LE FRANC CFA TOUJOURS BIEN VIVANT, UN AN APRÈS L'ANNONCE DE SA DISPARITION
"Cette réforme Macron-Ouattara est un coup de bluff", déplore l'économiste Ndongo Samba Sylla. Selon plusieurs observateurs, la Côte d'Ivoire, principale économie de la zone avec le Sénégal, n'est pas particulièrement pressée de faire bouger les choses
AFP | Publication 25/12/2020
2020 devait voir naître l'eco, une monnaie commune pour remplacer le franc CFA en Afrique de l'Ouest, après 75 ans d'existence. Mais sur les marchés d'Abidjan ou de Lomé, les vieux billets continuent de s'échanger.
Un an après l'annonce en grande pompe par les présidents français et ivoirien Emmanuel Macron et Alassane Ouattara de la fin d'un des derniers vestiges de la "Françafrique", le traité est en train d'être ratifié par les parlementaires français.
Mais de nombreuses questions concrètes restent encore en suspens.
Eco/Franc CFA : quels changements ?
Outre le changement symbolique du nom de la devise, l'avènement de l'eco va modifier deux choses.
D'abord, la France va cesser de participer aux instances de gouvernance de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Ensuite, la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) ne devra plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France, obligation qui était perçue comme une dépendance humiliante vis-à-vis de la France par les détracteurs du franc CFA.
"Ce sont deux questions particulièrement symboliques qui cristallisaient la quasi-intégralité des critiques adressées au franc CFA", assure à l'AFP une source à l'Elysée.
Une chose ne change pas en revanche: l'indexation de la devise sur le cours de l'euro qui apporte une stabilité aux économies des pays de la zone mais les rend également dépendants de la politique monétaire de la Banque centrale européenne.
"Cette réforme Macron-Ouattara est un coup de bluff. Le cadre de la politique monétaire demeure inchangé, elle a juste porté sur les symboles qui fâchent comme le nom", déplore Ndongo Samba Sylla, économiste à la Fondation Rosa Luxembourg à Dakar.
"La question de la parité a été méticuleusement discutée en amont de l'annonce de la réforme et la réponse de nos interlocuteurs africains (…) était qu'il était souhaitable de maintenir cette parité, essentiellement pour des questions d'attractivité", répond une source à l'Elysée, reconnaissant un débat "légitime".
Une autre union monétaire en Afrique centrale, distincte de l'UEMOA, utilise également le franc CFA et n'est pour l'instant pas concernée par la réforme.
Une monnaie commune... avec qui ?
L'annonce de la nouvelle monnaie commune concerne les pays de l'UEMOA qui utilisaient le franc CFA : Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo.
Mais l'idée d'un eco plus large est régulièrement évoquée, en y intégrant d'autres pays comme le Ghana et surtout le Nigeria, poids lourd économique du continent qui pèse 70% du PIB de la sous-région.
A maintes reprises, la ministre des Finances, Zainab Shamsuna Ahmed, a toutefois répété que les pays ouest-africains n'étaient pas prêts à une quelconque union monétaire, tant qu'ils ne respecteraient pas les critères de convergence : un déficit budgétaire n'excédant pas 3%, une inflation à moins de 10% et une dette inférieure à 70% du PIB.
"La question derrière tout ça c'est de savoir quel est le degré de solidarité auquel sont prêts les pays africains entre eux ? C'est un débat difficile avec beaucoup de non-dits", analyse l'économiste togolais Kako Nubukpo.
Que manque t-il pour lancer l'eco ?
"L'eco n'existe pas encore. Aujourd'hui, nous sommes toujours avec le franc CFA. On a l'impression de tourner en rond", déplore M. Nubukpo qui prépare un rapport sur les modalités de transition entre les deux monnaies.
Le Covid a obligé les Etats à revoir leurs priorités mais l'épidémie n'est pas la seule raison qui explique cette mise en oeuvre poussive.
"Ce qui bloque, c'est un problème purement politique : il y a des dissensions entre les dirigeants d'Afrique francophone", estime l'économiste franco-ivoirien Youssouf Carrius.
Selon plusieurs observateurs, la Côte d'Ivoire, principale économie de la zone avec le Sénégal, n'est pas particulièrement pressée de faire bouger les choses.
Plusieurs fois, le président Alassane Ouattara a défendu le franc CFA, "une monnaie solide", dont la parité avec l'euro, assure une stabilité économique.
Payer en franc CFA, jusqu'à quand ?
L'arrêt du franc CFA suppose avant tout l'impression de nouveaux billets de banque.
Pour l'heure, ils sont toujours imprimés à Chamalières, dans le centre de la France, dans une imprimerie de la Banque de France.
Aucune date n'a pour l'instant été dévoilée pour changer les billets.
"C'est un calendrier africain. Il y aura cette question-là dans les sujets qui seront débattus au prochain sommet Afrique-France en juillet 2021", assure l'Elysée.
Un avis que partage Lambert N'Galadjo Bamba, conseiller au ministère de l'Economie et des Finances ivoirien : "Nous avons dû réactualiser la feuille de route en raison de la crise du coronavirus et nous donner plus de temps pour travailler sur la convergence. Tous ces processus demandent du temps, il faut compter quelques années encore" avant le lancement effectif de l'eco.
"Les Européens ont mis près de 30 ans pour avoir leur euro", rappelle l'économiste Ndongo Samba Sylla.
LA FRANCE DOIT SORTIR TOTALEMENT DE NOS AFFAIRES MONETAIRES
Les décisions concernant notre avenir monétaire collectif ne doivent plus venir de Paris. Il est grand temps de soumettre à la sanction des peuples africains de vraies réformes du système monétaire actuel - FRONT POUR L'ABOLITION DU FCFA EN AFRIQUE
Publication 21/12/2020
SenePlus publie ci-dessous, la déclaration datée du 21 décembre, du Front pour l’Abolition du franc CFA en Afrique, décriant la réforme de la monnaie ouest-africaine initiée notamment par le président français Emmanuel Macron.
« Aujourd’hui, 21 décembre 2020, cela fait un an que la France a entamé la réforme du franc CFA qu’elle a créé il y a 75 ans de cela, à une époque où aucun de nos Etats actuels n’existait.
Ce résultat est le fruit de la mobilisation anti-impérialiste de toutes celles et tous ceux qui se sont battus pendant des décennies pour l’abolition de la monnaie coloniale et qui ont donc contraint la France et ses affidés à annoncer précipitamment la « fin du Franc CFA » à l’occasion d’une visite du président français Macron à la base militaire du 43ème BIMA de Port-Bouet, près d’Abidjan l’an passé.
Mais, cette prétendue fin se résume en réalité à un changement de dénomination de la monnaie Franc CFA en ECO, la fin de la centralisation des réserves de change des Etats de l’Uemoa auprès du Trésor français, le « départ » du représentant de la France du conseil d’administration de la BCEAO.
Les changements annoncés en grande pompe par les présidents Macron et Ouattara n’étant que des modifications cosmétiques, c’est-à-dire de pure façade, après avoir fait l’objet d’une procédure d’approbation gouvernementale, puis parlementaire en France même, n’ont donné lieu à aucune réaction du côté des gouvernements et parlements africains concernés. Mieux ou pire, la création de cet ECO-Macron qui devait entrer en vigueur le 1er juillet 2020 n’est pas suivie d’effet à ce jour.
Cinq éléments au moins font que nous disons que la France et les présidents qui lui sont soumis ne cherchent qu’à duper la rue africaine en gommant du franc CFA ses éléments néocoloniaux visibles à l’œil nu afin de désamorcer la bombe souverainiste.
1- Le processus antidémocratique, antipopulaire excluant donc les peuples, les sociétés civiles, les patronats, les parlements africains…Processus initié par la France dans le but de ne laisser aucune marge de manœuvre à ses pantins africains ;
2- L’accord monétaire avec la France a été renouvelé. Alors que nous exigeons la fin de l’occupation monétaire française. Nous demandons que la France sorte de nos affaires monétaires par la fin de l’accord entre nos pays et la France ;
3- Le maintien de la parité fixe entre cet ECO-Macron et l’Euro qui est en réalité une préférence commerciale accordée à l’UE en général et à la France en particulier ;
4- Ce maintien de la parité fixe entre l’ECO-Macron et l’Euro vise aussi à éliminer le risque de change pour les investisseurs en général européens et français en particulier ;
5- Le choix par la France et ses valets de la dénomination ECO, qui a été volée à la CEDEAO, révèle une intention française : torpiller le projet de la monnaie CEDEAO afin d’étendre le franc CFA à d’autres pays africains avec une nouvelle dénomination ECO ;
Les décisions concernant notre avenir monétaire collectif ne doivent plus nous venir de Paris et il est grand temps de soumettre à la sanction des parlements et des peuples africains de vraies réformes du système monétaire actuel, en excluant la France de toute mainmise sur celui-ci. La France doit cesser d’être ce trait d’union entre nos pays, véritable frein au développement. La France doit sortir totalement, complètement de nos affaires monétaires.
C’est pourquoi nous :
- dénonçons cette parodie de mise à mort du Franc CFA néocolonial et exigeons la fin de l’accord de coopération monétaire entre la France et nos pays ;
- invitons toutes les africains, toutes les organisations progressistes à se mobiliser contre la présence monétaire française en Afrique et à faire barrage en Afrique et dans la diaspora à cette nouvelle tromperie monétaire ;
- exigeons l’organisation de débats nationaux et de référendums nationaux sur la monnaie ;
- saluons l’attitude progressiste et internationaliste de démocrates français qui contribuent à éventer ce complot impérialiste et invitons à la jonction de toutes nos forces pour la souveraineté monétaire de l’Afrique
Nous lançons un appel aux gouvernements, parlements africains concernés, en Afrique de l’ouest et du centre, ainsi que les organisations de la société civile, les syndicats et organisations patronales, les partis et mouvements politiques dans toute la zone monétaire du franc CFA à ouvrir un débat démocratique sur la question de la souveraineté monétaire de l’Afrique. Ces débats doivent aboutir à un referendum qui permettrait aux Africains de choisir directement soit de continuer à servir les intérêts de la France impériale, soit de prendre la voie de la souveraineté monétaire et donc de l’indépendance véritable, à l’image de nombreuses anciennes colonies françaises d’Asie, du Maghreb et d’Afrique noire.
Nous estimons qu’il s’agirait là de la procédure la plus démocratique pour la construction d’une sous-région ouest et/ou centre-africaine pleinement souveraines et maîtresses de leurs destinées, tant en matière de politique économique et financière que de stratégie de reconstruction autonome et de développement endogène. Il est à la fois inacceptable et humiliant de voir un pays non-africain continuer de prendre des décisions concernant notre monnaie et son fonctionnement. Les gouvernements et parlements africains, nous peuples africains concernés sommes donc à la croisée des chemins et devons enfin prendre nos responsabilités pour mettre fin à l’occupation monétaire française. »
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L'ÉCO, ENCORE UNE MONNAIE COLONIALE
Entretien avec Ndongo Samba Sylla, économiste et Martial Ze Belinga, économiste et sociologue animé par Chrystel Le Moing
Publication 15/06/2020
Entretien avec Ndongo Samba Sylla, économiste et Martial Ze Belinga, économiste et sociologue animé par Chrystel Le Moing. Cette émission est produite par le secteur international du Parti communiste français avec la fondation Gabriel Péri.
LE TALK DE MARIE-ROGER BILOA ET OUSSEYNOU NAR GUEYE
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L'ECO, LA NOUVELLE MONNAIE COLONIALE FRANÇAISE
EXCLUSIF SENEPLUS : La pression des nouvelles générations africaines aura-t-elle été décisive pour couper le cordon ombilical ? La monnaie de remplacement du franc CFA est-elle vraiment l’alternative attendue ?
Marie-Roger Biloa et Ousseynou Nar Gueye | Publication 13/06/2020
Dans ce numéro de ‘‘C’est dit, c’est à faire'', Marie- Roger Biloa reçoit Souleymane Ndao, professeur en économie et finances aux universités de Dakar et de Ouagadougou. Il a effectué un passage académique à la Banque de France où étaient justement stockées 50% des réserves de devises des 8 pays de l'UEMOA qui ont en partage le franc CFA d'Afrique de l'Ouest.
Il est question dans cette émission de la fin annoncée du Franc CFA en Afrique de l’Ouest et actée en deux étapes.
D’abord, par une déclaration des présidents français Emmanuel Macron et ivoirien Alassane Ouattara le 21 décembre 2019 à Abidjan. Ensuite par un vote du parlement français en avril dernier, entérinant cette décision. Cela faisait des décennies que se manifestait la demande accrue pour en finir avec cette monnaie qualifiée, à raison, de coloniale.
La pression des nouvelles générations africaines, renforcées par des voix expertes et même des soutiens étrangers a été décisive pour couper le cordon ombilical. Toutefois, la monnaie de remplacement du franc CFA en Afrique de l’Ouest n’est pas encore née. Même si on connait déjà son nom : l'ÉCO. Un nom disputé par l'UEMOA et la CEDEAO. Alors, quels sont les enjeux de cette réforme à la résistible ascension et les balises à respecter pour la réussir ?
L'invité Souleymane Ndao défriche les pistes de réponse, pour cette première émission d’une série à venir sur le franc CFA, qui accueillera plusieurs experts.
Ousseynou Nar Gueye intervient en éditorialiste invité.
Réalisation et montage par Boubacar Badji.
‘‘C’est dit, c’est à faire'' est un talk de SenePlus en partenariat avec MRB Networks et Tract.
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FRANC CFA, UNE SORTIE POLÉMIQUE
La polémique continue autour du passage du Franc CFA à l'Eco. En France, le projet de loi a été présenté la semaine dernière en Conseil des ministres. Un agenda qui fait débat
Publication 25/05/2020
Video : https://youtu.be/Oq6vgDOawt8
La polémique continue autour du passage du Franc CFA à l'Eco. En France, le projet de loi a été présenté la semaine dernière en Conseil des ministres. Un agenda qui fait débat.
PAR FANNY PIGEAUD
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UNE RÉFORME DU FRANC CFA OUEST-AFRICAIN POUR SAUVEGARDER LE PRÉ CARRÉ FRANÇAIS
Retour sur les nombreux arguments développés par le député communiste Jean-Paul Lecoq pour démontrer à l'Assemblée nationale française que cette réforme ne changera rien et que le franc CFA va contre les intérêts des peuples africains
Fanny Pigeaud | Publication 11/12/2020
https://youtu.be/rP6fCk2X1PE
L’Assemblée nationale française a adopté ce 10 décembre le projet controversé de réforme du franc CFA ouest-africain – qui doit encore être soumis au Sénat et devra être signé par les pays africains concernés. Le communiste Jean-Paul Lecoq a développé de nombreux arguments pour démontrer que cette réforme ne changera rien et rappeler que le franc CFA va contre les intérêts des peuples africains.
L’Assemblée nationale française a adopté le 10 décembre le projet controversé de réforme du franc CFA d’Afrique de l’Ouest, qui concerne huit pays. Sur 73 députés votants, il y a eu 57 voix pour, 8 voix contre (groupe Gauche démocrate et républicaine/ France Insoumise) et 8 abstentions (le PS fait partie des abstentionnistes).
En début de séance, le communiste Jean-Paul Lecoq, rappelant que le sujet était « fondamental pour des dizaines de millions de personnes », a présenté une motion de rejet préalable qui n’a pas été retenue. « Cette monnaie, assumez-le, correspond aux intérêts des classes supérieures africaines tournées vers l’extérieur et des multinationales qui travaillent en euro ; pour les peuples et pour les PME africaines, elle peut être un véritable boulet. Votre majorité défend les intérêts des classes aisées et des multinationales en toutes circonstances et en tout lieu », a-t-il notamment dit, soulignant que la réforme proposée ne changeait rien sur le fond.
Le député s’est interrogé à propos de la manière dont s’est préparée cette réforme : « La méthode confirme la condescendance de la France vis-à-vis de ces pays. » Le nouvel accord monétaire qu’elle propose a été « négocié dans le plus grand secret par une poignée de personnes à Paris et à Abidjan », a lui-même reconnu le rapport de la commission des Affaires étrangères sur ce projet de loi.
« L’ordre dans lequel s’effectuent les ratifications » du nouvel accord monétaire est en soi « suspect », a aussi estimé Jean-Paul Lecoq : « Pourquoi la France est-elle le premier pays à ratifier cet accord, alors qu’en toute logique elle aurait dû attendre que les pays directement concernés l’aient fait d’abord ? »
Le verbatim de ses interventions lors de cette séance du 10 décembre est à lire ci-dessous.
Ses propos sont à mettre en lien avec ceux du député communiste Paul Cermolacce (d’ailleurs cité par Jean-Paul Lecoq) tenus devant l’Assemblée nationale le 19 juillet 1961, au sujet des « accords de coopération » conclus par la France avec la Côte d’Ivoire, le Dahomey, la Haute-Volta et le Niger et qui concernaient entre autres la monnaie et donc le franc CFA :
« Ces accords, négociés avec de grandes difficultés, constituent un nouveau compromis visant à maintenir, par des moyens détournés, l’essentiel des privilèges colonialistes, tout en s’efforçant de sauver la face aux yeux des peuples en cause. C’est bien là la marque de leur fragilité. Ce pseudo-libéralisme, dont on tente de parer la politique gaulliste, ne résiste pas aux faits. Il est en contradiction flagrante avec les prises de position du Gouvernement français sur les problèmes coloniaux, qu’il s’agisse des débats à l’Organisation des Nations unies, ou bien encore des questions algériennes. Les peuples d’Afrique, croyez-nous, ne sont pas dupes ; ils ne sont pas non plus crédules à l’égard de certains dirigeants africains qui se font les auxiliaires du colonialisme nouvelle forme ; ils aspirent à une véritable indépendance sans restriction ni arrière-pensée ».
(L’ensemble des débats de cette séance du 19 juillet 1961 est à lire ici : http://archives.assemblee-nationale.fr/1/cri/1960-1961-droit/044.pdf)
Soixante ans séparent l’intervention de Paul Cermolacce et celle de Jean-Paul Lecoq et la problématique reste la même… Stupéfiant !
On attend maintenant la réaction des députés des huit pays ouest-africains concernés par ce projet d’accord monétaire. Ils sont restés jusqu'ici bien silencieux et le flou demeure sur les modalités de signature de cet accord monétaire par leurs pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo).
Compte rendu intégral des interventions dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale de Jean-Paul Lecoq, député communiste, au sujet du projet de loi portant sur la réforme du franc CFA, le 10 décembre 2020
Discours motivant la motion de rejet préalable du projet de loi portant réforme du franc CFA :
Jean-Paul Lecoq. C’est à regret que je me tiens ici pour défendre cette motion de rejet préalable du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de coopération entre la France et les États membres de l’Union monétaire ouest-africaine – vous avez fait un lapsus, monsieur le ministre délégué, en parlant de l’Union économique et monétaire, qui ne recouvre pas exactement la même réalité. J’aurais en effet aimé croire qu’une réforme du franc CFA – initialement appelé, ne l’oublions pas, franc des colonies françaises d’Afrique – serait l’occasion d’un débat approfondi entre tous les pays concernés et d’un véritable changement en profondeur de nos relations économiques et politiques avec les pays de l’Afrique de l’Ouest francophone.
Pourtant, rien ne s’est passé ainsi. Sur le fond, cette réforme n’a pas été faite pour changer quoi que ce soit ; sur la forme, la méthode confirme la condescendance de la France vis-à-vis de ces pays – si l’on ne change rien, pas besoin de concertation.
Personne n’était au courant de l’annonce de la réforme, en décembre 2019, par Emmanuel Macron à Abidjan. Seul son acolyte ultralibéral Alassane Ouattara en avait connaissance, lui qui avait été installé par les chars français en 2011 et qui est le champion toutes catégories de la multinationale Afrique à forte composante française, lui qui vient d’ailleurs de s’arroger un troisième mandat inconstitutionnel, au prix d’une répression implacable de ses opposants.
Bastien Lachaud. Il a raison !
Jean-Paul Lecoq. Quant aux autres partenaires de l’UMOA qui gère le franc CFA, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Togo et le Sénégal, ils n’étaient même pas informés ; pas plus que ne l’était le gouverneur de la BCEAO, qui pilote cette monnaie.
Lorsque Emmanuel Macron a expliqué le sens de la réforme en décembre dernier, à Abidjan, il a dit : « j’ai souhaité pouvoir mettre à plat l’ensemble des sujets pour écrire une page nouvelle […] de notre histoire commune ». L’idée ne lui a donc pas été soufflée par les États membres de l’UMOA, comme on veut nous le faire croire, ce matin encore ; c’est encore et toujours Jupiter qui a décidé seul.
Or un changement de monnaie, si l’on respecte un tant soit peu les peuples concernés, aurait dû faire l’objet d’un chantier démocratique, transparent et ouvert, quitte à être long. Prenons notre exemple : en 1992, lorsque la Communauté européenne a choisi de devenir l’Union européenne et de passer à l’euro, il y a eu, en France, un référendum sur les enjeux du passage à la monnaie unique, sept ans plus tard, avec un calendrier précis. Peu importe ce que l’on pense du résultat, force est de constater qu’au moins sur la méthode, les choses étaient plus démocratiques.
Ici, que nous propose-t-on ? Uniquement, la ratification d’un accord de coopération, sans même le calendrier de mise en place de l’eco. L’ordre dans lequel s’effectuent les ratifications est en soi suspect : pourquoi la France est-elle le premier pays à ratifier cet accord, alors qu’en toute logique elle aurait dû attendre que les pays directement concernés l’aient fait d’abord ? Notre parlement aurait ainsi pu tenir compte des débats démocratiques suscités par cette réforme chez les peuples en question. C’est un non-sens complet d’avoir procédé autrement, non-sens qui justifierait à lui seul que l’on rejette ce texte – ce que vous avez encore la possibilité de faire.
N’oublions pas en effet que l’on parle ici de monnaie, c’est-à-dire d’une institution politique et économique absolument fondamentale, puisque c’est elle qui permet à une zone de déterminer et de piloter son économie en se fixant des objectifs de développement.
Cette réforme du franc CFA va-t-elle permettre à l’UMOA de piloter ses taux de change afin de favoriser ses exportations où ses importations ? Va-t-elle laisser aux pays de la zone le choix de s’adosser à une monnaie plutôt qu’à une autre ? Va-t-elle leur permettre de piloter l’inflation, les taux d’intérêt, le poids de la dette ? Non. Rien ne changera, et le cordon ombilical qui relie le franc CFA à la zone euro va perdurer, au travers de l’arrimage à l’euro, de la liberté des transactions et de la convertibilité illimitée entre les deux monnaies, ce triple lien permettant à toute multinationale qui fait du commerce dans la zone monétaire du franc CFA de voir ses investissements sécurisés sur le long terme, de convertir en euros ses profits réalisés en francs CFA, puis de rapatrier ensuite ces capitaux vers la zone euro.
La parité fixe euro-franc CFA ne pose certes aucun problème à ceux qui travaillent en euros, mais c’est beaucoup plus compliqué dans tous les secteurs où la monnaie de référence est le dollar : l’euro – et donc, avec lui, le franc CFA – varie tous les jours face au dollar, et lorsque les taux de change sont trop volatiles, des secteurs entiers de l’économie peuvent perdre leur compétitivité du jour au lendemain – nous en avons fait l’expérience avant le passage à l’euro. L’Agence française de développement – AFD – avait d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme il y a quelques années, en indiquant que la parité fixe avait été l’un des principaux facteurs de l’effondrement du secteur du coton au Burkina Faso. Retenons les leçons de l’histoire !
Il pourrait donc être dans l’intérêt de certains pays de s’arrimer à d’autres monnaies que l’euro, mais le système favorise le lien entre zone euro et zone CFA, entravant de ce fait le commerce entre les membres de l’UMOA ou de la CEDEAO. Cela explique que, cinquante ans après les indépendances, l’Europe soit encore le premier partenaire commercial de la plupart de ces pays, alors que le commerce intracontinental représente moins de 15 % de leurs échanges – le sujet doit vous parler, monsieur le ministre délégué ! Ce chiffre signe l’échec véritable du franc CFA et justifierait à lui seul que cette monnaie soit remisée au placard de l’histoire.
Il n’y a, au sein de l’UMOA, aucun mécanisme de solidarité, aucun marché unique, aucune union politique ; aucun intérêt économique non plus à adopter une monnaie unique dont rien ne dit qu’elle bénéficiera à chacun de ses membres.
Comparons à nouveau avec la zone euro : malgré une très forte intégration économique et un commerce intense entre les États membres, nous savons tous que son fonctionnement n’est pas évident. Mais là, il s’agit d’une union monétaire sans autre forme d’union. Lorsque l’on ne maîtrise pas sa politique monétaire et que l’on ne peut pas laisser filer l’inflation pour diminuer la dette, le seul outil pour se désendetter, en cas de crise, est la diminution des dépenses publiques – cela nous parle ici aussi. Comme dans l’Union européenne, le programme est l’austérité à perpétuité. Le rôle du franc CFA dans la situation économique et sociale catastrophique des États membres de l’UMOA est à étudier avec sérieux, même s’il n’en est évidemment pas l’unique facteur, nous en sommes d’accord.
Regardons la situation d’un point de vue historique : dans les années 1980, le Fonds monétaire international – FMI – et la Banque mondiale ont saigné les pays d’Afrique de l’Ouest. Les fameux plans d’ajustement structurel ont, avec la complicité du club de Paris, détruit ces États en pleine construction, les ont rendus dépendants des cours des matières premières, les ont obligés à tout privatiser et à réduire le plus possible les dépenses publiques. Ils avaient promis un renouveau économique qui n’est jamais arrivé.
Évidemment, ces cures d’austérité n’ont jamais fonctionné et l’endettement des pays est resté très élevé. Le franc CFA a empêché ces pays d’utiliser l’inflation pour se désendetter. Ceux-ci ont donc continué à diminuer leurs dépenses publiques pour les porter à des niveaux totalement inacceptables pour leur population. Voilà l’origine de leur crise ! En effet, cette politique a produit des systèmes éducatifs totalement dégradés, des systèmes de santé inefficaces et des salaires si faibles dans la fonction publique qu’ils ne peuvent empêcher la corruption.
Face à ces situations, l’aide publique au développement – APD – ne suffit pas à remonter la pente : la pauvreté et les inégalités explosent, le chômage devient de masse, des millions de jeunes sont touchés par le désespoir et l’exil contraint se développe. Le pire, c’est que même avec l’APD, la zone CFA est encore perdante. Tous les pays de l’UMOA figurent dans la liste prioritaire de l’AFD ; une partie importante de notre APD est donc dédiée au déploiement de programmes, dont certains consistent à construire des infrastructures. Or qui est favorisé lorsqu’il s’agit de gagner des marchés dans une monnaie arrimée à l’euro ? Nos multinationales, bien sûr ! Le métro d’Abidjan offre un exemple funeste de ce genre de projets,…
Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Vous préférez les Chinois ?
Jean-Paul Lecoq. …que le sénateur communiste Pierre Laurent a récemment dénoncés. Le chantier a été confié, à la suite d’immenses pressions du pouvoir français et sans appel d’offres, à un consortium d’entreprises françaises, à un prix astronomique. La transformation du franc CFA en eco ne changera en rien ce système.
Les trois choses qui vont changer sont le nom, la possibilité pour la BCEAO de déposer ses réserves de change ailleurs qu’au Trésor français et l’absence de Français dans la gouvernance de la zone monétaire – et encore. L’étude d’impact du projet de loi affirme que la fin de l’obligation de réserve de change au Trésor français ne modifiera absolument pas la tutelle monétaire. En revanche, cette disposition allégera le coût supporté par la France, qui n’aura plus à rémunérer les avoirs déposés sur le compte dédié ; voilà qui en dit long sur l’état d’esprit de ses auteurs !
Jacques Maire, rapporteur. C’est petit comme argument, très petit !
Jean-Paul Lecoq. Quant à l’absence de Français dans la gouvernance de la zone monétaire, la lecture attentive de l’article 4 de l’accord commande de la nuancer. En effet, il dispose qu’une personnalité indépendante et qualifiée sera nommée par le conseil des ministres de l’UMOA, en concertation avec la France, pour siéger au comité de politique monétaire de la BCEAO – je ne reprendrai pas ici l’interpellation de Mme Roselyne Bachelot cette semaine.
La France sort donc par la porte pour mieux revenir par la fenêtre. L’objectif de la France vis-à-vis de l’UMOA est clair : faire taire les critiques populaires sur le franc CFA par une réforme plus que minimaliste.
Le nom de la nouvelle monnaie est une tartufferie comme j’en ai rarement vu. Eco est le nom du projet de monnaie unique de la CEDEAO, communauté économique qui englobe tous les États de l’UMOA, ainsi que le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone. La CEDEAO, ou ECOWAS en anglais, avait choisi le diminutif de son acronyme anglais pour nom de sa future monnaie. Nous avons affaire à une OPA hostile sur l’eco de la CEDEAO. L’objectif de la France vis-à-vis de la CEDEAO est clair : couper l’herbe sous le pied du projet monétaire de cette zone et imposer son eco comme un fait accompli, afin d’étendre l’influence de sa monnaie à tous les États membres de la CEDEAO. Le rapport de notre commission énonce clairement cet objectif, puisqu’on y lit à la page 22 : « Le fait que le changement de monnaie solde un héritage controversé est susceptible de générer une dynamique politique […]. Il peut permettre à d’autres pays, aujourd’hui extérieurs à l’UMOA, de rejoindre l’eco ».
Les pays concernés n’ont pas du tout apprécié cette visée de la France. Le Nigeria, poids lourd de la CEDEAO, a évoqué l’implosion de la zone si la réforme du franc CFA était mise en œuvre. Plusieurs États ont officiellement condamné cette initiative. Vouloir imposer l’eco à l’ensemble de la CEDEAO est une stratégie très dangereuse. L’exécutif français prend le risque d’une crise diplomatique dans cette zone déjà en proie à de fortes tensions.
L’objectif absolu s’agissant de la CEDEAO devrait plutôt être le renforcement des États, de leurs services publics et de leur économie : ces politiques seules seraient susceptibles d’offrir aux populations des perspectives de vie et de travail sur place.
Rodrigue Kokouendo, suppléant Mme Marielle de Sarnez, présidente de la commission des affaires étrangères. C’est ce qui est fait déjà en partie.
Jean-Paul Lecoq. Ces politiques seules seraient à même de lutter efficacement contre le terrorisme, qui ronge toute cette zone. Avec cette stratégie du chaos, la France affaiblit la CEDEAO. Or celle-ci est l’appui de l’Union africaine dans la politique de convergence économique et financière, et de développement d’une union douanière visant à créer des intérêts économiques communs dans la région et, surtout, à mettre en place une devise commune. Affaiblir la CEDEAO, c’est affaiblir le relais de l’Union africaine pour l’intégration régionale ; c’est affaiblir le multilatéralisme africain. Serait-ce là votre objectif ? Je ne peux pas y croire : vous parlez si souvent de multilatéralisme !
Voulons-nous être complices de cette stratégie de classe ? Que l’on me comprenne bien : je ne penche pas pour le très libéral projet eco de la CEDEAO, mais je constate que le Gouvernement français s’est invité dans ce débat pour en perturber le cours. Cette monnaie, assumez-le, correspond aux intérêts des classes supérieures africaines tournées vers l’extérieur et des multinationales qui travaillent en euro ; pour les peuples et pour les PME africaines, elle peut être un véritable boulet. Votre majorité défend les intérêts des classes aisées et des multinationales en toutes circonstances et en tout lieu.
Nous, députés communistes, nous opposons à cette réforme précisément parce que nous défendons, en toutes circonstances et en tout lieu, les plus précaires et les peuples. Pour cela, il faut un véritable renouvellement. L’exécutif français ne doit pas imposer sa volonté en faisant pression sur des dirigeants africains. Il est insultant de dicter à des pays indépendants leur politique monétaire et économique. Cette politique ne fait qu’alimenter le sentiment anti-français. Avec cette réforme, nous sommes à mille lieues de ce qu’il faudrait faire pour réparer et construire des relations respectueuses de coopération d’égal à égal entre nos pays et nos peuples.
Jacques Maire, rapporteur. Pompier pyromane !
Jean-Paul Lecoq. Il faut se poser la question de l’intérêt d’une telle réforme pour les peuples. À l’occasion de ce travail, nous n’avons rien trouvé qui aille dans ce sens : cette réforme n’est pas faite pour eux – eux qui pâtiront de ses mauvais côtés. Cette hypocrisie n’a que trop duré : il faut rejeter ce texte et repartir à zéro. Cette motion de rejet préalable vous en offre la possibilité : soutenez-la pour entamer un processus véritablement démocratique ! (M. Christian Hutin applaudit.)
Explication de vote concernant la motion de rejet préalable :
Jean-Paul Lecoq. Pour appuyer mon propos, je vais vous montrer que tous mes arguments figurent déjà dans le rapport de la commission.
À propos du manque de concertation, je vous invite à relire la page 26. À la page 21 est indiqué que la convention de garantie entre la France et la zone CFA n’est toujours pas conclue, ce qui prouve que nous votons sur une réforme qui n’est pas ficelée. Concernant les problèmes économiques que pose la réforme, le rapport pointe les mêmes faiblesses que celles que j’ai exposées. Plusieurs passages, aux pages 10, 12 et 13, indiquent que les entreprises multinationales et la frange aisée des populations sont favorisées par le franc CFA, alors que les PME locales et les populations pauvres en souffrent, surtout à cause des hauts taux d’intérêt et des coûts de production induits par la valeur élevée du franc CFA. En lisant ces pages, on se demande vraiment pourquoi vous vous félicitez de cette réforme, qui ne changera rien pour les peuples.
S’agissant de l’ambition défendue par Paris d’étendre l’eco à toute la CEDEAO, le rapport ne fait aucun mystère : aux pages 6 et 23, il indique que le franc CFA peut servir d’embryon à la future monnaie unique ouest-africaine. Les pages 22 et 23 montrent les tensions diplomatiques créées dans la CEDEAO par l’annonce précipitée de la réforme. Ce que j’ai indiqué à propos de la stratégie du Gouvernement français, consistant à prendre de vitesse la réforme monétaire de la CEDEAO pour tenter d’étendre à toute la zone une version quasi identique du franc CFA, figure dans le rapport.
Au-delà des problèmes de fond, la méthode n’est pas bonne : il aurait fallu au minimum laisser les parlements directement concernés s’exprimer avant nous. Je vous propose de rejeter dès maintenant le projet de loi. Peut-être pourrions-nous ensuite, et seulement ensuite, reprendre nos débats en fonction de ce qui se sera dit dans les parlements africains.
Intervention générale concernant le projet de loi portant réforme du CFA :
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
Michel Herbillon. C’est un véritable festival !
Jean-Paul Lecoq. J’en ai encore à dire !
Franck Riester, ministre délégué. Encore ?
Michel Herbillon. C’est sa troisième prise de parole !
Bruno Fuchs. Il s’auto-allume !
Jean-Paul Lecoq. La relation de la France avec l’Afrique francophone ne pourra pas être assainie tant que les dirigeants de notre pays n’auront pas mis de côté leur obsession de l’influence politique et économique sur cette zone. La réforme que vous proposez est une nouvelle illustration de cette obsession…
Bruno Fuchs. Ça, c’est vrai !
Jean-Paul Lecoq. …et elle est aveugle aux dangers qu’elle pourrait faire naître.
La zone monétaire du franc CFA s’appelle « Union monétaire de l’Ouest africain » ; elle est composée du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo. Tous ces pays font également partie d’un ensemble plus large : la CEDEAO, c’est-à-dire la Communauté économique des États de l’Ouest africain, qui compte en outre le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone.
Or les quinze États qui composent la CEDEAO ont pour objectif de converger économiquement, et entre autres, depuis des années, de travailler à une monnaie unique. Il n’y a pas de hasard : depuis 2019, la mise en place de cette monnaie unique de la CEDEAO s’accélère, et elle a reçu un nom, l’eco ; pourtant, en décembre 2019, sans que les membres de la CEDEAO, ni même les autres membres de l’UEMOA, ne soient au courant, Emmanuel Macron, président français, et Alassane Ouattara, président ivoirien, ont annoncé la mise en place de l’eco à l’échelle de la seule UMOA, en remplacement du franc CFA.
Cet eco-là ressemble à s’y méprendre au franc CFA, mais ignore totalement les critères retenus par la CEDEAO pour sa monnaie. Comme le dit l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, « une abolition du franc CFA aurait nécessité au moins, symboliquement, la fin de l’accord de coopération monétaire entre la France et les pays de l’UEMOA ». Or tel n’est pas le cas.
Alors pourquoi une réforme d’une telle ampleur a-t-elle été subitement proposée, sans concertation ? J’avancerai deux explications.
La première, c’est sans doute l’accélération du calendrier de réforme de la CEDEAO ; la peur française de perdre notre influence en Afrique de l’Ouest s’est alors réveillée, et les dirigeants français ont choisi de torpiller le projet de la CEDEAO, comme l’a dit l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembelé. Mais cette stratégie a créé de très vives tensions diplomatiques, au sein de la CEDEAO – entre les pays utilisateurs du franc CFA et les autres –, mais aussi entre la CEDEAO et la France. Le président nigérian a même brandi la menace de dislocation de la CEDEAO. Cette stratégie de la tension est loin d’être innocente. C’est Justin Koné Katinan, ancien ministre ivoirien, qui l’explique le mieux : pour maintenir son influence en Afrique de l’Ouest, la France n’a que deux solutions, « soit avoir l’entièreté de la zone CEDEAO sous son contrôle grâce à sa monnaie, soit, à défaut, la désintégrer pour sauvegarder son espace, butin de son passé colonial ». Il n’y a pas de quoi être fier !
La deuxième explication, c’est la volonté de briser, au sein de l’UEMOA, « l’élan patriotique des Africains quant à la reconquête de leur souveraineté monétaire », selon les mots de l’économiste Séraphin Prao. Casser la dynamique naissante de l’eco, casser la dynamique anti-franc CFA qui émerge dans les sociétés civiles de l’UEMOA : voilà le pourquoi de la précipitation.
Au-delà du débat économique, on le comprend, c’est la sauvegarde du pré carré qui est en jeu. Or la politique de la terre brûlée engagée par cette réforme pourrait s’avérer très dangereuse ; prendre le risque d’un retour de flamme dans un espace géopolitique en proie à tant de dangers est totalement irresponsable. Cette irresponsabilité s’explique par l’histoire : cette réforme ne fait que poursuivre la fuite en avant entamée depuis le premier jour de la décolonisation.
D’ailleurs, le 19 juillet 1961, ici même, à l’occasion du débat sur le traité créant l’UMOA, le député communiste Paul Cermolacce disait : « les peuples d’Afrique […] aspirent à une véritable indépendance, sans restriction ni sans arrière-pensée. Vouloir aller contre ce courant, c’est aller à de nouveaux déboires. Nous nous refusons à cautionner votre politique. Notre position est claire : nous sommes pour de véritables rapports de coopération qui ne peuvent se concevoir et être durables sans une totale indépendance. » Il allait jusqu’à critiquer le fait que certaines élites africaines étaient corrompues par la France pour mieux faire accepter au peuple les décisions impopulaires exigées par Paris. Cela n’existe heureusement plus aujourd’hui – Raymond Devos ajouterait : « quoique ». Force est de constater que, soixante ans après cette intervention, nous voyons encore quotidiennement dans cette zone de l’Afrique les déboires dont parlait ce député communiste.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine appelle donc à voter contre ce projet de loi, en espérant que cette fois-ci, le pouvoir entendra sa mise en garde.
Explication de vote sur l’ensemble du projet de loi portant réforme du franc CFA :
Jean-Paul Lecoq. Mes chers collègues, il me semble important d’insister encore sur le sujet tant il est fondamental pour des dizaines de millions de personnes, et tant il est délicat pour notre Parlement d’en débattre, puisqu’il ne concerne pas directement le peuple français. Les contours de la nouvelle monnaie reprendraient presque totalement ceux du franc CFA, notamment les trois principaux critères que sont la parité fixe avec l’euro, la garantie de conversion illimitée entre l’euro et l’eco, et la liberté de mouvement des capitaux entre les deux zones monétaires. Ces critères monétaires favorisent les multinationales travaillant avec l’euro et les classes africaines aisées, au détriment de l’emploi, de l’industrialisation et du dynamisme des PME locales. Le maintien de ces caractéristiques pour l’eco va donc à l’encontre des revendications des classes populaires d’Afrique de l’Ouest, victimes du chômage de masse et de la faiblesse du tissu économique, qui veulent depuis longtemps en finir avec cette monnaie issue de la colonisation française.
En même temps, la réforme de l’eco proposée par Paris entre en conflit avec la volonté de la CEDEAO de mettre en place une monnaie unique, l’eco CEDEAO. Cette stratégie a créé une très forte tension au sein de la CEDEAO qui a l’impression de se faire voler sa réforme par Paris.
Christian Hutin. Absolument !
Jean-Paul Lecoq. C’est une stratégie tout à fait volontaire : l’exécutif français veut couper court aux exigences de la réforme de la zone monétaire CFA par une réforme minimale qui supprime, notamment, le nom de la monnaie, afin d’empêcher une réforme monétaire de la CEDEAO qui mettrait en danger ses avantages économiques en Afrique de l’Ouest.
Une structure monétaire inchangée, une réforme précipitée au bénéfice des multinationales européennes, la volonté d’affaiblir le projet monétaire de la CEDEAO pour en prendre la place : tous les éléments sont réunis pour que la réforme ne fasse qu’empirer la situation actuelle. Je vous invite à voter contre le projet de loi.
Franc Cfa, le silence complice des progressistes français
Par: SenePlus - Seneweb.com | 04 février, 2021
À quelques rares exceptions près, les progressistes français ne se sont pas intéressés aux récentes manœuvres du pouvoir macroniste qui visent à prolonger la durée de vie du franc CFA. Leur silence permet la poursuite de la logique coloniale de la France en Afrique.
Après l’avoir annoncée à grand renfort de publicité fin 2019, le pouvoir macroniste a soumis ces derniers mois aux députés et aux sénateurs une « réforme » du franc CFA d’Afrique de l’Ouest. Le débat était capital pour l’avenir de 14 pays africains, dont le destin reste orienté par cette monnaie coloniale. Il l’était d’autant plus que les changements proposés étaient mineurs.
Les progressistes français auraient pu saisir cette occasion pour soutenir concrètement ceux qui, en Afrique, aspirent à une indépendance complète et militent pour la fin de la domination monétaire de la France. À quelques rares exceptions près, ils ne l’ont pas fait.
Dans l’indifférence quasi générale, la « réforme » a été adoptée par l’Assemblée nationale le 9 décembre 2020, puis par le Sénat le 28 janvier.
Inertie de l’opinion publique et des médias
Souvenons-nous des observations de Mongo Beti formulées il y a plusieurs décennies : c’est parce que « l’opinion publique » française « et en premier lieu la presse » sont restées inertes que le pouvoir gaulliste a pu briser l’élan des progressistes camerounais et n’octroyer qu’un semblant d’indépendance au Cameroun en 1960 (Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une indépendance, Maspero, 1972).
L’écrivain anti-colonialiste dénonçait la solidarité à géométrie variable des intellectuels français, lesquels ménageaient toujours les intérêts français en Afrique : alors qu’ils s’engageaient avec passion aux côtés des gauches d’Amérique latine ou d’Europe de l’Est pour dénoncer la dictature sévissant dans leurs pays, ils ne manifestaient aucune solidarité à l’égard des Camerounais en lutte contre un régime tyrannique installé et soutenu par Paris.
Le même phénomène est manifestement toujours à l’œuvre à propos du franc CFA, créé par un décret du général de Gaulle en 1945 et placé depuis sous la tutelle du Trésor français : ces dernières années, son caractère rétrograde et inique n’a suscité que peu d’intérêt et d’émoi en France.
Ainsi, les économistes hétérodoxes et les politistes français qui se sont emparé de la question se comptent sur les doigts d’une main. Les activistes, dont les militants de l’association Survie, sont eux aussi peu nombreux. Les quelques médias dits « de gauche » ont pour leur part assuré le service minimum. Certains d’entre eux ont même relayé en mai 2020 l’idée que la France « actait » officiellement la « fin du franc CFA », prenant pour argent comptant le récit officiel sur la réforme du président Emmanuel Macron.
La vérité est pourtant tout autre et n’est pas difficile à établir : le système CFA ne fait l’objet que de légères modifications de nature symbolique pour les huit États qui utilisent le franc CFA en Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo), et il demeure inchangé pour les six pays d’Afrique centrale qui l’ont en partage (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, Tchad). Tout ceci apparaît clairement dans les rapports et compte-rendus des débats parlementaires de ces derniers mois.
Il n’y a guère que des élus communistes, à l’Assemblée nationale et au Sénat, qui ont vraiment porté la contradiction à un gouvernement déterminé à préserver un dispositif décrié partout dans le monde, en mettant en exergue devant leurs collègues les limites et faux-semblants de la pseudo « réforme » du président Macron. Ils ont fait également des efforts de communication hors des hémicycles parlementaires. Mais ils n’ont pas réussi à briser le mur d’indifférence érigé autour du franc CFA depuis 75 ans et soutenu par toutes les couches de la société française – consciemment ou pas.
Un système appauvrissant
Or les enjeux sont cruciaux et les raisons de s’indigner sont nombreuses.
Le franc CFA est plus qu’une incongruité, c’est une seringue plantée dans les veines des pays africains qui vampirise leurs ressources. Il entretient un système colonial qui n’existe nulle part ailleurs, et sa persistance garantit celle de la pauvreté et de ses expressions multiples – dont l’émigration forcée vers la Méditerranée.
L’ancrage du franc CFA à l’euro, monnaie forte, pénalise en effet la compétitivité-prix des productions des pays qui l’utilisent, favorisant des économies rentières portées sur la consommation de marchandises importées, au détriment d’une politique axée sur l’augmentation des capacités de production nationales. À cause de la parité fixe avec l’euro, ces États ne peuvent pas se servir du taux de change en cas de crise économique et sont alors obligés de réduire leurs dépenses publiques.
Le mécanisme pousse par ailleurs les banques centrales de la zone franc à limiter les crédits bancaires qu’elles accordent aux ménages, aux entreprises et aux États. Conséquence, ces derniers voient leurs dynamiques productives paralysées et sont contraints d’emprunter sur les marchés financiers internationaux, à des taux élevés, pour financer leur développement. Quant au principe de libre transfert, l’un des piliers du fonctionnement du système CFA, il facilite des sorties colossales de capitaux.
Au bout du compte, les pays de la zone franc se trouvent enfermés dans un rôle de producteurs de matières premières et de consommateurs de produits importés. Le franc CFA contribue ainsi à l’augmentation du chômage, de la misère, de l’émigration dite « illégale »... Ce n’est sans doute pas un hasard si la plupart des personnes secourues en janvier 2021 par SOS Méditerranée étaient originaires de pays de la zone franc, dont le Mali (certes en guerre), la Côte d’Ivoire (qui n’est pas en guerre) et le Sénégal (pas en guerre non plus). Sur quatorze États membres de la zone franc, neuf sont aujourd’hui classés parmi les « pays les moins avancés » (PMA).
Pas de démocratie
L’hypocrisie des tenants du système CFA devrait aussi faire réagir tous ceux qui se préoccupent de démocratie, d’équité, de justice. Rendez-vous compte : la France garde son emprise sur le franc CFA sous le prétexte qu’elle joue un rôle de « garant », mais ce rôle est en réalité fictif !
Le président malien Modibo Keita l’a dit publiquement en 1962 (« La France ne garantit le franc CFA que parce qu’elle sait que cette garantie ne jouera pas effectivement »), le journaliste français Paul Fabra l’a écrit en 1972 dans Le Monde dans un article intitulé « Zone franc ou zone de pauvreté ? », et cette réalité a été rappelée à plusieurs reprises lors des derniers débats parlementaires. Au cours d’une séance de la commission des finances de l’Assemblée nationale en septembre 2020, un député a ainsi expliqué que la « garantie » française n’avait pas été activée depuis au moins 1994 et que tout était fait pour qu’elle ne le soit plus.
De plus, Paris gère le système dans l’opacité. Il suffit de lire le récent rapport de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur le projet de réforme, écrit par un député LREM, pour s’en rendre compte. « L’annonce du 21 décembre 2019 à Abidjan, par les présidents français Emmanuel Macron et ivoirien Alassane Ouattara, de la réforme monétaire a été une surprise pour tout le monde – élus, opérateurs économiques, banque centrale et population », note ce texte, parlant d’un « accord négocié dans le plus grand secret par une poignée de personnes à Paris et à Abidjan ».
Les dirigeants et citoyens des pays concernés par la réforme ont été ainsi mis devant le fait accompli par les présidents Macron et Ouattara. Ceux des États de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), dont ils font aussi partie, n’ont pu que constater la volonté de Paris de torpiller leur propre projet de monnaie commune (c’est l’un des trois objectifs non avoués de la réforme, les deux autres visant à réduire les critiques et à faire faire quelques économies au Trésor français).
Quant à la suite du processus d’adoption de cette « réforme » précipitée, elle est, elle aussi, stupéfiante, comme l’ont fait remarquer le sénateur communiste Pierre Laurent et le député communiste Jean-Paul Lecoq. Ce dernier a souligné devant ses collègues de l’Assemblée nationale combien il était aberrant et suspect que la France soit « le premier pays à ratifier cet accord, alors qu’en toute logique elle aurait dû attendre que les pays directement concernés l’aient fait d’abord ».
M. Lecoq a dû rappeler que la monnaie est une « institution politique et économique absolument fondamentale, puisque c’est elle qui permet à une zone de déterminer et de piloter son économie en se fixant des objectifs de développement ».
Toutes ces manœuvres du gouvernement pour prolonger la durée de vie du franc CFA (on peut ajouter que la « réforme » a été en partie appliquée avant même d’être soumise aux parlements français et africains) et la fiction organisée autour de la soi-disant « garantie » française n’intéressent donc pas les médias.
Sans gêne, la France officielle continue par conséquent d’imposer sa volonté aux autres (pour sauvegarder évidemment ses propres intérêts et ceux des entreprises françaises qui opèrent sur le continent et sont les premières bénéficiaires du système).
Les observateurs étrangers choqués
Ailleurs, les réactions sont très différentes : les journalistes, économistes et politistes des autres pays occidentaux sont choqués lorsqu’ils constatent que le franc CFA existe encore, soixante ans après les indépendances, et qu’il fonctionne sur la base des principes posés durant la période coloniale. En général, ils n’ont pas peur de le qualifier de « colonialiste », « impérialiste », « désastreux », « système d’exploitation », etc.
Dans un article publié en décembre 2020, le journaliste espagnol Jaume Portell Caño identifie le franc CFA comme l’une des cinq principales causes du phénomène migratoire partant du Sénégal vers l’Europe, une approche systémique que l’on trouve rarement dans la presse française.
Les Africains anglophones regardent eux aussi avec effarement cette domination monétaire française sur leurs voisins francophones. En 2018, la célèbre écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie déclarait : « Je vois beaucoup de différences entre les mondes anglophone et francophone, dans l’occupation de l'espace en Afrique. Le franc CFA rattaché au franc français (aujourd’hui l’euro, ndlr), par exemple, me paraît complètement rétrograde. »
Le changement ne viendra pas des dirigeants africains, soumis à la France
Le fait que les relations de la France avec les pays de la zone franc soient autant viciées et malsaines est l’autre raison qui devrait interpeler les progressistes français. Car le changement ne viendra pas des dirigeants africains : parce qu’ils sont pour la plupart redevables envers les autorités françaises (qui les ont bien souvent aidés à conquérir le pouvoir et à s’y maintenir durablement) ou craignent des représailles, ils ne prendront pas le risque de déplaire à Paris. Ils ne bougeront pas non plus parce qu’ils font généralement partie de la petite élite africaine qui tire quelques avantages du système CFA.
C’est pourquoi les activistes, économistes, politiques, journalistes et citoyens des pays africains qui réclament l’abolition du franc CFA depuis plusieurs décennies ont besoin que leurs collègues français et européens se mobilisent.
Le franc CFA n’est pas une question annexe ou exotique qui ne concernerait que les pays africains, qu’il faudrait laisser aux fonctionnaires de Bercy ou aux lobbies françafricains, et garder reléguée dans les bas-fonds de l’actualité. Il est la clé de voûte de la domination que la France continue d’exercer sur des États formellement indépendants.
Tant que l’ensemble des progressistes français s’en désintéresseront, ils conforteront par leur silence l’État français dans son choix de poursuivre sa logique coloniale en Afrique.
Pour en savoir plus sur le franc CFA : L’arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA, Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla (La Découverte, 2018). En anglais : Africa's Last Colonial Currency, The CFA Franc Story, Fanny Pigeaud & Ndongo Samba Sylla (Pluto Press, février 2021).