d’un objet de croyance ». L’Italie, dans l’article 724 de son code pénal, punit « quiconque publiquement blasphème, avec des invectives ou des paroles outrageantes, contre la divinité ou les symboles vénérés dans la religion d’Etat ». Et la liste est loin d’être exhaustive.

Le Souverain pontife, Pape François estime que « la liberté d’expression ne doit pas servir de prétexte pour insulter la foi d’autrui et que chaque liberté s’arrête là où commence une autre, en l’occurrence la liberté de religion ». Et c’est malheureux que la société française devenue athée, agnostique, franc-maçonne ne soucie plus de la foi de ceux qui croient à Mahomet (PSL) ou au seigneur Jésus.

Les musulmans considèrent les moqueries, les caricatures et autres insultes contre le Prophète comme pires que des insultes qui seraient proférées envers leurs propres parents, leur famille, et même contre eux-mêmes. C’est pourquoi, ils insupportent et insupporteront toujours que Mahomet (PSL) qu’ils considèrent comme le meilleur des hommes soit moqué, caricaturé, insulté au nom d’une provocante liberté d’expression. Et ce, au prix d’ôter la vie à tout blasphémateur ou de perdre les siennes !

sgueye@seneplus.com

Charlie Hebdo: la France ne «va pas changer» son droit sur la liberté d’expression «parce qu’il choque ailleurs», réaffirme Emmanuel Macron

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Publié le lundi 16 Novembre 2020 à 07h21

Par Sudinfo avec AFP

Emmanuel Macron a regretté lundi la relative timidité du soutien international après les derniers attentats dans le pays, et réaffirmé que la France n’allait pas « changer » son droit sur la liberté d’expression « parce qu’il choque ailleurs ».

AFP

Dans un entretien publié par la revue en ligne Le Grand Continent, le président français relève que, « il y a cinq ans, quand on a tué ceux qui faisaient des caricatures (dans l’hebdomadaire Charlie Hebdo, NDLR), le monde entier défilait à Paris et défendait ces droits ».

« Là, nous avons eu un professeur égorgé, plusieurs personnes égorgées. Beaucoup de condoléances ont été pudiques », souligne-t-il, en faisant référence à la mort du professeur Samuel Paty le 16 octobre et de trois personnes à Nice le 29.

« Et, poursuit-il, on a eu, de manière structurée, des dirigeants politiques et religieux d’une partie du monde musulman – qui a toutefois intimidé l’autre, je suis obligé de le reconnaître – disant : ’ils n’ont qu’à changer leur droit’. Ceci me choque (…) Je suis pour le respect des cultures, des civilisations, mais je ne vais pas changer mon droit parce qu’il choque ailleurs ».

Il fait référence aux appels à manifester lancés dans plusieurs pays musulmans après ses propos défendant le droit à la caricature prononcés au cours de l’hommage national à Samuel Paty.

Pour Emmanuel Macron, « c’est précisément parce que la haine est interdite dans nos valeurs européennes, que la dignité de la personne humaine prévaut sur le reste, que je peux vous choquer, parce que vous pouvez me choquer en retour. Nous pouvons en débattre et nous disputer parce que nous n’en viendrons jamais aux mains puisque c’est interdit et que la dignité humaine est supérieure à tout ».

Mais « nous sommes en train d’accepter que des dirigeants, des chefs religieux, mettent un système d’équivalence entre ce qui choque et une représentation, et la mort d’un homme et le fait terroriste – ils l’ont fait –, et que nous soyons suffisamment intimidés pour ne pas oser condamner cela », poursuit-il.

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« Ne nous laissons pas enfermer dans le camp de ceux qui ne respecteraient pas les différences. C’est un faux procès et une manipulation de l’Histoire », réagit Emmanuel Macron. De ce fait, « le combat de notre génération en Europe, ce sera un combat pour nos libertés. Parce qu’elles sont en train de basculer », avertit-il dans ce long entretien accordé à la revue éditée par le Groupe d’études géopolitiques, une association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure (ENS).


International

Ségolène Royal: “Certaines caricatures de Mahomet sont insultantes”

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Par: 7sur7.be | 16 novembre, 2020 à 11:11:05 |

Segolene Royal

Ségolène Royal, ancienne candidate socialiste à la présidence de la République française et ex-ministre, a évoqué le débat, sensible, de la liberté d’expression en France.

Après l’assassinat de Samuel Paty, décapité en octobre par un jeune islamiste parce qu’il avait montré des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves, le président Emmanuel Macron a réaffirmé le droit à la liberté d'expression en France, pays laïc, et notamment le droit au blasphème. Lors des obsèques du professeur, le président a déclaré qu’il allait “continuer avec les caricatures.

Une phrase qui a fait tiquer Ségolène Royal, invitée ce lundi matin sur CNEWS. “Je pense qu’il a fait une erreur", explique la socialiste au sujet de cette phrase d’Emmanuel Macron. “Il continue avec la liberté d’expression, pas avec les caricatures qui blessent des millions de personnes à travers le monde”, recadre-t-elle. “Il faut faire très attention à ne pas déraper, à ne pas franchir la ligne du droit et des devoirs de la personne humaine. Et toute liberté d'expression, dans le droit français, est limitée par l’interdiction de l’injure publique ou de la mise en danger d’autrui”, rappelle l’ancienne ministre.

“On a une devise française: liberté, égalité, fraternité. Donc la liberté oui, mais la liberté ce n’est pas le droit de faire n’importe quoi (...) Il y a des droits et des devoirs. Et les devoirs installés par la République c’est la fraternité qui vient rééquilibrer la liberté”, insiste Ségolène Royal. “C’est quoi la fraternité ? C’est l’interdiction de choquer, d’humilier, d’insulter. C’est la prise en considération de la souffrance des autres pour pouvoir rectifier un certain nombre de choses. Et la liberté, ce n’est pas le droit de dire n’importe quoi, n’importe comment”, poursuit-elle.

“Je ne suis pas pour l’interdiction des caricatures mais je ne suis pas pour cautionner et dire que les caricatures, c’est bien. Je pense que certaines caricatures de Mahomet sont insultantes. Toutes les caricatures pornographiques, je comprends que certains se sentent insultés par cela y compris des musulmans qui ne sont ni intégristes, ni radicaux”, conclut Ségolène Royal.

Liberté d'expression : Ségolène Royal critiquée après avoir inventé «l'interdiction de choquer»

Ségolène Royal, alors ministre de l'Écologie, lors de l'hommage au policier Xavier Jugelé, le 25 avril à la préfecture de Police de Paris.

Ségolène Royal, alors ministre de l'Écologie, lors de l'hommage au policier Xavier Jugelé, le 25 avril à la préfecture de Police de Paris.

Par: lefigaro.fr - Seneweb.com | 16 novembre, 2020 à 15:11:02 | Lu 637 Fois | 3 Commentaires

En posant à la liberté de caricature une «limite» inexistante dans le droit, l'ex-ministre socialiste a indigné lundi une partie de la classe politique.

L'«interdiction de choquer», nouvel obstacle à la liberté d'expression ? Ségolène Royal a été critiquée par de nombreux responsables politiques, lundi, pour avoir défendu cette «limite» pourtant absente du droit français. «La liberté, oui», a d'abord insisté sur CNews l'ex-ministre socialiste de l'Écologie. «Mais la liberté n'est pas le droit de faire n'importe quoi. (...) Il y a des droits et des devoirs», parmi lesquels «la fraternité», a-t-elle poursuivi, avant d'en donner sa définition. «C'est quoi, la fraternité ? C'est l'interdiction de choquer, d'humilier, c'est la prise en considération de la souffrance des autres».

Selon l'ex-candidate à la présidentielle de 2007, «certaines» caricatures de Mahomet publiées par l'hebdomadaire Charlie Hebdo, en particulier les «caricatures pornographiques», sont «insultantes». «Je ne suis pas pour l'interdiction des caricatures», mais «je comprends que certains se sentent insultés, y compris des musulmans qui ne sont absolument pas intégristes, ni radicaux», a-t-elle souligné. «Ils (en) ont le droit, c'est leur liberté».

Droit très protégé en France

Ce plaidoyer en faveur d'un usage prudent de la liberté d'expression tranche avec la très protectrice législation française, qui punit les abus comme l'injure, la diffamation ou l'incitation à la haine et à la discrimination, mais pas l'«interdiction de choquer». Il a provoqué de vives réactions dans la classe politique. «Nous ne souffrons plus vos petits arrangements avec la liberté d'expression», a répliqué sur Twitter Olivia Grégoire, secrétaire d'État chargé de l'Économie sociale.

«Ségolène (Royal) crée le délit de blasphème et oublie accessoirement que l'équilibre, aujourd'hui, c'est celui entre des crayons et des kalachnikovs ou des décapitations», a renchéri le président du Parti radical de gauche, Guillaume Lacroix. Au sein de la direction des Républicains (LR), Lydia Guirous voit dans ces propos une «illustration de la lâcheté, sous couvert de "mesure" et de "fraternité"».

«Liberté de blasphémer»

Le débat sur la liberté d'expression a été relancé après l'assassinat de l'enseignant Samuel Paty, tué par un islamiste le 16 octobre devant son collège de Conflans-Saint-Honorine (Yvelines), après avoir montré, lors d'un cours sur la liberté d'expression, des caricatures du prophète Mahomet publiées dans Charlie Hebdo.

Le président Emmanuel Macron avait alors défendu «la liberté de blasphémer» en France, provoquant une poussée de fièvre anti-française dans le monde arabo-musulman, et même la retenue du premier ministre canadien Justin Trudeau. La France «ne va pas changer» son droit «parce qu'il choque ailleurs», a réaffirmé le chef de l'État dans un entretien à la revue Le Grand continent, paru lundi. Dans la classe politique française, quelques rares voix ont émis des réserves à ce droit, à l'image du chef de file des sénateurs Les Républicains (LR), Bruno Retailleau, qui a appelé à une «forme de respect» dans les caricatures.

Un cas tranché par la justice en 2007

En 2007, lors du «procès des caricatures» de Mahomet, le tribunal de grande instance de Paris avait reconnu le «caractère choquant voire blessant», «pour la sensibilité des musulmans», du dessin publié l'année précédente par Charlie Hebdo, représentant le prophète Mahomet coiffé d'un turban cachant une bombe. Mais les juges avaient estimé que «les limites admissibles de la liberté d’expression» n'avaient pas été «dépassées», ne notant aucune «volonté délibérée d'offenser directement et gratuitement l'ensemble des musulmans».

«Le dessin litigieux (participe) au débat public d'intérêt général», avaient-ils conclu. Attaqué par des associations musulmanes, l'hebdomadaire satirique n'avait pas été condamné. Il a republié début septembre ces caricatures, avant l'ouverture du procès de l'attentat qui a fait 12 victimes dans sa rédaction en janvier 2015.

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Comment réfléchir en toute liberté sur la liberté d’expression

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Lettre aux professeurs d’histoire-géographie ou comment réfléchir en toute liberté sur la liberté d’expression

par François Héran , le 30 octobre 2020

Télécharger l'article : https://laviedesidees.fr/Lettre-aux-professeurs-d-histoire-geographie.html

Comment enseigner la liberté d’expression ? Par son histoire, propose François Héran, moins républicaine qu’on ne croit et plus respectueuse des croyances. Au lieu d’en faire un absolu, il est temps d’observer que ses conditions d’exercice se déploient dans un temps et un espace déterminés.

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Des professeurs d’histoire-géographie m’ont consulté au sujet du cours d’éducation civique et morale qu’ils devront dispenser à l’issue des vacances de la Toussaint. Comment rendre hommage à Samuel Paty, odieusement assassiné le 16 octobre par un jeune djihadiste tchétchène parce qu’il avait commenté en classe des caricatures de Mahomet ? Quel sens donner à la liberté d’expression ? Comment défendre les valeurs républicaines sans nous isoler du reste du monde ? Certes, les enseignants bénéficieront du « cadrage » préparé par l’Éducation nationale. Certes, ils pourront s’inspirer du fervent hommage rendu par le président Macron dans la cour de la Sorbonne. Et, s’ils le souhaitent, ils pourront revenir sur la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs. Mais, si la liberté d’expression nous est chère, nous devons pouvoir lui appliquer aussi notre libre réflexion, à condition de l’appuyer sur des données avérées. C’est le sens des conseils que je me permets de donner ici.

Retour aux textes

Premier conseil : faire découvrir aux élèves des textes « républicains » restés un peu dans l’ombre ces derniers temps. Plus souvent citée que lue, la lettre de Jules Ferry aux instituteurs posait des limites à l’enseignement de la morale : « Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment » (17 novembre 1883). En pleine discussion de la loi sur l’obligation scolaire et la laïcité de l’école primaire publique, Ferry était allé plus loin encore : « Si un instituteur public s’oubliait assez pour instituer dans son école un enseignement hostile, outrageant pour les croyances religieuses de n’importe qui, il serait aussi sévèrement et rapidement réprimé que s’il avait commis cet autre méfait de battre ses élèves ou de se livrer contre eux à des sévices coupables. » (11 mars 1882). Vous avez bien lu : outrager les croyances religieuses des élèves, c’est aussi grave que de leur infliger des châtiments corporels ou abuser d’eux.

Faut-il en conclure que toutes les religions méritent le respect ? Oui, répond l’article 1er de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». La dernière phrase peut choquer dans le contexte actuel. Certains rêvent peut-être de la modifier et d’affirmer que la République « ne respecte aucune croyance ». Mais, pour l’heure, tel est bien le texte de notre constitution.

Quid, alors, de la « liberté d’expression », cette valeur suprême de la République ? Avec tout le tact nécessaire, vous expliquerez aux élèves que la législation française ne consacre pas littéralement la « liberté d’expression » : la loi de 1881 porte sur la liberté de la presse. D’autres textes évoquent la liberté d’opinion ou de conscience. Mais la « liberté d’expression » va plus loin, elle inclut tous les thèmes et les supports possibles, tout en revêtant une dimension plus individuelle. Ses contours sont si indéfinis qu’elle est presque synonyme de liberté tout court. Comme l’attestent les bases de données du vocabulaire français dressées à partir des millions de textes imprimés depuis 1730, « liberté d’expression » ne décolle dans le vocabulaire juridique et le langage courant qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Elle était inconnue sous la IIIe République : on l’employait dans un sens esthétique (« peindre un sujet avec une grande liberté d’expression »).

La notion apparaît pour la première fois dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), couplée à la liberté d’opinion : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » Le texte a été préparé par le Canadien John Peters Humphrey, chef de la division des Droits de l’Homme aux Nations unies, et révisé par le Français René Cassin, vice-président du comité de rédaction de la déclaration. « Liberté d’expression » est la version française de freedom of expression. C’est seulement en 1950, dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, que la locution « liberté d’expression » apparaît seule, dans la plénitude de son sens actuel.

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On s’imagine que nos plus hautes valeurs sont toutes d’origine « républicaine » et ne doivent rien au monde anglo-saxon, volontiers traité en repoussoir. C’est inexact et les élèves doivent le savoir. La « liberté de la presse » elle-même n’est pas fille de la Révolution française, encore moins de la loi de 1881 : on la doit au Virginia Bill of Rights, la Déclaration des droits de Virginie, promulguée en 1776, d’où elle gagnera le reste des États-Unis, puis le monde occidental.

Droits et devoirs de la liberté d’expression

Le Palais des droits de l’homme, Strasbourg

Sur la liberté d’expression, on lira avec profit, à condition de la compléter, la tribune récente (Le Monde du 26 octobre) de Christophe Bigot, spécialiste du droit des médias et avocat de groupes de presse. Il cite le fameux arrêt Handyside, rendu le 7 décembre 1976 par la Cour européenne des droits de l’homme :
« La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées notamment dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique. » Si l’on veut honorer la mémoire de Samuel Paty, conclut l’avocat, voilà un « idéal intangible ». Vous remarquerez au passage qu’il est question de démocratie et non de république. La République, en l’espèce, n’est qu’une variante de la démocratie.

Demandez alors à vos élèves de lire l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme :

Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (…).

Mais voici le second alinéa :

L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (…).

La liste est longue des « devoirs et responsabilités » qui encadrent la liberté d’expression. Qui donc les définit ? Cela incombe à chaque pays. La Cour de Strasbourg ne juge pas à la place des États souverains, elle vérifie qu’ils régulent la liberté d’expression de façon « proportionnée » par rapport à leur propre législation et à l’état des mœurs. En l’espèce, l’arrêt Handyside de 1976 cité par Me Bigot concluait que les autorités britanniques n’avaient aucunement violé l’article 10 de la convention en ordonnant la saisie et la destruction d’un manuel d’éducation sexuelle pour enfants jugé contraire aux bonnes mœurs britanniques ! Il est donc paradoxal d’invoquer cet arrêt pour honorer la mémoire de Samuel Paty. S’il doit retenir l’attention des élèves, c’est sur un point précis : la liberté d’expression peut inclure l’expression d’idées choquantes ou blessantes, mais toujours dans les conditions admises par la loi.

Liberté offensive ou tolérante ?

Mais alors, que répondre à un élève qui vous opposerait l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : «  la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui  » ? Comme le souligne le politiste Denis Ramond (Raisons politiques 2011/4 et 2013/4), deux interprétations s’opposent : offensive ou tolérante. Dans la lecture offensive, celle de la Cour de Strasbourg, toute parole ou image, même offensante, alimente le débat public et, donc, sert la démocratie. Elle serait bénéfique pour tous, y compris pour la minorité offensée. Une telle position est typiquement « paternaliste » : l’auteur de l’affront sait mieux que ses victimes ce qui est bon pour elles ; il estime que la blessure sera effacée par le surcroît de lumières ainsi dispensé. À la limite, l’offensé devrait remercier l’offenseur de cette belle leçon de liberté, y compris quand le donneur de leçon est un chef d’État étranger. Vous inviterez vos élèves à illustrer les effets de cette théorie à l’aide d’exemples récents.

L’autre interprétation du droit de libre expression prend au sérieux le principe de non-nuisance affirmé en 1789 et le principe du respect des croyances posé en 1882 par Jules Ferry et rappelé dans la Constitution de 1958. C’est une interprétation foncièrement pluraliste. Sur la pluralité des valeurs, vos élèves liront avec profit le philosophe Paul Ricœur (entretien avec Anita Hocquard publié en 1996 dans Éduquer, à quoi bon ?) :

Nous ne vivons pas dans un consensus global de valeurs qui seraient comme des étoiles fixes. C’est là un aspect de la modernité et un point de non-retour. Nous évoluons dans une société pluraliste, religieusement, politiquement, moralement, philosophiquement, où chacun n’a que la force de sa parole. Notre monde n’est plus enchanté. La chrétienté comme phénomène de masse est morte […] et nos convictions ne peuvent plus s’appuyer sur un bras séculier pour s’imposer. […] Préparer les gens à entrer dans cet univers problématique m’apparaît être la tâche de l’éducateur moderne. Celui-ci n’a plus à transmettre des contenus autoritaires, mais il doit aider les individus à s’orienter dans des situations conflictuelles, à maîtriser avec courage un certain nombre d’antinomies.

Et Ricœur de citer trois exemples d’antinomies : préserver l’autonomie de chacun tout en entrant dans un espace public de discussion, appartenir à une tradition vivante sans exclure la présence d’autres traditions, avoir des convictions personnelles tout en pratiquant « une ouverture tolérante à d’autres positions que la sienne ». Il faudra expliquer aux élèves que le pluralisme selon Ricœur n’est pas synonyme de relativisme : c’est une valeur fondamentale de la démocratie.

NUL N’EST PROPRIÉTAIRE DE LA RÉPUBLIQUE

Comment trancher entre ces deux visions de la liberté d’expression, l’offense charitable et le respect d’autrui ? Un procédé expéditif consiste à reformuler le dilemme en termes psychologiques ou moralisants : vous serez « courageux » si vous persistez à offenser l’autre, « lâche » dans le cas contraire. Apprenez donc à vos élèves à ne pas tomber dans un piège sémantique aussi grossier. Cessons de diviser la nation en taxant nos contradicteurs d’« ennemis de la République » ou d’« ennemis de la France » : c’est une façon indigne de les exclure du débat et de les exclure de la nation. Personne n’est propriétaire de la République. Nous avons encore le droit d’accorder un minimum de considération aux croyants ou incroyants sans être accusés de complaisance avec les assassins. Les fidèles musulmans habitués à diviser le monde entre croyants et « mécréants » devront d’ailleurs en tirer les conséquences : c’est au prix de cette révolution mentale qu’ils pourront s’intégrer à la nation. Vous rappellerez aux élèves que la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme le droit de changer de religion ou de ne plus croire : c’est la raison pour laquelle l’Arabie saoudite a refusé d’y souscrire. Et si un élève trop cartésien cherchait à savoir pourquoi notre République laïque tisse des liens si forts avec le régime wahhabite, mieux vaut renvoyer la question à la cellule laïcité du rectorat.

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Un conseil de Paul Ricœur aux éducateurs

Paul Ricœur, 2003

Un synonyme fréquent de la prétendue « lâcheté » de ceux qui osent prendre en compte l’existence d’autrui est la « complaisance » ou la « compromission ». Dans l’entretien déjà cité, Ricœur fournit l’antidote à ces sophismes :

Le compromis, loin d’être une idée faible, est une idée au contraire extrêmement forte. Il y a méfiance à l’égard du compromis, parce qu’on le confond trop souvent avec la compromission. La compromission est un mélange vicieux des plans et des principes de références. II n’y a pas de confusion dans le compromis comme dans la compromission. Dans le compromis, chacun reste à sa place, personne n’est dépouillé de son ordre de justification.

On peut appliquer cette leçon à l’accusation infamante de « complaisance » envers le djihadisme ou d’« islamo-gauchisme » – le type même de la formule magique d’exécration qui substitue l’injure à l’analyse et n’a pas sa place en démocratie. Intégrer l’existence d’autrui dans sa vision du monde, ce n’est pas pratiquer la haine de soi, c’est sortir de soi pour se grandir. À condition, bien sûr, que l’effort soit réciproque.

Dans un tweet diffusé à l’attention des pays musulmans, le président Macron écrit : « Nous continuerons. Nous nous tiendrons toujours du côté de la dignité humaine et des valeurs universelles ». Dignité étant effectivement le maître-mot, je ne vous conseille pas d’examiner une à une avec vos élèves les caricatures de Charlie Hebdo, mais plutôt de faire un cours sur l’histoire de la caricature politique et religieuse en France. Vos élèves comprendront qu’en ce domaine comme en d’autres, il y a le meilleur et le pire. Tout le monde n’est pas Daumier, Nadar ou Doré ou, de nos jours, Chappatte, Dilem, Pétillon ou Plantu. Le talent artistique de Cabu reste indépassé, de même que l’autodérision sur nos obsessions sexuelles chère à Wolinski. On connaît la Une de Charlie du 8 février 2006, où Cabu campe le prophète en pleurs s’écriant : « C’est dur d’être aimé par des cons ! », avec cette légende surimprimée : « Mahomet débordé par les intégristes ». La cible est clairement définie, alors que la caricature de Coco, « Une étoile est née », représentant Mahomet nu en prière, offrant une vue imprenable sur son postérieur, visait l’islam tout court. Les attentats, depuis, ont sacralisé toutes les caricatures sans distinction. Comment expliquer aux élèves que nous sommes arrivés au point où c’est justement quand la caricature est nulle, réduite à sa fonction la plus dégradante, sans dimension artistique, humoristique ou politique, qu’elle est censée illustrer à l’état pur la liberté d’expression et nos plus hautes valeurs républicaines, y compris l’affirmation de la dignité humaine ? À l’impossible nul n’est tenu.

POUSSÉE À L’ABSOLU, LA LIBRE EXPRESSION NE TOLÈRE PLUS LA LIBRE CRITIQUE

À la question de savoir si j’ai encore le droit, au pays de la libre expression, de m’indigner du caractère offensant de certaines caricatures sans être accusé de haïr la République, la pesante atmosphère qui règne aujourd’hui me dit que non. Poussée à l’absolu, la libre expression ne tolère plus la libre critique. Les textes constitutionnels que j’ai cités ont beau évoquer le respect des croyances, on peut dire que les djihadistes ont atteint leur but : nous pousser à bout, ériger les caricatures en absolu, au risque d’isoler la France. Vos élèves liront avec profit le sage éditorial de Soulayma Mardam Bey dans le quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour (27 octobre 2020) : « Pour beaucoup de Français, les caricatures sont aujourd’hui le symbole même de leur identité. Pour beaucoup de musulmans au Moyen-Orient, elles sont la négation de la leur. Ce dialogue de sourds prend actuellement des proportions démesurées, chacun se drapant dans une conception puriste et quelque peu anachronique de qui il est, la République pour les uns, l’islam pour les autres, comme si l’une et l’autre, en plus d’être par nature inconciliables, répondaient de surcroît à des critères immuables, hermétiques au temps et à l’espace. »

De fait, il est tout aussi vain de camper sur l’unicité de la République, source exclusive de toute valeur, que de pousser à l’extrême l’idéologie politique de l’unicité en islam, la fameuse tawhid. Professeurs d’histoire-géographie, votre mission est justement de rappeler que nous sommes plongés dans le temps et dans l’espace, que nos valeurs les plus chères, y compris la liberté d’expression, ont une histoire souvent venue d’ailleurs, et que nous devons garder prise sur leur définition et leurs conditions d’exercice. Je sais : cette tâche dépasse vos forces et le « cadrage » officiel a ses limites. Mais si vous voulez faire de vos élèves des citoyens et, tout simplement, des adultes, apportez-leur tous les éléments du débat, comme j’ai essayé de le faire ici. Ne les enfermez pas dans des vérités toutes faites. Ils méritent mieux que cela.

par François Héran, le 30 octobre

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LA RESTITUTION DES OEUVRES D'ART AFRICAIN

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LA QUESTION DES RESTITUTIONS EST INSCRITE DANS L'ADN DES INDÉPENDANCES

Les députés français ont donné leur feu vert pour la restitution de 26 œuvres d'art au Bénin et d'un sabre au Sénégal. Marie-Cécile Zinsou, historienne de l'art explique "qu'il ne s'agit pas de vider les musées français au profit du continent africain"

Publication 09/10/2020

Près de trois ans après le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadouou, les députés français ont donné leur feu vert pour la restitution de 26 œuvres d'art au Bénin et d'un sabre au Sénégal. Marie-Cécile Zinsou, franco-béninoise, historienne de l'art et présidente de la Fondation Zinsou, explique "qu'il ne s'agit pas de vider les musées français au profit du continent africain" mais de rendre un patrimoine accessible aux jeunes béninois et sénégalais : "Nous sommes là pour créer l'avenir" dit-elle.

Le problème doit être analysé "d'une façon ouverte" souligne Hamady Bocoum, directeur du Musée des civilisations noires de Dakar : "La question des restitutions est inscrite dans l'ADN des indépendances [...], elle dépasse l'Afrique et implique aussi l'Europe".

Video: cliquer sur le lien : https://youtu.be/ImddPzQBj4E

LE TABOU DE LA TRAITE NEGRIERE ARABE

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LE TABOU DE LA TRAITE NEGRIERE ARABE

La traite négrière est triple : l’occidentale (la plus dénoncée), l’intra-africaine (la plus tue) et l’orientale (la plus taboue).

L’Afrique a connu des traites tout aussi violentes et dévastatrices que la traite transatlantique. Il s’agit des traites orientale et transsaharienne, organisées par les Arabes, pendant treize siècles sans interruption.

La traite transatlantique pour sa part, a duré quatre siècles. Tidiane N’Diaye, anthropologue et économiste sénégalais, s’est penché sur le sujet dans son ouvrage “Le génocide voilé”.

“La plupart des gens braquent toujours les projecteurs sur la traite transatlantique pratiquée par les Européens en direction du Nouveau monde. Mais, en réalité, l’esclavage arabo-musulman a été beaucoup plus important parce que, quand je fais la synthèse des travaux existant, pour la traite transatlantique on se situe dans une fourchette entre  9, 6 et 11 millions d’individus, alors que pour la traite arabo-musulmane, ce sont 17 millions de victimes” affirme le Sénégalais.

Groupe d'esclaves menés par un négrier arabe armé, Zanzibar, 1889

Groupe d'esclaves menés par un négrier arabe armé, Zanzibar, 1889

Africains esclavagistes

Les razzias effectuées en Afrique de l’est par la route transsaharienne vers le Maroc ou l’Égypte concernent huit millions d’Africains.

Neuf autres millions ont été déportés dans les régions de la mer Rouge ou de l’océan Indien. Mais, ces statistiques, évoquées par le chercheur sénégalais, sont relativisées par Abdulazizi Lodhi, professeur de swahili et de linguistique africaine à l’Université d’Uppsala en Suède.

“L’esclavage faisait partie de diverses cultures africaines et, dans de nombreuses sociétés africaines, il n’y avait pas de prisons, de sorte que lorsqu’ils capturaient des gens, ils les vendaient, surtout vers le Nord. Ces esclaves pouvaient devenir des soldats et avoir des grades dans d’autres pays. En Afrique de l’est, les principaux participants à la traite négrière étaient les Africains tribaux eux-mêmes. En ce qui concerne l’exportation, les Arabes étaient les plus actifs parce qu’ils s’occupaient du commerce d’exportation et non de la capture d’esclaves en tant que tels. Ils achetaient neuf esclaves sur dix aux esclavagistes africains ” explique Abdulazizi Lodhi.

La traite arabo-musulmane que l’anthropologue Tidiane N’Diaye qualifie de “génocide de peuples noirs”, serait selon lui, en partie à l’origine de la pauvreté, la longue stagnation démographique et le retard de développement actuel que connait l’Afrique.

Et bien que ce fléau ait été aboli, on estime que près de 40 millions de personnes dans le monde vivent encore en esclavage. Le continent africain bien sûr n’est pas épargné.

Marché aux esclaves à Zabid (Yémen) où Abu Zayd vend son fils à al-Harith, manuscrit de l'école de Bagdad, 1237

Marché aux esclaves à Zabid (Yémen) où Abu Zayd vend son fils à al-Harith, manuscrit de l'école de Bagdad, 1237

Les acteurs de la traite arabe

Les esclaves noirs étaient capturés, transportés et achetés par des personnages très différents. La traite passait par une série d’intermédiaires et enrichissait une certaine partie de l’aristocratie musulmane.

L’esclavage se nourrissait des guerres entre peuples et États africains, ce qui donnait lieu à une traite interne. Les vaincus devaient un tribut constitué d’hommes et de femmes réduits en captivité. Sonni Ali Ber (1464-1492), empereur du Songhaï, mena de nombreuses guerres pour étendre son territoire. Bien qu’il fût musulman, il réduisit en esclavage d’autres musulmans vaincus. La dynastie des Askia (Mali) eut la même politique.

Aux VIIe et IXe siècles, les califes avaient tenté d’organiser la colonisation des rivages africains de l’océan Indien à des fins commerciales. Mais ces établissements furent éphémères, souvent fondés par des exilés ou des aventuriers. Le sultan du Caire envoyait des trafiquants d’esclaves pour opérer des raids sur les villages du Darfour. Des bandes armées aux ordres de marchands allaient incendier les villages et rapportaient des captifs, souvent des femmes et des enfants. Face à ces attaques, les populations formaient des milices, érigeaient des tours et des enceintes afin de protéger leurs villages.

Les marchands arabes et berbères d’Afrique du Nord échangeaient des esclaves contre de l’or, du sel, des épices ou des métaux dans les empires d’Afrique occidentale. Ainsi, dans la capitale de l’empire du Ghana Koumbi-Saleh, la population était répartie par quartiers en fonction des ethnies, des clans et des activités : le quartier des Blancs étaient réservés aux marchands arabes qui disposaient de mosquées alors que l’Empire était majoritairement animiste. L’Empire du Mali (XIIIe – XVe siècles) poursuivit les échanges avec les États d’Afrique du Nord et l’on a rencontré des marchands arabes et juifs dans les villes.

Maures pillant un village nègre, in Le Sénégal, René Geoffroy de Villeneuve, 1814, BNF

Maures pillant un village nègre, in Le Sénégal, René Geoffroy de Villeneuve, 1814, BNF

Buts de la traite et de l’esclavage

Les motifs économiques étaient les plus évidents. Dès les débuts de la conquête arabo-musulmane, le manque de main-d’œuvre entraîna le besoin d’utiliser des esclaves sur les chantiers ou dans les mines de sel. La traite occasionnait de grands profits pour ceux qui la maîtrisaient. Plusieurs cités se sont enrichies et ont prospéré grâce au trafic des esclaves, aussi bien au Soudan qu’en Afrique orientale. Dans le désert du Sahara, les chefs lançaient des expéditions contre les pillards de convois. Les souverains du Maroc médiéval avaient fait construire des forteresses dans les régions désertiques qu’ils dominaient afin d’offrir des haltes protégées aux caravanes. Le sultan d’Oman a transféré sa capitale à Zanzibar (signifiant « côte des Noirs »), car il avait bien saisi l’intérêt économique de la traite arabe. Plusieurs milliers d’esclaves transitaient par Zanzibar chaque année au XIXe siècle avant d’être déportés en Arabie, voire au Brésil. Le palais du sultan témoigne encore de sa fortune. Plusieurs milliers d’autres hommes travaillaient de force dans les plantations.

C’était aussi souvent à des fins sexuelles. En effet, dans l’aire arabo-musulmane, les harems nécessitaient un « approvisionnement » en femmes.

Il existait en outre des raisons sociales et culturelles à la traite : en Afrique subsaharienne, la possession d’esclaves était le signe d’appartenance à un haut rang social.

A Constantinople (empire ottoman), 1836

A Constantinople (empire ottoman), 1836

Pour finir, il est impossible d’ignorer la dimension religieuse et raciste de la traite. Punir les mauvais musulmans ou les païens tenait lieu de justification idéologique à l’esclavagisme : les dirigeants musulmans d’Afrique du Nord, du Sahara et du Sahel lançaient des razzias pour persécuter les infidèles : au Moyen Âge, l’islamisation était en effet superficielle dans les régions rurales de l’Afrique. Les lettrés musulmans invoquaient la suprématie raciale des Blancs, qui se fondait sur le récit de la malédiction proférée par Noé dans l’Ancien Testament (Genèse 9:20-27). Selon eux, elle s’appliquait aux Noirs, descendants de Cham, le père de Canaan, qui avait vu Noé nu. Les Noirs étaient donc considérés comme « inférieurs » et « prédestinés » à être esclaves. Plusieurs auteurs arabes les comparaient à des animaux. Le poète Al-Mutanabbi méprisait le gouverneur égyptien Abu al-Misk Kafur au Xe siècle à cause de la couleur de sa peau.

Le mot arabe abid qui signifiait esclave est devenu à partir du VIIe siècle plus ou moins synonyme de « Noir ». Quant au mot arabe zanj, il désignait de façon péjorative les Noirs. Ces jugements racistes étaient récurrents dans les œuvres des historiens et des géographes arabes : ainsi, Ibn Khaldoun a pu écrire au XIVe siècle : « Les seuls peuples à accepter vraiment l’esclavage sans espoir de retour sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade de l’animal ». À la même période, le lettré égyptien Al-Abshibi écrivait « Quand il [le Noir] a faim, il vole et lorsqu’il est rassasié, il fornique ». Les Arabes présents sur la côte orientale de l’Afrique utilisaient le mot « cafre » pour désigner les Noirs de l’intérieur et du Sud. Ce mot vient de « kāfir » qui signifie « infidèle » ou « mécréant ».

http://environnement-afrique.com/

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CES ENFANTS METIS DE LA COLONISATION - FRANCE & BELGIQUE

LA BELGIQUE PRESENTE SES EXCUSES A SES ENFANTS METIS

Bruxelles a officiellement présenté le 4 avril 2019 ses excuses pour les "injustices" subies par les milliers d'enfants métis nés de pères belges au Congo, Rwanda et Burundi pendant la période coloniale. Enfants qui furent par la suite arrachés à leurs mères africaines et victimes de ségrégation. Ils furent souvent confiés à des institutions religieuses.

Des soldats congolais montent la garde devant le buste du roi Léopold II à l'entrée du Camp Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa), le 3 septembre 1942. (WESTON HAYNES/AP/SIPA / AP)

Des soldats congolais montent la garde devant le buste du roi Léopold II à l'entrée du Camp Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa), le 3 septembre 1942. (WESTON HAYNES/AP/SIPA / AP)

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Laurent Ribadeau Dumas Rédaction Afrique France Télévisions
publié le 07/04/2019 | 10:25

"Au nom du gouvernement fédéral belge, je présente nos excuses aux métis issus de la colonisation belge et à leurs familles pour les injustices et les souffrances qu'ils ont subies", a déclaré le Premier ministre, Charles Michel, devant la Chambre des représentants. Il a dit souhaiter que "ce moment solennel soit une étape supplémentaire vers une prise de conscience de cette partie de notre histoire nationale".

En 1885, la conférence de Berlin avait reconnu au roi des Belges Léopold II "la possession à titre privé d'un vaste territoire au cœur de l'Afrique noire, qui sera baptisé 'Etat indépendant du Congo'", rappelle le site herodote.net. Une "propriété privée" (aujourd’hui République démocratique du Congo) que le souverain va "saigner à blanc"… A l’issue de la Première guerre mondiale, le Ruanda-Urundi, alors territoire allemand regroupant Rwanda et Burundi, était tombé dans l’escarcelle de la Belgique. Les trois pays sont devenus indépendants au début des années 1960.

Un "tabou"

Le sort des enfants nés de pères belges et de mères congolaises, rwandaises et burundaises pendant la colonisation "a longtemps été tabou en Belgique". Pour le cofondateur de l’association Métis de Belgique, François d’Adesky, entre 14 000 et 20 000 bébés métis sont issus de liaisons entre colons et femmes africaines.
"L'homme blanc qui vivait avec son enfant et sa partenaire africaine devait se comporter discrètement en public, violant apparemment une loi coloniale, une sorte d'apartheid non écrit, mais irrésistible. S'il ne le faisait pas, son contrat (lui permettant de séjourner dans la colonie pouvait) pouvait être rompu", explique le site de l’association. "La femme africaine ne pouvait épouser son mari européen qu'en vertu de son droit coutumier et non selon la loi belge." Ces unions n’avaient donc pas de valeur pour la Belgique.

De même, la plupart des enfants nés dans ces couples n’ont pas été reconnus par leurs pères. Ceux que l’on appelait "mulâtres" (mot venant étymologiquement de "mulet, bête hybride", dixit le Petit Robert) ne devaient se mêler ni aux Blancs, ni aux Africains, phénomène que Charles Michel a qualifié de "ségrégation ciblée". Ces enfants étaient parfois considérés "comme l’incarnation de la décadence morale qui se propage aux colons", rapporte le site axelmag.be. Ils furent donc vus "comme un problème, voire un danger, puis un tabou", observe TV5monde.

"Dès la mort de mon père, en (19)56 (j’avais six mois à l’époque), les autres Belges chassèrent ma mère avec les enfants de la maison que nous occupions, ils prirent les meubles (et les) objets de valeur pour les renvoyer en Belgique. Deux ans après (...), tous ses biens aux colonies (avaient) disparu. Mon père avait souscrit une assurance pour nous permettre d’étudier, mais jamais cet argent ne fut confié à ma mère. Une Africaine, vous pensez, comment allait-elle gérer ce petit pécule, on n’en a jamais vu la couleur…", a raconté l'un de ces enfants au journal Le Soir.

Seuls 10% de ces petits métis ont été reconnus par leur père, raconte François d’Adesky. Résultat : les autres ont été abandonnés "chez les missionnaires (les mères ne pouvant pas s’y opposer)", selon axelmag.be. Nombre d’entre eux ont été "envoyés dans des institutions religieuses comme le pensionnat des Sœurs à Save au Rwanda", précise TV5monde. Certains se sont retrouvés à la rue. 

En 2017, l’Eglise catholique a présenté ses excuses et ouvert ses archives sur cette période.

"Politique d’enlèvements"

Au moment des indépendances, "les religieuses de Save et un prêtre belge, le père Delooz, ont le sentiment que la situation, au Rwanda et au Congo, va évoluer très vite, que le Mwami (le roi) et les Tutsis en général n’aiment pas les enfants mulâtres, qui pourraient se retrouver en danger", rapporte Le Soir. Entre 1959 et 1962, un millier d'entre eux ont été rapatriés en Belgique par les autorités du royaume dans des conditions controversées. Ils ont été séparés de leurs mères et du reste de leur famille. Avant d’être placés dans des pensionnats ou adoptés par des familles belges.

"La répartition des enfants métis sur l'ensemble du territoire de la Belgique s'est effectuée en séparant les fratries et a entraîné des pertes d'identité dues aux différents changements de prénoms, de noms, de dates de naissance", a expliqué Charles Michel. Déplorant "une politique d'enlèvements forcés", il a évoqué aussi leur "extrême difficulté" à reconstruire ensuite leur vie dans le pays. Et à recevoir la citoyenneté belge, faute de reconnaissance par le père.

Pour le cofondateur de Métis de Belgique, né en 1946 d'un père belge, employé d'une société minière, et d'une mère rwandaise, ces excuses de l'Etat belge sont "un événement historique". Lui-même dit avoir eu la chance d'être reconnu par son père et de compter parmi les premiers revenus en Belgique, dans les années 1950. "Mais ma mère a dû rester au pied de l'avion. Je ne l'ai revue que 23 ans après", a raconté François d'Adesky à l'AFP.

François d’Adesky est né d’un père colon et d’une mère rwandaise. Avec ses frères et sœurs, ils sont placés à l’Institut de Save, un internat pour enfants métis au Rwanda. A l’âge de sept ans, dans les années 50, il est parmi les premiers métis à arriver en Belgique. La fratrie vit d’abord avec le père – qui les avait reconnus, cas plutôt rare – puis est prise en charge par une association de protection des « enfants mulâtres ». Hautement diplômé, ancien directeur au sein des Nations unies, cet homme de 73 ans a co-fondé l’Association des Métis de Belgique (AMB) et se bat depuis des années pour que la Belgique s’excuse auprès de ces enfants de la colonisation, arrachés à leur mère et placés de force à l’adoption. Pour lui, il s’agit donc d’un jour historique.

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"J’ai été immatriculé comme indigène et n’ai pu recevoir l’éducation des petits Belges" :

L'odyssée du métis François d'Adesky  https://www.facebook.com/watch/?v=274534370312076

Jean-Claude Matgen

Publié le 05-04-19 à 09h36 

Né d’une mère rwandaise et d’un père belge, ce septuagénaire a vécu, comme ses frères et sa sœur, des drames et des injustices qu’il a surmontés.

L’une des chevilles ouvrières du "combat" mené pour la reconnaissance des discriminations faites aux métis nés d’une mère africaine et d’un père belge du temps de la colonisation est François d’Adesky, figure bien connue à Woluwe-Saint-Pierre. Ce "cadre" de l’Association des métis de Belgique a accueilli avec soulagement les excuses prononcées, jeudi, à la Chambre, par le Premier ministre Charles Michel, au nom de l’État belge.

Mariage coutumier

M. d’Adesky, né en 1946, à M’Bazi, au Rwanda, a vécu, avec ses frères et sa sœur, une véritable odyssée.

"Mon histoire est un peu particulière, dit-il d’emblée. Contrairement à l’écrasante majorité des autres enfants métis, moi et mes frères et sœur avons été reconnus par notre père. Celui-ci, qui travaillait pour le compte de la Générale de Banque, a manifesté l’intention d’épouser ma mère, ce qui lui a valu d’être licencié. Il a investi dans une plantation de café et s’est lancé dans le commerce de bovins. Ma mère était la cousine de l’avant-dernier roi du Rwanda. Mon père et elle ont fait un mariage coutumier qui n’a pas été légalisé par les autorités coloniales."

Cela a eu une incidence sur le jeune François. "J’ai été immatriculé comme indigène et n’ai pu recevoir l’éducation des petits Belges. C’est ainsi que j’ai rejoint un des orphelinats où l’on parquait les jeunes métis. Je pouvais, toutefois, contrairement à eux, rentrer chez mes parents le week-end et pour les vacances."

Coma et épilepsie

François et les siens auraient pu s’accommoder de cette existence mais un drame va tout compliquer. "Début 1953, mon père a eu un très grave accident de voiture. Il est resté plusieurs jours dans le fond d’un fossé et quand on a découvert son véhicule, son chauffeur était mort et lui était tombé dans le coma. Il en a gardé des séquelles à vie, devenant épileptique."

La grand-mère belge de François d’Adesky va entreprendre des démarches pour que la famille soit rapatriée et obtenir que tout le monde puisse gagner la Belgique car, en 1953, aucune personne de couleur ne pouvait y débarquer.

"Les choses ne se sont pourtant pas passées comme prévu, commente M. d’Adesky. "Lorsque nous avons embarqué dans l’avion qui devait nous emmener de Bujumbura à Bruxelles, le commandant de bord a refusé d’emmener ma mère, ma sœur, mes frères et moi. Finalement, il a accepté de décoller mais sans maman. Mon frère de 2 ans hurlait. Moi, je pleurais aussi toutes les larmes de mon corps mais mon père a promis de faire le nécessaire pour régulariser la situation depuis Bruxelles."

Trois Ave Maria et un Pater

Avant de quitter l’avion, ma mère m’a dit : "François, dis chaque soir trois Ave Maria et un Pater, et je suis sûre que nous nous retrouverons." À ce moment du récit, la voix de notre interlocuteur se brise et il lui faut quelques secondes pour reprendre ses esprits.

La suite ? Elle fut terrible. La famille vit grâce à l’aide de la grand-mère car le père voit son état de santé se dégrader. "Mais en 1955, ma grand-mère est morte et nous nous sommes retrouvés à la rue. Mon père avait deux frères. L’un vivait aux États-Unis, très loin de nous. L’autre, hélas, a tout fait pour capter l’héritage de ma grand-mère jusqu’à réussir à faire interner mon père dans un asile sordide après qu’il eut fait plusieurs crises d’épilepsie. Je suis allé voir mon père. J’avais neuf ans. Je n’ai pas pu retourner dans cet asile horrible. Je suis sûr que mon père s’y est laissé mourir de chagrin, incapable depuis cet endroit de faire revenir ma mère et incapable de prouver aux autorités qu’il n’avait rien à faire là. Il a été enterré dans une fosse commune, à Manage. Nous étions ravagés."

Adolescence à Woluwe-Saint-Pierre

Les enfants d’Adesky ont été pris en charge, après la mort de leur grand-mère, par l’Association de protection des mulâtres, subsidiée par l’État belge et aidée par des "dames patronnesses". "C’est la famille de Me Paul Coppens qui nous a pris sous son aile", explique François d’Adesky. Lequel se retrouvera placé, en compagnie de ses frères, au home Le Pilote, à Woluwe-Saint-Pierre. C’est là qu’il grandira avant de mener de très belles études supérieures (avec une maîtrise en sciences économiques à la clé) puis une carrière "internationale", notamment pour le compte de l’Onu.

"Pour tout vous dire, j’avais été à ce point déçu de la façon dont la Belgique nous avait traités, de la façon dont l’Église catholique avait participé au système de ségrégation mis en place par les autorités coloniales, de la manière brutale dont l’État belge avait, en 1971, coupé tout subside à l’Association de protection des mulâtres, du racisme dont j’avais été l’objet, notamment sur le plan professionnel, que je n’avais pas envie de retourner vivre en Belgique. Mais il se fait que j’ai été muté à Bruxelles et que ma femme, d’origine franco-britannique, s’y est tellement plu que nous avons fini par acheter une maison à Woluwe-Saint-Pierre, à quelques mètres… du home où j’ai grandi sous tutelle."

La boucle était donc bouclée. Mais entre-temps, il s’est passé un événement tout à fait extraordinaire. "En 1976, un de mes frères travaillait à Bangui. Il a raconté notre odyssée à l’épouse d’un coopérant. Celle-ci s’est souvenu du récit d’une amie qui semblait correspondre à ce qu’elle venait d’entendre. Cette amie lui avait parlé d’une Rwandaise qui, depuis plus de vingt ans, avait perdu tout contact avec son mari et ses enfants retournés en Belgique et qui cherchait désespérément à en retrouver la trace. Nous avons effectué tous les recoupements possibles et avons fini par acquérir la certitude qu’il s’agissait bien de ma mère."

"J’ai senti un regard posé sur moi"

M. d’Adesky reçoit une lettre de sa maman une semaine après la naissance de son premier fils. Il apprend qu’après avoir vécu au Burundi puis au Kivu, elle a rencontré un Rwandais hutu, elle qui était tutsi, s’est mariée et a eu des enfants.

"Je suis allé la voir mais mon avion a dû atterrir à Bujumbura au lieu de Kigali. C’était un vendredi. J’ai pu atterrir à Kigali le dimanche. Mon intention était de me rendre au siège de l’entreprise où travaillait son mari le lundi. Je marchais dans le hall de l’aéroport quand j’ai senti, réellement senti, dans mon dos, un regard posé sur moi. Je me suis retourné. Une femme me fixait des yeux. J’ai marché vers elle et elle vers moi. Nous nous sommes reconnus et sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Ma mère avait passé 48 heures dans l’aéroport en scrutant tous les passagers qui sortaient des avions y ayant atterri."

La mère de François d’Adesky lui confiera qu’elle avait toujours su qu’ils se retrouveraient et que grâce à ces retrouvailles, elle connaîtrait une fin de vie heureuse.

Sauf qu’en 1994, le Rwanda s’embrasait. "Le fait que ma mère ait épousé un Hutu a fait que les membres de ma famille ont échappé au pire. Mais je suis resté deux mois sans nouvelles d’eux. Non, ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille", conclut François d’Adesky, qui s’investit dans la vie politique (il est membre du MR) et associative de Woluwe, se bat contre le réchauffement climatique et, évidemment, pour la reconnaissance de ses "frères et sœurs" métis.

La nationalité Belge - la naissances - le mariage coutumier

PARLEMENT FRANCOPHONE BRUXELLOIS

20 OCTOBRE 2016

François d'Adesky – Co fondateur de l’association « metis de Belgique »

Madame la Présidente du Parlement francophone Bruxellois,
Monsieur le Président de l’Association des Metis de Belgique-Metis van België,
Mesdames et Messieurs les Membres du Parlement francophone Bruxellois, ainsi que des autres Parlements invités,
Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur pour moi de faire aujourd’hui devant votre auguste Assemblée, un exposé qui examinera tout d’abord la question de la nationalité belge concernant les metis issus de la colonisation.


1. La question de la nationalité belge
Si, en Métropole, la nationalité belge conférait la qualité pleine et entière de citoyen, il n’en était pas de même dans les territoires africains administrés par la Belgique à l'époque coloniale. En effet, le Conseil colonial belge par le truchement de la « Charte coloniale », qui était la Loi fondamentale, réservait au Congo et plus tard au Ruanda-Urundi la qualité de citoyen uniquement aux Belges originaires de la Métropole. En dehors des ressortissants étrangers principalement indo-pakistanais, grecs et portugais, les populations africaines colonisées par la Belgique ou sous son mandat étaient considérées nominalement comme des nationaux belges, mais juridiquement, n’étaient pas des sujets belges à part entière puisque non citoyens. En outre, le système colonial subdivisait les sujets belges d’Afrique en « civilisés ou évolués », qui étaient immatriculés quelles que soient leur ethnie et leur origine, et en « non-civilisés » dénommés « indigènes » et non-immatriculés.
Notons qu’une carte d’immatriculé fait référence à un matricule donc à un numéro, tandis que la carte d’identité prouve l’identité et donc la dignité. Par ailleurs, pour obtenir le statut « d’évolué », il fallait vivre à l’Européenne : c’est ainsi que fut mis en place, comme dans un monde orwellien, des inspecteurs qui visitaient l’intimité des postulants africains pour vérifier par exemple s’ils utilisaient un mouchoir pour se moucher, s’ils possédaient une radio et un réfrigérateur, s’ils mangeaient avec des couverts et s’ils parlaient le français, etc.
En 1948, le statut de sujet belge « évolué » fut « amélioré » entre guillemets par l’introduction d’une carte du mérite civique qui autorisait les « évolués » à circuler après 18H00 dans les quartiers réservés aux blancs et en 1952, le statut des « meilleurs » procuraient à l’élite d’entre eux au Congo (pour le Ruanda-Urundi ce fut en 1956) un document d’identité qui les assimilait à des citoyens belges et leur permettait par exemple d’envoyer leurs enfants à l’école européenne. On prodiguait dans les écoles européennes un enseignement de qualité sans communes mesures par rapport aux écoles pour indigènes.


Ces chiffres sont cependant à relativiser, car d’une part, sur une population de 14 millions de personnes au Congo en 1959, il n’y avait que 1.557 personnes détentrices d’une carte du mérite civique, parmi lesquelles 217 personnes seulement avaient obtenu la carte d’identité spéciale. D’autre part, ces Africains « meilleurs» restaient cependant des sujets auxquels la citoyenneté à part entière était toujours refusée.
Une des preuves était qu’un sujet belge d’Afrique ne pouvait pas se rendre en Belgique à cette époque. Même les marins congolais de la Compagnie Maritime Belge du Congo-Belge (CMCB) avaient interdiction de descendre à quai quand leur navire accostait à Anvers. Ils étaient confinés à bord tout le temps qu'ils étaient à l'ancre dans la métropole portuaire belge.
Cette interdiction entraîna cependant des désertions tant à Anvers, que dans les escales dans les ports français précédant l’arrivée à Anvers. Il était difficile d’empêcher des marins congolais de descendre à quai sur un territoire étranger. Les déserteurs se retrouvaient ensuite à Anvers où plusieurs avaient des petites amies, une des causes principales des désertions. Paradoxalement, ces marins étant en « droit » sujets belges en Belgique ; ils n’étaient pas expulsables et reçurent donc une carte d’identité de citoyen belge. Leur nombre fut si grand, qu’en 1951-1952 les Pères Rédemptoristes fondèrent l’Amicale des Marins Congolais d’Anvers (AMC).
Cette amicale se chargea de trouver du travail et un logement pour ces marins et s’occupa également de placer auprès de familles belges adoptantes les enfants metis nés de ces unions et que les compagnes anversoises n’osaient garder auprès d’elles. Ce placement se faisait parfois avec l’aide de l’Association Vreugdezaaiers/ « Semeurs de Joie » ou de l’Association pour la Protection et (ensuite) la Promotion des Mulâtres (APPM) (1).


2. La question des naissances
Mais où se situaient donc les metis dans ce système ségrégationniste, cependant non sanctionné par des lois raciales. Si les metis étaient dans une position intermédiaire dans ce régime discriminatoire avec des institutions qui leur étaient réservées, c’est la naissance et le lieu de celle-ci qui déterminaient en fait leur statut.
La législation coloniale était focalisée sur les « indigènes » ; et lorsqu’elle eut sur les bras les metis illégitimes abandonnés par leurs pères belges et blancs à l’échéance de leur mission dans la colonie, elle fut contrainte de bricoler. Ainsi, lorsque le metis était déclaré par la seule mère africaine, il entrait automatiquement dans le statut de l'indigène immatriculé, selon une ordonnance du gouverneur général du 15 juillet 1915 ; c’était encore le cas lorsqu’il était abandonné ou orphelin et que les services administratifs l’avaient identifié et fait passer sous la tutelle de l’Etat ; dans le cas contraire, le metis tombait sous le coup des lois coutumières.
L’accès à la nationalité belge était donc réservé aux metis « légitimes », légitimés ou reconnus par un père ayant la citoyenneté belge pleine et entière, selon les règles du droit métropolitain belge.
Néanmoins, pour faciliter le « déplacement » vers la Belgique des enfants metis de l’orphelinat pour mulâtres (terme utilisé à l’époque) de Save au Rwanda que Sarah Heynssens vient de vous détailler, dont beaucoup ont été enlevés à leur mère, le Gouvernement belge délivra des « laissez-passer » provisoires aux enfants. Pour la plupart, qui n’avaient pas de statut juridique propre lié à l’absence d’un acte de naissance, on trouvait d'urgence des témoins pour établir un « Acte de Notoriété » qui suppléait à cette absence. Sur base de ces « laissez-passer » les Communes belges de résidence de ces enfants leur délivrèrent des cartes d’identité belge.
Toutefois, une circulaire ministérielle du 24 septembre 1960 et publiée au Moniteur belge le 6 octobre 1960 vint créer le trouble. En effet, par cette circulaire (1) le Ministre de la Justice M. André Lilar enjoint aux Bourgmestres de retirer la nationalité belge aux indigènes du Congo, vu que leur pays est désormais indépendant. En ce qui concerne les metis, c’est-à-dire d’après la circulaire ministérielle : « les enfants de mère indigène », ne pourront conserver la nationalité belge que s’ils sont légitimes ou légitimés par un Belge ou s'ils ont été reconnus par un Belge.
La majorité des enfants metis n’étant pas dans ce cas, on leur retira donc la nationalité belge. Ils reçurent des cartes d’identité jaune pour étranger avec parfois les nationalités « fantaisistes » de Ruandais et Urundais étant donné que ces deux pays n’étaient pas encore indépendants en 1960.
Ces cartes d’identité d’étranger créèrent des drames pour les metis issus de la colonisation. D’une part, elles n’autorisaient qu’une circulation dans les pays du Benelux et d’autre part, les metis qui quittèrent volontairement la Belgique pour rejoindre leur famille africaine se retrouvèrent soudainement « apatrides » sur le sol du continent-mère.
Heureusement des personnalités de bonnes volontés s’émurent de cette situation et intervinrent auprès du Gouvernement. C’est ainsi que fut votée la loi du 22 décembre 1961 relative à l'acquisition ou au recouvrement de la nationalité belge par les étrangers nés ou domiciliés sur le territoire de la République du Congo ou par les Congolais ayant eu en Belgique leur résidence habituelle. Cette loi ayant une valeur juridique supérieure à celle de la circulaire ministérielle l’abrogea. En son article 2, §4, la loi permettait aux personnes qui possédaient la qualité de Belge de statut congolais – mais qui n’avaient pas acquis la nationalité belge en vertu des lois métropolitaines sur la nationalité – d’acquérir la qualité de belge par option pour une certaine période.
Elle a été abrogée ultérieurement par le Code de la nationalité belge du 28 juin 1984 qui, en son article 28, §1er, prévoyait une disposition transitoire permettant à ceux qui n’avaient pas introduit de déclaration en faveur de la nationalité belge d’en introduire une dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur dudit Code à deux conditions (art. 28, §2, Code de la nationalité belge) :

- Avoir eu sa résidence principale en Belgique durant les deux années précédant l’entrée en vigueur de ce Code.
- L’avoir maintenue jusqu’à la date d’introduction de la déclaration en faveur de la nationalité belge.
Ces deux lois ne comportant que des dispositions transitoires applicables aux Congolais de statut belge, le droit commun trouve aujourd’hui à s’appliquer aux personnes qui n’ont pas opté en temps et en heure pour la nationalité belge.
L’information à cette époque étant presque confidentielle sur les possibilités de recouvrement de la nationalité belge, beaucoup de metis ne purent bénéficier des avantages de ces deux lois.
Par ailleurs, les metis issus de la colonisation belge et résidant en Belgique étaient en fait mis sous tutelle dans les familles adoptantes, les familles d’accueil et les institutions où ils étaient placés. Notons que pour un metis légitime, légitimé ou reconnu, en cas de décès ou d’incapacité de son père belge, c’est le Conseil de sa famille belge qui avait la tutelle, même si cette famille rejetait cet enfant. D’autre part, en 1971, le Gouvernement belge arrêta ses subventions à l’APPM au prétexte que, 10 ans après les indépendances, les metis étaient dorénavant des « citoyens comme les autres belges et n’avaient donc plus besoin de protection spéciale ». Les enfants metis dépendant de l’APPM furent à partir de cette date pris en charge par les CPAS de leur lieu de résidence.
Cela ne régla pas pour autant le statut juridique de ceux qui avaient perdu la nationalité belge. Des metis récupérèrent la nationalité belge par mariage avec des citoyens belges et d’autres par la procédure coûteuse de la « naturalisation ». Plusieurs d’entre-eux durent également résoudre lors de leur mariage le casse-tête de l’absence d’un acte de naissance.


3. La question du mariage coutumier
La question du mariage coutumier, je l’évoquerai sous forme de témoignage personnel. Lors d’une discussion en 2011 avec des chercheurs de la CEGESOMA, dans le cadre de l’étude du déplacement vers la Belgique des enfants metis, j’avais déclaré que les mariages mixtes entre européens et africains étaient de fait interdits durant la période coloniale et que mon père avait été alors obligé de contracter un « mariage coutumier » avec ma mère : cela lui avait fait perdre son emploi de cadre dans la compagnie minière qui l’employait avant de pouvoir rebondir dans d’autres activités. D’après les chercheurs, il n’existait aucune interdiction officielle dans les colonies et, pour preuve, de citer le mariage légal du Capitaine Joubert avec la fille d’un Chef traditionnel congolais.
Pour ma part, je découvris, lors de recherches en 2014, que le mandat de tutelle de la Belgique sur le Ruanda-Urundi, octroyé par la SDN et confirmé par l’ONU, ordonnait l’obligation, pour la Belgique, à reconnaître les actes administratifs des autorités traditionnelles. Cela me remémora une démarche que j’avais entreprise d’une reconnaissance de noblesse belge – pour ma famille paternelle d’origine française avec un patronyme polonisé par l’Histoire – auprès du Service de la Noblesse dépendant du Service Public Fédéral des Affaires Etrangères. Cette démarche n’avait pas abouti, car le Service Public Fédéral m’avait demandé de produire l’acte de mariage de mes parents, que l’Etat colonial avait refusé de leur procurer. Rappelons que, pour être « noble » en droit de la filiation nobiliaire, il faut être un enfant « légitime », issu du mariage légal d’un noble.
Pour résoudre ce problème kafkaïen, il était possible soit d’intenter un procès en droit nobiliaire belge pour discrimination sur base de l’article 1er de la loi du 25 février 2003 qui stipule : qu’il y a discrimination directe si une différence de traitement qui manque de justification objective et raisonnable est directement fondée sur le sexe, une prétendue race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, etc., soit de chercher à légaliser le mariage coutumier de mes parents et permettre ainsi, à travers un cas particulier, une évolution significative de la législation en la matière. En effet, une légalisation d’un mariage coutumier « légitime » automatiquement les enfants nés de ce mariage.
Grâce à l’assistance d’un avocat metis belgo-rwandais issu de la colonisation belge et d’un avocat rwandais, j’ai obtenu en date du 17 février 2015 un Jugement supplétif qui vous est projeté sur l’écran (2) et qui légalise enfin le mariage coutumier de mes parents daté de 1945. Un des éléments décisifs dans cette procédure juridique fut le témoignage du généalogiste des clans royaux du Rwanda qui connaissait ce mariage coutumier et le nom de la vache qui en constituait la dot : Impirimba. Comme d’autres mères de metis au Rwanda, la mienne était connue parce qu’issue de l’aristocratie rwandaise, étant cousine du Mwami (Roi) Mutara III Rudahigwa et de son épouse la Reine Rosalie Gicanda. Cela a dû jouer en notre faveur durant la procédure juridique. Ce Jugement mit fin psychologiquement à une injustice et à beaucoup de souffrances familiales et pourra, je l’espère, faire jurisprudence.


4. Conclusion
Il faut reconnaître que, malgré les aléas de leurs histoires, la plupart des metis issus de la colonisation belge ont pu globalement se reconstruire sur le sol belge. Si certains parmi nous ont hélas échoué, beaucoup d’autres – suivant le degré de soutiens reçus de leurs familles, des familles adoptives ou d’accueil, ou des éducateurs des institutions où ils étaient placés – ont pu faire des études et réussir dans la vie. Malgré une interrogation lancinante sur leurs origines africaines, ils ont pu apporter leur contribution au rayonnement de la Belgique. Je pense en particulier à M. Georges Octors, Chef d’Orchestre et le plus grand violoniste belge des temps modernes ou encore à Mme Augusta Chiwy, Infirmière belge et héroïne de la bataille des Ardennes. Je n’oublie pas tous les autres metis qui ont apporté leur contribution comme citoyens à la vie et à l’honorabilité de notre pays.
Le combat des metis issus de la colonisation belge a ouvert la voie à l’intégration des minorités visibles dans notre pays et a également favorisé l’instauration d’une Société Ouverte (Open Society) en Belgique. Il est notoire que la nouvelle génération des metis de Belgique nés de couples mixtes post-colonisation peut épanouir plus facilement ses talents que nous le pûmes. Espérons que les jeunes personnalités belges metisses telles que Jean-Paul Van Haver, dit Stromae, Laura Beyne, Miss Belgique 2012 et actuellement Présentatrice-vedette chez RTL-TVI ou encore Nafissatou Thiam, la récente médaillée d’or des Jeux Olympique de Rio, découvrent un jour notre histoire et la route que nous avons tracée pour eux.
D’autre part, concernant la douzaine de milliers de metis issus de la colonisation belge au Congo et restée auprès de leurs familles africaines à l’indépendance de ce pays, nous constatons qu’elle s’est également bien débrouillée dans son ensemble. Cela malgré les vicissitudes que traversa ce pays et qui pénalisèrent la première génération de metis à qui on déniait parfois la nationalité congolaise et dont on doutait du patriotisme. Les générations suivantes s’intégrèrent mieux et font désormais partie de la classe moyenne ou de l’élite congolaise actuelle. Toutefois, reste en permanence la frustration d’avoir été abandonnés par leurs ancêtres « biologiques » belges et de ce qu’ils clament être une ingratitude de la Belgique à leur égard. C’est ainsi qu’a été créée à Kinshasa « l’Association des enfants laissés par les Belges au Congo ». Cette Association milite pour que la Belgique reconnaisse ses responsabilités à l’égard des metis congolais issus de la colonisation belge et de leurs descendants.
En ce qui concerne le Kivu, le Rwanda et le Burundi, les orateurs précédents nous ont expliqué comment la plupart des 700 metis issus de la colonisation dans cette région, dont les 300 enfants regroupés à l’orphelinat de Save furent déplacés en Belgique. Les rares qui restèrent furent malheureusement rattrapés par la problématique « Hutus-Tutsis ». Le cas du Rwanda étant le plus emblématique. En effet, les metis issus de la colonisation belge qui sont restés au Rwanda après l’indépendance et qui ne possédaient pas de nationalité étrangère, se virent attribuer la nationalité rwandaise conformément au Code de la nationalité rwandaise de 1963.
Ils reçurent comme tous les autres Rwandais nés de parents rwandais une carte d’identité à « mention ethnique ». Cette mention n’était prévue par aucune loi. Il s’agissait donc d’une simple pratique administrative, héritée de la colonisation allemande puis du mandat belge, par laquelle l’enfant était classé dans « l’ethnie » de son père, ou bien dans celle de sa mère, au cas où son père était étranger ou inconnu.
Comme la plupart de ces metis avaient des mères classifiées comme « tutsies », ils subirent les aléas liés au groupe classifié comme « tutsi » durant la période 1962 à 1994 et eurent des destins tragiques durant le génocide de 1994, particulièrement la petite communauté metisse établie depuis 1930 à Gisenyi.
Pour finir, je souhaite aussi rappeler que le destin dramatique vécu par les metis issus de la colonisation belge, le fut plus encore par leurs mères. Lors d’une visite en famille des bâtiments de l’ancien orphelinat de Save en 2005, je fus entouré par 5 femmes âgées, qui me racontèrent s’être établies sur place depuis 1962 en attendant le retour, avant de mourir en paix, des enfants metis que les « blancs » leur avaient volés. L’AMB espère donc – via des recherches dans les archives, l’aide des Ambassades belges dans les pays des Grands-Lacs et des Gouvernement locaux – identifier les familles africaines des metis belges souhaitant renouer avec leurs origines africaines.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, l’AMB compte vivement sur votre appui pour mettre fin à des drames humains et à des casse-têtes juridiques et réparer ensemble, dans la justice et la dignité, les injustices de notre histoire commune afin que cette histoire retrouve toute sa dignité.
Merci à toutes et à tous de votre attention.

Métis : Avec les enfants cachés de la France coloniale

Publié le : 10/07/2020 - 14:43

Reporters © FRANCE 24

Par : Caroline DUMAY & Thaïs BROUCK

Durant la période coloniale, plusieurs milliers d’enfants issus de relations entre des colons et des Africaines sont abandonnés par leur père et arrachés à leur mère. Sur décision du gouverneur général de l’Afrique-Occidentale française, ces "métis des colonies" sont séparés du reste de la société et placés dans des orphelinats. À travers des témoignages inédits, France 24 retrace l’histoire oubliée de ces enfants cachés de la Nation, dépourvus de leur filiation et en quête de reconnaissance. Regardez notre documentaire exceptionnel de 27 minutes.

Tout a commencé en 1903, lorsque le gouverneur Ernest Roume, à la tête de l'Afrique-Occidentale française (AOF), décide la mise en place d’espaces dédiés pour les enfants nés de père français et de mère "indigène", les "bâtards de la République". Dans la colonie Côte d’Ivoire, le "Foyer des métis" voit le jour dans le majestueux ancien Palais des gouverneurs de Bingerville.

André Manket, 90 ans, en fut l’un des premiers pensionnaires. Il a les larmes aux yeux lorsqu’il raconte son kidnapping. "Ils sont venus me chercher dans mon village de pêcheurs d'Anono et m'ont emmené de force. J'avais sept ans. Ma tante était en pleurs...", témoigne le vieil homme, qui est arrivé à Bingerville entouré de deux gardes coloniaux. "On m'a dit : 'Guerard', le nom de votre père, c'est fini. Maintenant, vous prendrez le nom de votre mère." On lui a aussi donné un numéro : le 39. Ce qui signifiait qu’avant lui, il y avait 38 garçons et filles, dont le seul point commun était la couleur de leur peau, métissée.

Traumatisme

Maurice Berthet, lui, ne comprend pas. Il n’est pas Français, mais il possède pourtant des terres à Vitry-le-François, qu’il a obtenues par héritage... "Mon père ne m’a jamais abandonné ! Mais il ne savait pas comment faire. Il coupait du bois et vivait dans la forêt", explique-t-il.

L’abandon est une chose, la perte d’identité en est une autre. Pour avoir accès à Bingerville et au statut de "pupille de la Nation", il fallait se déclarer "orphelins", même quand on ne l’était pas. 

Même son de cloche pour Calile Sahily, le président de l’Association des anciens élèves de l’orphelinat et du Foyer des métis (AEFOCI). "Comment pouvait-on être hier pupilles de la Nation - et donc enfants de l’État français - et ne pas être Français aujourd’hui ? C’est une aberration !",  fait-il remarquer.

Ils ont beau être désormais âgés de plus de 80 ans, le traumatisme est encore bien vivace. "Nous étions la risée de tous. Nos mères étaient traitées comme des prostituées", explique aussi Monique Yace. "On nous traitait de bâtards, de peau grattée... Nous mettre à l’orphelinat, c’était légaliser l’abandon", ajoute, de son côté, Philippe Meyer. Tous aujourd’hui se considèrent comme des "victimes de la colonisation".

Bien éduqués, la plupart de ces métis se sont bien intégrés à la société ivoirienne. Jeanne Reinach, née Langui, est le produit de cette génération d’enfants cachés. Si elle porte le nom de l’une des familles françaises les plus riches de l’avant-guerre, elle n’a, par contre, jamais obtenu la nationalité française. Elle a dû attendre 77 ans pour apprendre que son grand-père, Théodore Reinach, était député de Savoie, membre de l’Institut de France, propriétaire de châteaux et de villas... "Nous en voulons à la France parce qu’elle n’a rien fait pour nous", confie-t-elle, amère.

"Mettre le débat sur la table"

À l’indépendance de la Côte d’ivoire, en 1960, la question de ces enfants n’a jamais été mise sur la table. "Ceux qui ont réussi à obtenir la nationalité française sont ceux qui se sont fait établir, avant leur majorité, un jugement supplétif d’acte de naissance en précisant que le père était présumé d’origine française", explique Patricia Armand, secrétaire générale de l’AEFOCI. Encore fallait-il être informé... La juriste est aussi petite-fille de colon, mais elle n’a jamais réussi à retrouver les traces de son grand père, Fernand Combaluzier, pourtant administrateur foncier.

Beaucoup d'Ivoiriens souhaitent désormais que la France s'inspire de la Belgique qui, en avril 2019, s'est officiellement excusée auprès des enfants métis nés dans ses anciennes colonies. Le mois dernier, cinq femmes métisses, nées dans le Congo colonisé, ont assigné le royaume en justice pour "crimes contre l'humanité". Elles dénoncent des enlèvements systématiques d'enfants comme elles, entre 1911 et 1960. 

La France sera-t-elle à son tour ciblée par ce type de démarche ? Auguste Miremont, ancien ministre de la Communication de Félix Houphouët-Boigny, qui a, lui aussi, grandi au Foyer des Métis, estime qu’"il est temps maintenant de mettre ce débat sereinement sur la table".

Black Lives Matter : déconstruire les mécanismes du racisme

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Le racisme s’est nourri au fil de l’histoire de l’ignorance, de la cupidité et de la lâcheté des sociétés humaines. Qu’il soit inconscient ou assumé, il est le produit d’une construction intellectuelle complexe qui impacte chacun d’entre nous. Bourreau ou victime, on est tous concernés.

L’affaire George Floyd aura eu le mérite de faire resurgir toute une documentation enfouie dans les poubelles de l’histoire, qui donne enfin la parole aux sans-voix, et permet de prendre la mesure de ce fléau, dans sa complexité, sa diversité.

Si les noirs font figure de peuple martyr, concentrant sur eux le rejet des autres peuples (occidentaux, arabes et asiatiques), ils ne sont pas pour autant exempts de reproches et à l’abri de ces travers car ils ont souvent participé activement au racisme systémique dans le rôle du “nègre de service”, et comble de misère, nombre de témoignages rapportant des actes à caractère racistes sont perpétrés quotidiennement contre … des noirs. On appelle cela pudiquement xénophobie, communautarisme, complexe de l’uniforme ou de la blouse, abus de pouvoir ou … lutte des classes.

Les fondements du racisme sont à rechercher dans l’histoire, l’économie, la philosophie, et si l’on peut légitimement s’indigner des manifestations de racisme, les éradiquer nécessitera un travail d’information, d’éducation et un dialogue entre les protagonistes afin de rétablir la vérité historique et la justice.

Tous les peuples, chacun à son niveau, ont contribué à l’évolution de l’humanité. Vouloir le nier ou établir une hiérarchie est en soi un acte fondateur du racisme.

Liens utiles pour comprendre le phénomène:

Le tabou de la traite négrière arabe :

Kakou Ernest TIGORI - Prix Mandela de littérature 2017 : l’Afrique à désintoxiquer :

Etre noir au Liban : un combat quotidien contre le racisme :

Arte - Aux sources européennes du racisme :

TV5 : Juliette Esmeralda : la couleur des pharaons :

Cheikh Anta Diop : en finir avec le complexe du colonisé :  

France 2 : Pascal Blanchard - historien: Le racisme inconscient et les stéréotypes :

Le berceau humain: les origines négro-africaines de l'Egypte antique - version française : 

AJ+ - Carte à fric : qui a traçé les frontières des Etats africains ?

Général Alexandre Dumas, le héros noir oublié :

La Charte du Mandé : 1ère déclaration des Droits de l'Homme de l'histoire :

Interview Alain Mabankou sur TV5 : 

Pascal Blanchard, historien : l'histoire coloniale de la France n'est toujours pas assumée :

Pascal Blanchard, historien : Celui qui naît avec une couleur a un destin :

Lisapo Ya Kama - Le projet de Cheikh Anta Diop pour l'Afrique:

TV5 : Les noirs en France du 18e siècle à nos jours :

Chasselay 1940 : tirailleurs sénégalais massacrés par les nazis :

Le racisme envers les gitans :

La théorie complotiste d’Eric Zemmour sur les Verts et l’Islam vaut le détour(nement) :

La colonisation en Afrique : résumé sur carte :

La Conférence de Berlin 1885 sur le partage de l’Afrique :

Arte : l’Islam n’a pas aboli l’esclavage :

“Strange fruit” de Billie Holiday : un hymne antiraciste :

L’indépendance sanglante de Madagascar :

Discours du Premier Ministre Patrice Lumumba lors de la proclamation de l’indépendance du Congo :

Arundhati Roy : Le racisme indien envers les noirs est presque pire que celui des blancs :

RTBF - Congo belge : la stigmatisation des enfants métis :

Le racisme anti-blanc existe t-il ?

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Cheikh Anta Diop : en finir avec le complexe du colonisé

“Le complexe de l’africain est très très très profond: il préfère croire le mensonge dans la bouche d’un blanc que la vérité dans la bouche d’un noir”

Extraits d’une conférence à l’université de Niamey, où un étudiant l’interrogeait sur le moment où ses thèses seraient reconnues ?

Cliquer sur la vignette pour voir la vidéo.